Critique

[L’expo de la semaine] Signes, d’Abdelkader Benchamma

© COURTESY TEMPLON, PARIS - BRUSSELS
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Abdelkader Benchamma illumine la galerie Templon à la faveur de paysages oniriques et de végétations marmoréennes. Un enchantement.

Dès l’entrée, l’envie prend de murmurer, de se faire le plus ténu possible, voire de disparaître. Faisant une large place au blanc, les compositions d’Abdelkader Benchamma (Mazamet, 1975) évoquent des paysages dans la neige faisant surgir des envies immaculées. Même le bruit des semelles qui adhèrent au sol semble ici déplacé: on rêve de contempler ces dessins à l’encre en tant que pur esprit que n’encombre pas un corps. Rendre compte de l’exposition s’avère rapidement douloureux. Obscénité de la prise de notes, obscénité du ventre qui gargouille, obscénité du pauvre temps dont on dispose. Mais sans doute que la pornographie la plus éhontée consiste en un texte de 3.000 signes qui ne dira rien. Ou si peu. Ou si mal. On choisit alors, dans un premier temps, de se réfugier derrière l’intention officielle. On nous apprend que l’artiste s’est inspiré d’un livre des miracles du XVIe siècle dans lequel il est question de comètes et autres phénomènes naturels annonçant des apocalypses à venir. Il y a aussi cette forêt dont les arbres et les branches écriraient qu’il n’y a qu’un seul dieu, hommage du créé au créateur. Autant d’illustrations qui étaient utilisées par des activistes religieux pour la conversion des âmes. L’idée était alors de répandre des rumeurs, de celles qui donnent envie de se mettre à genoux et de prier. Ce travail de terrorisme intellectuel accompli, il ne restait plus qu’à ramasser les âmes à la pelle. Bien sûr, une telle archéologie a vite fait de s’expliquer en ces temps d’obscurantisme résurgent. En la matière, le dieu Internet accomplit un travail d’abrutissement incomparable. On ne serait pas surpris d’assister à un retour en force de la théorie qui voudrait que la Terre soit plate.

Ornières de l’oeil

La généalogie a beau être telle qu’annoncée, elle est totalement surmontée par le résultat final, qui tient sans la moindre explication -ce qui est trop rare à l’heure actuelle pour être boudé. Tout au plus, accroche-t-on sur une ambiguïté mise au jour, à savoir si la forêt de signes qui se déroule devant nos yeux relève de la trace ou de l’écriture. Au final, on s’en moque éperdument, on ne retient vraiment de ces compositions paysagères que cette envie de s’y enliser. De multiples sensations surgissent: les vertus balsamiques du théâtre d’ombres chinoises de l’enfance, les étendues végétales vues depuis un train au fin fond de la Suisse, une esquisse de cartographie mentale, une calligraphie à inventer ou encore la texture du marbre étalée comme un livre ouvert. Le tout crée une impression synesthésique au coeur de laquelle se mélange le froid et le chaud, le lisse et l’aspérité, la surface et la profondeur. La magie est d’autant plus réjouissante que tout cela émerge du dessin, même si le galeriste a fait le choix de le maroufler sur toile et de le sertir dans un cadre qui en impose. Comme pour ajouter à cet enchantement, outre de faire un usage très juste de la couleur, Benchamma a décidé de prolonger son intervention sur le mur de la galerie, lui qui habituellement distingue ses oeuvres murales de celles sur papier. Cet élan généreux, voué à la disparition, contribue à faire de cette révélation un moment de contemplation hors du temps et des vicissitudes.

Signes. Abdelkader Benchamma, Galerie Daniel Templon, 13a rue Veydt, à 1060 Bruxelles. Jusqu’au 24/10. ****(*)

www.templon.com

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