Le monde nous appartient
DRAME/THRILLER | Le monde nous appartient consacre l’audace et le style d’un réalisateur créatif en diable, Stephan Streker. Une nouvelle voix s’ajoute au (beau) concert du cinéma made in Belgium.
Drame/thriller de Stephan Streker. Avec Vincent Rottiers, Ymanol Perset, Olivier Gourmet. 1h28. Sortie: 20/02. ****
C’est un peu Rebel Without a Cause à Bruxelles. Et c’est, après le déjà sublime Kid de Fien Troch, le second choc belge de cette année cinématographique des plus prometteuses. Stephan Streker y ose le grand style, y prend des risques fous, et réussit son pari d’un cinéma tout à la fois retenu sur le plan de l’émotion et travaillant profond la beauté, la rage, la fragilité des êtres que sa caméra aime comme lui-même les aime, et nous invite à les aimer. Dans Le monde nous appartient, Julien et Pouga ne se connaissent pas. Rien ne les prédispose à se croiser un jour. Pourtant, leurs chemins les mèneront l’un vers l’autre, et leur destin basculera… Un fatum implacable, flanqué d’un suspense captivant, plane au-dessus des personnages du film de Streker. Lequel nous fait découvrir puis suivre, au fil d’un montage parallèle, Julien le jeune footballeur peut-être à la veille d’une belle carrière pro, et qui trépigne d’impatience en attendant la chance de faire ses preuves, et Pouga le jeune marginal, passé par la case délinquance et dont la liberté retrouvée s’accompagne trop vite de tentations néfastes. Vincent Rottiers incarne à merveille ce personnage au coeur aussi tendre que ses poings peuvent être durs. Un rebelle, un voyou, une graine de violence pour qui on aimerait que tout ne soit pas déjà joué. L’acteur français le plus intense de sa génération, encore vu tout récemment dans Renoir, offre une performance bouleversante de justesse, dans un rôle ô combien délicat à réussir dans son ambivalence. Julien, c’est Ymanol Perset, jeune promesse du cinéma français, qui vibre aux ambitions mais aussi aux doutes de son personnage en devenir. Pour entourer ces deux-là, Stephan Streker a réuni quelques comédiens magnifiques, comme Olivier Gourmet dans le rôle du papa de Julien, Reda Kateb (Un prophète, Qu’un seul tienne et les autres suivront, Zero Dark Thirty) dans celui d’un gangster élégant, vieille école, qu’on dirait sorti d’un polar de Michael Mann, ou Dinara Droukarova (que révéla le chef-d’oeuvre de Vitali Kanevsky Bouge pas, meurs, ressuscite) en assistante de probation dont Pouga est tombé amoureux. Le réalisateur bruxellois, grand amateur et connaisseur de football, a aussi invité devant sa caméra l’entraineur Albert Cartier -pour une scène de vestiaire extraordinaire- et l’ex-canonnier du RWDM champion de Belgique en 1975 Jacques Teugels. Mais si les interprètes du Monde nous appartient rivalisent d’excellence, le film trouve aussi et peut-être surtout son ampleur dans l’exigence de beauté, morale et formelle, que revendique Stephan Streker. La complicité musicale d’Ozark Henry venant idéalement épouser cette recherche permanente entre le style et le propos qui anime un cinéaste en état de grâce.
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