Laurent Raphaël

Décès du streameur Jean Pormanove: choquant mais rien de neuf sous les spotlights

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’été n’a pas été avare en drames humains. Certains tristement récurrents comme à Gaza, d’autres improbables comme le décès en direct du streameur Pormanove, humilié et maltraité sur une chaîne de la plateforme Kick. Déchaînement inédit de violence sur les écrans? Ce serait oublier que toutes les époques sont dégueulasses.

Chaque année, quand résonnent les cloches de la rentrée, c’est un peu le même cocktail de sentiments mélangés: la nostalgie des heures non productives, du temps pour soi, des grands espaces, et la perspective entrevue à cette occasion de ce que pourrait être une existence sans contraintes le disputent à la décharge électrique mâtinée d’anxiété du retour aux affaires. Ce n’est pas pour rien que septembre est le mois des grandes décisions…

Depuis que notre cerveau est câblé en permanence, la coupure estivale est toutefois moins nette qu’avant. Quand il n’emmène pas son bureau sur la plage, l’homo numericus ne s’éloigne jamais vraiment de la civilisation, dont les faits saillants (en tout cas au regard des algorithmes des Gafam) défilent en tranches et en boucle sur son écran. Personne ne tombait des nues à la machine à café lundi matin quand les sujets qui ont rythmé l’été médiatique s’invitaient dans la conversation: Trump, l’Ukraine, Gaza, Poutine, la canicule, Bouchez ou la mort en direct du streameur français Jean Pormanove. L’abjection ne prend pas de vacances, elle. Ni l’indignation, sollicitée de toutes parts et en toutes saisons.

Le cas de ce « créateur de contenus » spécialisé dans le business de la maltraitance aura particulièrement frappé les esprits. Même les scénaristes de Black Mirror n’ont pas osé aller si loin. Ce fut d’abord le dégoût, la sidération, en tout cas chez ceux qui ignoraient que des plateformes, Kick en l’occurrence, proposent légalement des séances de torture. Pire: que des (jeunes) gens paient pour voir des sadiques infliger des violences physiques à des victimes plus ou moins consentantes. Une sorte de perversion ultime du capitalisme où on n’achète plus un service ou un bien mais la souffrance d’autrui.

La torture est toujours insupportable. Mais ici, ce n’est même pas pour des motifs politiques. C’est juste du commerce qui piétine toutes les valeurs humaines. Les médias et décideurs ont unanimement condamné cette barbarie. Et pointé du doigt la permissivité d’Internet, qui autoriserait, voire encouragerait cet avilissement. C’est en écoutant le philosophe Charles Pépin dialoguer avec Laure Murat sur France Inter de la manière de gérer les œuvres culturelles problématiques du passé (les supprimer ou les contextualiser) que l’on s’est interrogé: a-t-on effectivement franchi un nouveau palier dans l’horreur ou chaque époque étant dégueulasse comme l’affirme l’essayiste, elles ont toutes leur affaire Jean Pormanove.

De fait, il ne faut pas aller chercher très loin dans les annales pour trouver des précédents, des formats d’émissions qui utilisaient les mêmes ressorts sordides. Songeons à Jackass et ses défis débiles mettant l’intégrité physique des acteurs en danger, avant-goût des séquences trompe-la-mort qui inondent désormais les réseaux. Songeons aussi au Jerry Springer Show, ce talk-show où des couples et familles venaient s’insulter et s’écharper en direct sous le regard amusé du public. Du chiqué mais plus vrai que nature. Songeons encore et surtout aux snuff movies, ces vidéos de morts en direct gravées sur VHS qui circulaient sous le manteau dans les années 1990.    

Le Jerry Springer Show: insultes, coups et humiliations à gogo. Bienvenue dans l’ère de la trash-TV.

La technologie amplifie la fascination morbide mais elle ne l’a pas inventée. Ce qui n’est pas une raison pour laisser passer. Au contraire, ce drame de la violence masculiniste rappelle l’urgence de lutter contre le vide intellectuel et culturel sidéral de certains jeunes dépourvus du moindre sentiment d’empathie. Autant de monstres en puissance…

  

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire