[Critique ciné] Get Out: nerveux, malin, stylé et roublard
HORREUR | Adoubé par William « The Exorcist » Friedkin, le petit film fauché qui a électrisé l’Amérique passe les stéréotypes de race à la moulinette horrifique.
Ça commence comme un slasher de la grande époque: dans une rue sombre et pavillonnaire éclairée au réverbère, un jeune Afro-Américain se fait enlever par un individu masqué le temps d’un tourbillonnant plan-séquence. La suite tient davantage d’un épisode de Black Mirror: couple interracial semblant filer le parfait amour, Rose (Allison Williams, de la série Girls) et Chris (Daniel Kaluuya, des séries Skins et… Black Mirror) décident d’officialiser leur relation auprès des géniteurs WASP jusqu’au bout des ongles -un neurochirurgien retors et une psy glaçante- de la première le temps d’un week-end hors du temps dans leur maison de campagne. « Ne va pas chez les parents de ta petite amie blanche« , s’affole le meilleur pote de Chris, mi-rigolard: dans sa bouche, l’avertissement résonne à la manière d’une règle de film d’horreur « méta » à la Scream. Et la force et l’originalité de Get Out résident bien là, dans cette appétence malicieuse à faire joujou avec les codes et les attentes.
Humoriste de tout juste 38 ans apprécié des aficionados de la chaîne Comedy Central, Jordan Peele, qui écrit et réalise là son premier long métrage, prétend que l’idée du film lui serait venue d’un spectacle de stand-up signé… Eddie Murphy où il moquait les préjugés raciaux. « Ce n’est pas parce que vous êtes invité que vous êtes le bienvenu« , prévient l’affiche du film. À l’écran, la vérité est à la fois plus complexe et largement plus tordue que cela, ce qui ressemble d’abord à du racisme ordinaire déraillant peu à peu en un chapelet de bizarreries de plus en plus vicieuses.
Jeux pervers
Portant le sceau de Blumhouse Productions (les franchises horrifiques à budget plancher Insidious, Sinister, Ouija, The Purge ou Paranormal Activity), soit la quasi-garantie d’un succès populaire à moindre coût mais pas forcément -loin s’en faut- celle d’une réelle réussite artistique, Get Out affiche tous les voyants au vert: véritable phénomène du box-office américain (plus de 170 millions de dollars de recettes pour un investissement de départ d’à peine 5 millions), le film a tout du parfait petit objet pop, excellant dans l’ambiguïté et le malaise tandis qu’il louvoie entre audaces narratives et propositions formelles d’une rare pertinence -une vraie mise en scène de l’état d’hypnose, par exemple. Nerveux, malin, stylé, forcément un peu roublard, Get Out ose les ruptures de ton et n’a pas peur d’aller au bout de son délire, quitte à friser ponctuellement le grand-guignol dégénéré. C’est d’ailleurs peut-être dans son inclination pour la dérive malsaine et l’exagération que le film est le plus accompli. Moins une fable pamphlétaire qu’une radiographie hyperbolique de la psyché malade de l’Amérique.
De Jordan Peele. Avec Daniel Kaluuya, Allison Williams, Catherine Keener. 1h43. Sortie: 03/05. ***(*)
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