Myriam Leroy
Koh Lanta, honte mortelle
Les médias peuvent tuer. En tout cas quand leurs victimes n’ont pas les reins suffisamment solides pour endurer le discrédit public qu’ils peuvent balancer sur elles.
La chronique de Myriam Leroy
Il était médecin. Il exerçait dans l’ombre. L’ombre de la lumière, quand même -il bossait sur l’émission Koh Lanta depuis quatre ans. Thierry Costa, 38 ans, s’est donné la mort au Cambodge le 1er avril dernier, après s’être fendu d’une lettre publique dénonçant l’injuste emballement médiatique au coeur duquel il avait été subitement projeté ces derniers jours. La mort de Costa suivait en effet celle d’un candidat du jeu, Gérard Babin, décédé d’un arrêt cardiaque une semaine auparavant, dans des circonstances nébuleuses. La presse s’était saisie de cette affaire et avait questionné le professionnalisme du médecin, entre autres griefs envers l’équipe de production -qui aurait laissé agoniser le jeune homme sans adopter la réaction de secours adéquate parce que cela servait les intérêts de l’émission.
L’enquête démêlera les fils de cette histoire, mais elle ne pourra plus rien pour le médecin qui, une semaine seulement après le décès de son protégé, a décidé que la vie était devenue suffisamment insupportable pour tomber le rideau. « Je n’oserai plus croiser un regard en France sans que je me pose la question de savoir s’il est rempli de méfiance envers moi », a-t-il écrit sur le papier à lettres de son hôtel. La honte l’a emporté.
Exécration publique
Comme elle avait également tué Jacintha Saldanha, membre du personnel infirmier de l’hôpital londonien dans lequel Kate Middleton avait été prise en charge au début de sa grossesse. En décembre dernier, elle avait marché au canular d’une station de radio australienne, dont l’animatrice s’était fait passer pour la Reine-Mère au standard de l’hôpital. L’infirmière avait transmis l’appel à la chambre de la princesse. Un accès de crédulité qui avait fait les choux gras de la presse locale et internationale, et qui avait mené Saldanha à se donner la mort.
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Robespierre
L’opprobre jeté publiquement sur des personnalités qui n’ont pas choisi leur médiatisation peut donc s’avérer mortel. Et toujours violemment douloureux. Robespierre le savait bien lui-même, alors que, quelques années avant d’être guillotiné, il discourait sur la peine de mort: « La plus terrible de toutes les peines pour l’homme social, c’est l’opprobre, c’est l’accablant témoignage de l’exécration publique. »
Une exécration qui s’exprime sans avoir besoin de se baser sur des preuves, qui se nourrit d’approximations: si les médias le disent, c’est que c’est vrai. Il n’y a pas de fumée sans feu, croit le spectateur. Les plus faibles ne parviennent pas toujours à endurer l’épreuve. Les plus forts, quant à eux, savent que le public a la mémoire courte, et parient sur l’amnésie de l’électeur.
Cahuzac devrait pouvoir se refaire d’ici quelques années, pareil pour DSK. Si c’est le dernier qui a parlé qui a raison, si les médias vouent aux gémonies ceux qu’ils ont portés aux nues avec une agilité de contorsionniste, s’ils peuvent briser, détruire, marquer, à la seule force de l’allusion… Au bout du compte, ils ne délivrent que des messages hautement périssables, réellement mortels pour le coup.
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