[Le film de la semaine] Les Fantômes d’Ismaël, d’Arnaud Desplechin
DRAME | Faisant l’ouverture du festival de Cannes, le nouveau Desplechin, qui est sans doute son film le plus apaisé, sort simultanément en salles chez nous. Un film foisonnant.
Le titre du film, déjà, ne laisse pratiquement planer aucun doute: on est bien ici chez Arnaud Desplechin. Et le Ismaël en question a, comme celui de Rois et reine, les traits de Mathieu Amalric, première d’une série de connexions, plus ou moins souterraines, qui relient ce film, son neuvième long métrage, à sa filmographie antérieure. Mais si l’environnement est familier -Roubaix, un certain Dédalus…-, le réalisateur de Trois souvenirs de ma jeunesse réussit pourtant à surprendre avec ce récit à tiroirs adoptant une architecture aussi complexe que fascinante en définitive.
C’est donc l’histoire d’Ismaël, cinéaste frénétique s’attelant à la réalisation d’un film sur son frère, Ivan Dédalus (Louis Garrel), un diplomate insaisissable. Un réalisateur traversant une crise intime profonde lui qui, au moment du tournage, voit réapparaître Carlotta (Marion Cotillard), sa femme disparue depuis 21 ans, huit mois et six jours, un fantôme parmi d’autres, venu menacer la sérénité trouvée auprès de Sylvia (Charlotte Gainsbourg). Soit trois lignes de récit, que le réalisateur prend un plaisir manifeste à mélanger, comme pour mieux égarer le spectateur. « Il me semble avoir inventé une pile d’assiettes de fiction, que je fracasse contre l’écran. Quand les assiettes sont toutes cassées, eh bien, le film s’achève », écrit Desplechin dans sa note d’intention. Et il y a de cela en effet, dans un scénario qui combine film d’espionnage ludique, portrait de cinéaste tourmenté et drame intime hanté -le nom de Carlotta invitant bien sûr à faire le lien avec le Vertigo de Hitchcock, le film-matrice sur la réapparition d’une « morte »-, dans une articulation qui, pour être très écrite, est aussi totalement débridée.
Appels du romanesque
Desplechin s’autorise toutes les audaces en effet, jonglant avec les lieux et les époques; allant jusqu’à laisser le film dans le film inachevé, comme en écho à la confusion habitant alors Ismaël; osant un triangle déséquilibré en apparence, entre l’agitation hystérique de Mathieu Amalric, la sobre douceur de Charlotte Gainsbourg et l’évanescence (dés)incarnée de Marion Cotillard; convoquant encore Jacques Lacan et Philip Roth, Bob Dylan et Bernard Herrmann, Picasso et Pollock, et jusqu’aux perspectives de Van Eyck et de Fra Angelico, comme autant de motifs sous-jacents. Foisonnant, ce récit labyrinthique traversé de puissants appels du romanesque est encore l’expression d’un évident plaisir de cinéma, traduit par une mise en scène tourbillonnante. Et le spectateur de se laisser porter par le mouvement pour émerger, comme les protagonistes, à la lumière de Noirmoutier où, dans un exercice funambulesque de toute beauté, Charlotte Gainsbourg se confie à la caméra –« la vie m’est arrivée », dit-elle, ponctuation délicate d’un film qui, touffu et survolté à bien des égards, est peut-être, paradoxalement, le plus apaisé de son auteur…
D’Arnaud Desplechin. Avec Mathieu Amalric, Charlotte Gainsbourg, Marion Cotillard. 1h50. Sortie: 17/05. ****
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