La tendance collective au théâtre, décryptage
Au lieu de rivaliser dans les auditions, de plus en plus de jeunes comédiens choisissent de se serrer les coudes et de créer ensemble. Et quand les savoir-faire s’entremêlent, le résultat peut être explosif.
Ils s’appellent Raoul, Nimis, Une Tribu, Wow, Impakt, La Boîte à Clous, Novae, Rien de Spécial, Mensuel, La Station, Ubik, Fluorescence, Groupe Sanguin… Ils naissent souvent d’amitiés, d’amours, voire de liens familiaux. Ils s’étendent en général sur une seule génération, mais pas forcément. Ils sont mixtes, ou pas, internationaux, ou pas, pluridisciplinaires dans bien des cas. Mais quelle que soit leur configuration, ce qu’ils partagent tous, c’est une volonté de miser sur l’horizontalité plutôt que la verticalité, sur la collectivité plutôt que la hiérarchie.
Même s’ils ne constituent pas une nouveauté (Tranquinquennal, le Groupov et tg STAN en Flandre étaient là bien avant), « collectifs » et « groupes » pullulent aujourd’hui sur nos scènes. Cette nouvelle vague d’artistes modestes et généreux, qui prouvent que l’on peut mettre en commun ses compétences créatives au même titre qu’un potager, une voiture ou la gestion d’un village, semble contrebalancer la tendance au repli sur soi et au culte du moi. « J’aurais envie d’être optimiste et de dire que c’est un acte révolutionnaire tendre que de vouloir montrer qu’on peut réaliser des choses collectivement« , a-t-on entendu du côté du Nimis Groupe, collectif révélé avec Ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu, une création percutante avec des demandeurs d’asile autour du thème des politiques migratoires européennes.
Oeuvrer en collectif, ce n’est pourtant pas gagné d’avance. Organiser une interview avec un journaliste constitue déjà par exemple toute une entreprise. Il faut d’abord informer chacun des membres, décider qui y participera en sachant que réunir tout le monde relève de la gageure. Et quand on se retrouve en face de ces collectivistes, on perçoit un court temps d’attente après chaque question, une demi-seconde où ils se consultent silencieusement pour savoir qui prendra la parole. On sent une prévenance mutuelle, une attention particulière à ce que les déclarations individuelles épousent au mieux les positions du groupe.
« Pour travailler en collectif, il faut surcommuniquer. On échange énormément de mails, pour que tout le monde soit si pas d’accord au moins au courant« , explique-t-on encore au sein du Nimis, qui a en prime la particularité d’être basé à la fois en Belgique et en France (vive Skype!). Créé début 2010 à la suite d’un échange d’étudiants du Conservatoire de Liège et de l’école du TNB à Rennes, le Nimis se cherche encore un mode de communication. « Dans le groupe, chacun doit pouvoir endosser n’importe quelle casquette en fonction de son temps disponible, et donc l’historique des décisions doit être lisible pour tous, à tout moment. Ça prend beaucoup de temps et d’énergie, mais le gros avantage, c’est que quand l’unanimité est trouvée, le spectacle créé est défendu « corps et âme », il tient à coeur à chacun. »
Compétitif vs coopératif
« J’aime ce sentiment qu’on est tous coresponsables du projet, tous solidaires. On a été éduqués avec l’idée que c’est bien qu’il y ait un chef, ce n’est pas forcément vrai« , déclare-t-on chez Une Tribu, collectif bruxellois qui pratique intensivement l’interdisciplinarité en réunissant comédiens, marionnettistes, musiciens, scénographes et plasticiens autour du théâtre de marionnettes et d’objet. « C’est intéressant de pouvoir remettre ses spécificités en question avec d’autres. Cette démarche pousse chacun dans ses retranchements et permet plus d’audace au niveau créatif. » Leur spectacle La Course assure une cohérence forte entre fond et processus de création: l’histoire d’un cycliste amateur qui gagne une course en mesure de lui ouvrir les portes du monde professionnel, mais qui ne s’arrête pas après la ligne d’arrivée pour recevoir les fleurs et la coupe. Il continue, fuyant la compétition. Le tout raconté avec des marionnettes et… une machine à coudre. « On travaille depuis trois ans sur ce spectacle, même si ce n’est pas à plein temps. On fonctionne par essais et erreurs, on se laisse beaucoup d’espace pour expérimenter. C’est laborieux, ça demande beaucoup de patience, mais c’est passionnant. »
Même son de cloche du côté du collectif franco-suisso-belge Wow!, lui aussi pluridisciplinaire mais plutôt centré sur le son et la radio, et qui vient de faire un carton aux Rencontres Théâtre Jeune Public de Huy avec son Piletta Remix. « On a trouvé une forme hybride mais cohérente et avec laquelle on était tous OK. Piletta utilise un dispositif qui n’a jamais été vu. C’est une fiction radiophonique qui se déroule en direct et en public, avec les spectateurs connectés par casque au son produit sur scène. Ça nous permet par exemple de sonoriser un petit élastique. Pareil pour les voix: on sort de la dimension théâtrale de la voix qui doit être projetée. On s’est beaucoup questionnés sur le type d’adresses faites au public, sur le jeu, la manière de bouger… On a fait pas mal d’essais. On a créé un nouveau langage et comme on était nombreux à décider, la tâche était compliquée. » Mais ça valait le coup.
- Nimis Groupe: Ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu. Du 13 au 17/12, au Théâtre national, Bruxelles; 27 et 28/03, au Théâtre de Liège; 25/04 aux Ecuries, Charleroi; 3 et 04/05, à la Maison de la Culture de Tournai.
- Une tribu collectif: La course. Du 15 au 26/11 au Théâtre national, Bruxelles; du 7 au 10/12 à l’Ancre, Charleroi; du 23 au 29/04, à la Cité Miroir, Liège.
- Collectif Wow!: Piletta Remix (à partir de 8 ans). 16/11 au centre culturel de Chênée; 02/12 au Théâtre de la Montagne magique, Bruxelles; 23/12 aux Chiroux, Liège; 25/01 au Centre culrurel Jacques Franck, Bruxelles; 18/02 à la Bissectine, Bruxelles; 11/03 au Botanique (Kidzik Festival), Bruxelles; 12/03 au CDWEJ, Stépy-Bracquegnies.
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