Laurent Raphaël
Demain ne meurt jamais
Par Laurent RAPHAËL
Si la réalité dépasse bien souvent la fiction, c’est peut-être tout simplement parce que la fiction n’est qu’un avant-goût de la réalité. Comme une sorte de story-board de l’histoire en marche.
On s’explique: combien d’écrivains ou de cinéastes n’ont pas déjà été pris en flagrant délit, après coup, de nous raconter des événements qui allaient seulement se produire? Sinon à l’identique, au moins avec une ressemblance troublante. Dès 1977, dans Joueurs, l’auguste Don DeLillo, qui revient labourer le champ de la mélancolie ces jours-ci avec le déroutant Point Oméga, décrivait ainsi un attentat contre l’un des principaux emblèmes de la puissance économique américaine: Wall Street… Même s’il réfute l’étiquette de prophète qui lui colle au dos depuis un certain 11 septembre 2001, le romancier reconnaissait récemment que « les écrivains voient peut-être les choses avant les autres, les ressentent plus que les autres ».
Une forme de pudeur dont ne s’embarrasse pas un autre Cassandre des lettres, retiré depuis peu dans le cimetière des grands fauves, l’iconoclaste J.G. Ballard. Le trublion anglais, auteur en 1973 du culte Crash, qui n’est finalement rien d’autre qu’un coup de griffe saignant dans la carrosserie de nos fantasmes motorisés alors en gestation, affirmait chercher au travers de ses livres à « photographier la psychologie du futur ».
Pour sonder l’avenir, ne tendez pas la main à Madame Irma, lisez plutôt les lignes… des romans! Ou regardez des films, le futur y passe régulièrement la tête aussi. Comme dans la BD, la peinture, la danse ou le théâtre. THX 1138 de Georges Lucas, 1984 de George Orwell, Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley ou encore Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol, fable inquiétante déflorant les débats à venir, et d’actualité aujourd’hui, sur l’eugénisme et le déterminisme génétique, ont montré que l’imagination avait souvent l’éclat d’une boule de cristal. Qui sait, peut-être qu’un jour on fera défiler sur commande cette part de sa biographie qui reste à écrire comme dans Minority Report de Spielberg (ou, dans un autre registre, Flash Forward).
Même quand ils multiplient les crochets par le passé, comme ce fut encore massivement le cas à la Mostra de Venise, de Wang Bing avec les camps de rééducation chinois des années 50 à de la Iglesia avec le franquisme, les artistes ont en réalité le présent en ligne de mire. Ce qui veut dire qu’ils auscultent le futur (notre époque) depuis ce poste d’observation privilégié qu’est le passé. Vous suivez? La fiction est à l’anticipation ce que le mare de café est à la voyance. L’arôme de la liberté et du plaisir en plus. Car en fonction de ses affinités électives, on peut presque choisir son destin, léger et taquin comme du Emmanuel Mouret, grinçant et affiné comme du Chabrol (paix à son âme), sombre et abyssal comme du Richard Price…
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