L’oeuvre de la semaine: Apparition, disparition
Que nous disent ces fleurs du peintre new-yorkais Ross Bleckner aujourd’hui âgé de 69 ans? On pourrait y deviner des nénuphars mais ces fleurs émergent moins d’un étang que d’un fond de lumières grises dont la qualité atmosphérique gomme toute forme de matérialité.
Et, en effet, le travail du peintre procède autant par additions que par soustractions. Si dans un premier temps, il vise une ressemblance, celle-ci est peu à peu mise à mal par l’action de grattage au couteau des pellicules colorées à son tour complété par un nouveau va et vient délicat de la brosse. L’affirmation première se voit donc mise en doute, aspirée par une menace qui dit aussi la fragilité de la vie.
En réalité l’oeuvre procède de deux prises de consciences successives. La première, à l’adolescence du peintre, doit à la visite de l’exposition « Responsive Eye » au Moma. On pouvait y voir un art ludique autant que savant jouant sur nos limites de perception. Bleckner y avait décelé un espace ouvert, indéfini, trouble, inaccessible. En un mot, spirituel.
La seconde est liée au sida qu’il contracte en 1981 alors qu’il a 32 ans. La maladie et son corollaire de l’époque, une mort annoncée endéans les dix ans, le propulse dans une conscience nouvelle, loin à la fois de l’optimisme de la génération précédente et de l’assurance des néo-expressionnistes de ses amis comme Julian Schnabel. A leur place, le doute et la précarité associés à l’urgence d’émerveillement. On comprend mieux le choix des fleurs comme motif.
Car quoi de plus vivant, lumineux, sensuel qu’une fleur ? Et quoi de plus éphémère ? Les premières, plus réalistes apparaissent déjà dans les années 1990 mais ne gagnent en présences énigmatiques qu’à partir de 2012. Parallèlement, avec cette même délicate esthétique conjuguant apparitions et disparitions, il prend appui sur d’autres motifs. Les uns sont chargés de symbolisme comme la présence des oiseaux en vol.
D’autres, d’apparences plus abstraites, sont des vues microscopiques du virus du sida ou de cellules cancéreuses. Et à chaque fois, le peintre s’émerveille. Cela nous amène sans doute à rappeler que les Nymphéas de Claude Monet l’ont été en hommage à tous ces jeunes soldats emmenés au front qui passent, entassés dans les wagons, aux abords des étangs de Giverny…
Bruxelles, Galerie Maruani et Mercier. 430 av Louise. Jusqu’au 21 juin. Du lundi au samedi de 11h à 18h www.maruanimercier.com
NB : La seconde partie de l’exposition Bleckner se tient dans la galerie Maruani Mercier à Paris, 12, rue Mahler (4e).
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