Expo: Bruxelles à travers le regard de 24 artistes internationaux
Jusqu’au 28 septembre 2014, la Centrale For Contemporary Art présente la collection de l’Espace photographique Contretype qui a accueilli en résidence durant 15 ans 24 artistes de 14 nationalités différentes, s’emparant de Bruxelles, tantôt comme sujet, tantôt comme terrain d’expérimentation de leur recherche plastique.
De 1997 à 2012, 24 artistes issus de 14 nationalités différentes ont participé au programme de résidences de l’Espace photographique Contretype à Bruxelles. Cette année, sa collection est pour la première fois présentée en Belgique, en collaboration avec la Centrale For Contemporary Art. Cette exposition rétrospective est l’occasion de rendre hommage à Jean-Louis Godefroid, décédé l’an dernier, qui a été le directeur du centre artistique mais aussi l’initiateur du programme de résidences. Visible jusqu’au 28 septembre 2014, Brussels Unlimited dévoile pas moins de 15 ans de création et de stimulation artistique au cours desquels ces photographes, qui, pour la plupart, n’avaient jamais voyagé à Bruxelles, ont pris d’assaut la capitale, l’ont observée, revisitée, photographiée, sous toutes ses coutures, afin d’en livrer une vision personnelle et toujours différente.
La résidence, c’est un peu l’Erasmus des artistes
« Ça finit par sembler comique de rester si longtemps dans une ville que je ne connais pas. » On ne peut pas vraiment donner tort à JH Engström, photographe suédois en résidence à l’Espace Contretype en 2003. Au fond, le principe même de résidence est un peu curieux: un artiste, parfois local mais souvent étranger, élit domicile pour quelques mois dans l’institution où il travaille. En pratique, ce sont généralement plusieurs artistes qui se retrouvent au même endroit et cohabitent. Au fil des rencontres, des échanges, se tissent des liens, des projets et finalement, une véritable effervescence d’idées stimulant la création artistique. C’est un concept intéressant en soi, une sorte de Factory, le côté « superstar » en moins… Sauf qu’ici, l’artiste est lâché dans une ville qu’il ne connaît pas (et dont parfois, il ne parle pas la langue). La résidence, c’est un peu l’Erasmus des artistes. La remarque d’Engström évoquée précédemment semble dès lors virale. On vit dans une ville et en même temps, on ne s’y sent jamais comme chez soi. Il y a toujours ce décalage, cette distance installée par la résidence, inévitablement. Alors, quel est le sens de rester dans une ville qu’on ne connaît pas, dans laquelle on n’a aucun repère? Concrètement, que fait-on? Ces interrogations sont à la base même du travail des 24 artistes qui ont résidé à l’Espace Contretype.
L’intérêt pour certains sera de flâner à travers la capitale. Marcher à tout hasard, sans aucune contrainte, c’est une prise de liberté totale, un prétexte à la base duquel des idées de génie peuvent germer. Le projet de l’artiste française Isabelle Arthuis découle de cette pratique. Elle arpente la ville et se lance des petits défis comme par exemple celui de suivre quelqu’un et le prendre en photo, à la manière de Sophie Calle (Bruxelles active, 2000). D’autres artistes interrogent leur rapport au territoire, au paysage. Le Japonais Satoru Toma a pris des clichés des terminus des lignes de bus qui desservent la capitale (Bruxelles-Limites, 2009-2010) délimitant en photo les frontières de Bruxelles, entre espace vierge et lieu transitoire de l’urbanisation, alors que l’artiste finlandaise Elina Botherus s’aventure même en-dehors de la ville, à la recherche d’horizons plus ouverts: l’aéroport, le parc de Tervueren, jusqu’à la mer du Nord. Alain Paiement (Canada), quant à lui, explore la notion de ruine et de passage du temps, n’hésitant pas à recomposer des architectures laissées à l’abandon, témoins du délabrement urbanistique dont souffre Bruxelles depuis les années 90, et de la dépossession des Bruxellois de leur ville, au profit d’un redéploiement répondant aux exigences des institutions européennes, un thème par ailleurs abordé par le Belge Philippe Herbert, qui a limité son travail au quartier européen, s’intéressant à ce microcosme, melting-pot d’un autre genre (Bruxelles-Europe, 2002-2003).
Des artistes comme Marie-Noëlle Boutin (France) vont plutôt aller à la rencontre de « l’autre », s’interrogeant sur la présence humaine et la manière d’habiter un territoire selon le contexte social et culturel, avec son projet Territoire de jeunesse (2011-2012) où Bruxelles est un lieu d’expérimentation parmi d’autres. Andreas Weinand (Allemagne), quant à lui, ne capte pas d’atmosphère mais il la crée. S’intéressant plutôt à l’identité personnelle, il se promène dans la ville et demande aux passants de poser devant l’appareil en fixant l’objectif, provoquant ainsi un jeu de regard intense entre le sujet et le spectateur (Les yeux dans les yeux, Bruxelles, 2007). Enfin, la ville peut servir de prétexte pour explorer son propre passé, comme l’artiste belge Erika Vancouver en a fait l’expérience avec Maison du commerce (2012), photographiant une boutique désaffectée dont un membre de sa famille a autrefois tenu le commerce.
Bruxelles, ville de passage(s)
De cette résidence à Contretype, chaque artiste a fait un peu ce qu’il voulait. De multiples approches ainsi que de nombreuses réflexions ont nourri leur recherche plastique de sorte que l’exposition Brussels Unlimited ne dresse pas seulement le portrait d’une ville mais formule également une sorte d’état des lieux de la photographie contemporaine. La résidence a permis aux artistes de se forger une expérience singulière de Bruxelles tantôt sujet, tantôt contexte de leur travail. Si, généralement, le séjour a été plutôt fécond pour la plupart d’entre eux -exposition comme preuve à l’appui-, certains en sont sortis tantôt frustrés, comme ça a été le cas de JH Engström, pour qui cette résidence a été un échec, qu’il relate dans son journal intitulé La résidence, recueil de photographies et de textes que lui a inspiré son voyage à Bruxelles. Il y avoue avoir vécu la solitude dans cette « ville bizarre » dont « l’identité n’apparaît pas clairement ». Curieusement, sa publication a été couverte de succès et l’artiste a remporté en 2012 le célèbre Prix du plus beau livre du monde, décerné par Goldene Letter. Peut-être est-ce parce que malgré cet échec, Engström, à l’instar des autres artistes en résidence, a pu traduire à sa façon cette atmosphère particulière de Bruxelles: « J’ai tenté d’exprimer mes sentiments et mes pensées concernant Bruxelles. Une expression revient: ville de passage(s). »
- Exposition Brussels Unlimited. Collection Contretype. Centrale For Contemporary Art, du 26 juin au 28 septembre 2014. www.centrale-art.be
Dans le cadre du Summer of Photography consacré cette année aux artistes femmes, l’Espace photographique Contretype expose en parallèle Brussels Unlimited. 7 femmes en résidence, du 25 juin au 28 septembre 2014. www.contretype.org
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