Carte blanche
Crise sanitaire: dépit et débrouillardise au programme (Réaction essentielle d’un enseignement non-essentiel)
Depuis le début de la crise sanitaire et de chaque côté de la frontière linguistique, tous les réseaux d’enseignements ont dû adopter des protocoles spécifiques afin que le parcours éducatif de leurs élèves n’ait pas à pâtir de la situation.
Les académies de musique, des arts de la parole, de la danse, mais aussi des arts plastiques, visuels et de l’espace, réunies sous l’appellation d’Enseignement Secondaire Artistique à Horaire Réduit (ESAHR) subventionné par la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), n’ont pas échappé à la règle et ont fait preuve d’énormément de faculté d’adaptation en appliquant avec loyauté, rigueur et même créativité les différentes mesures qui leur étaient soumises et ce, malgré le fait que le secteur ne faisait au départ l’objet d’aucune attribution ministérielle.
Lors de la première phase de confinement, celles-ci ont d’ailleurs été purement et simplement réduites au silence jusqu’à la fin de l’année scolaire : en effet, tous les membres du personnel enseignant ont été déclarés en « dispense de service » jusqu’au 30 juin 2020.
Comme souvent au sein de l’ESAHR, le règne de la débrouille fut de mise : malgré le peu de moyens octroyés par le pouvoir subsidiant (la FWB en l’espèce), de nombreux professeurs, dont le moteur de l’action était rythmé par l’objectif ultime de sauver ce qui pouvait l’être en gardant un contact tout du moins à distance avec leurs élèves, ont donc développé des systèmes d’enseignement par visioconférence, des plateformes numériques permettant de continuer à entretenir la matière etc., souvent sur leurs propres deniers.
Malgré toutes ces initiatives, rares sont les établissements qui n’ont pas connu de chute plus ou moins spectaculaire de leur population : dans certaines académies, on parle à l’heure actuelle de chiffres avoisinant les 10 pourcents voire davantage encore. Dans certains cas bien précis, on parle même de fusions d’établissements.
Dernières mesures : Quand l’espoir fait face au Mépris
Le 27 janvier dernier, la presse faisait état d’aménagements supplémentaires validés par le Comité ministériel restreint, cette décision faisant elle-même suite à une réunion entre ministres compétents des trois Communautés linguistiques à l’occasion de laquelle ces nouvelles mesures ont été décidées : parmi celles-ci, le fait que les moins de 13 ans devront désormais pratiquer leurs activités extra-scolaires au sein d’une bulle de maximum dix enfants. Par ailleurs, il est fortement recommandé aux parents de limiter cette pratique à une seule activité par semaine tout en émettant une préférence pour celles qui se déroulent à l’extérieur.
Déjà dans les jours précédents, les médias autant audiovisuels que de la presse écrite faisaient état que l’ESAHR était concerné par ces décisions, exemples à l’appui. D’où une déstabilisation pour les enfants et les parents confrontés à un choix cornélien et une anxiété naissante au sein du corps professoral des établissements ad hoc.
Le 29 janvier, un arrêté de la Ministre fédérale de l’Intérieur couchait finalement ces mesures sur papier. Un considérant de celui-ci laissait cependant apparaître une lueur d’espoir en ce qu’il consacrait le fait que « ces mesures ne s’appliquent pas aux activités d’enseignement des établissements d’enseignement » (sic).
Dans le même temps, les informations et bruits de couloir diffusés via les médias et se réclamant du cabinet de la Ministre Caroline Désir et des fédérations représentant les pouvoirs organisateurs des académies laissent entendre qu’une circulaire ministérielle est cependant en préparation : sa sortie est prévue au plus tôt le 29 janvier, au plus tard le 1er février, qui est, pour rappel, la date d’entrée en vigueur desdites mesures.
Enfants, parents comme enseignants ont donc attendu sagement la sortie de cette fameuse circulaire, avec le secret espoir que l’impact de ces mesures en soit très limité.
Ledit document a donc fait son apparition le 1er février sur le coup de midi et consacre donc le fait que les académies, malgré leur statut d’établissements d’enseignement, sont donc considérées comme activité extra-scolaire, sur le même pied que les « clubs et associations« , pour reprendre les termes de l’arrêté de la Ministre Verlinden.
Cette circulaire consacre effectivement les principes de la fameuse bulle de dix pour les enfants de moins de 13 ans, tout en n’offrant absolument aucune perspective supplémentaire pour les élèves entre 13 et 18 ans en ce qui concerne l’ESAHR, ce qui constituait pourtant l’objectif avoué de ces mesures.
Par ailleurs, le texte, alambiqué à souhait, laisse planer une zone d’ombre quant au fait que les élèves (de tous âges) seraient autorisés ou non à fréquenter plusieurs cours au sein de l’établissement (le binôme formation musicale/instrument étant le plus courant, par exemple) : ce précepte est d’ailleurs sujet à interprétation et fait l’objet de traitements différenciés entre écoles selon la lecture que les directeurs en ont.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, les équipes pédagogiques sont à pied d’oeuvre afin d’implémenter ces consignes vaille que vaille, une période transitoire étant tolérée jusqu’au 8 février, date ultime prescrite par la circulaire.
Considérations DIVERSES et revendications légitimes
Voici bientôt 23 ans que la Communauté française conférait à l’enseignement des arts un statut dont il ne bénéficiait pas jusque-là : cette nouvelle situation devait offrir au personnel des perspectives équivalentes à leurs collègues de l’enseignement de plein exercice, au niveau des droits bien naturellement mais également au niveau des obligations.
À l’analyse de l’évolution de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, gageons qu’en matière de droits, l’ESAHR ne fait l’objet d’aucune considération voire inspire un mépris structurel de la part des ministres successifs qui ont eu à endosser le pourtant si important maroquin de l’Éducation.
Les différentes décisions adoptées depuis le début de la crise sanitaire ne font finalement que confirmer cet état de fait.
Si les professeurs de l’ESAHR sont conscients du fait que leur situation et leur statut leur confèrent une protection salariale que ne connaissent pas d’autres secteurs bien moins lotis et avec lesquels ils expriment leur profonde solidarité, il n’en demeure pas moins qu’un sentiment d’oubli voire de mépris est bien présent depuis de nombreuses années, les épisodes liés à la pandémie n’étant que la cerise sur le gâteau.
Passons encore sur le problème barémique qui entoure la profession et qui fait l’objet de nombreuses négociations depuis la nuit des temps : nombre d’enseignants de l’ESAHR font en effet l’objet d’une honteuse discrimination barémique puisque ceux-ci sont titulaires d’un diplôme de Master et sont actuellement rétribués sur la base d’un bachelier.
Une très récente circulaire vient encore accentuer ce traitement différencié en conditionnant l’octroi du barème supérieur à un certificat de réussite d’un module de 60 périodes de formation à la pédagogie de l’enseignement artistique alors que les enseignants sont pour la plupart déjà titulaires d’une certification pédagogique en phase avec leur matière.
Mais, comme le signale le texte, ledit module est toujours en cours de préparation : il est surprenant, et notamment au niveau du calendrier de parution, de prendre connaissance d’une circulaire – dont les professeurs de l’ESAHR contestent fortement la pertinence et l’opportunité pour les raisons déjà évoquées ci-avant – alors que sa disposition-phare (le module) n’est pas encore organisé ?
Faut-il par ailleurs signaler que les professeurs d’académie sont quasi les seuls à ne pas être éligibles à une prime au numérique, par comparaison à leurs collègues du jour ?
L’explication viendrait, d’après les bruits de couloir, du fait que le cabinet du Budget de la Fédération s’y serait opposé.
La Ministre Désir, au détour d’une question parlementaire, a promis d’y remédier par un autre biais mais, comme Soeur Anne…
La récente décision validée par le Gouvernement fédéral, avec l’aval des entités fédérées, d’inclure l’enseignement artistique au sein des activités dites de loisirs, achève définitivement le moral des enseignants de l’ESAHR qui y voient là la goutte qui fait déborder le vase : la circulaire afférente à cette mesure dépasse d’ailleurs largement les prescrits de l’arrêté ministériel du 29 janvier dernier.
La Ministre de l’Éducation a beau rappeler dans son préambule à la circulaire 7945 que l’ESAHR « est un enseignement a? part entie?re et non une activite? extra-scolaire « , le personnel concerné n’est pas dupe sur le peu de considération dont il a été fait preuve au moment crucial de prendre une telle décision.
Si nous pouvons nous révéler critiques, nous sommes cependant bien conscients de l’attitude proactive de la Ministre Désir par rapport à notre enseignement et nous en réjouissons, espérant pouvoir compter sur sa diligence et sa bienveillance quant au présent et à l’avenir de notre institution.
Élèves, parents et professeurs concernés ne comprennent d’ailleurs pas comment il est possible de mettre en perspective une activité de loisirs avec un niveau d’enseignement extrêmement régenté tel que l’ESAHR qui fait l’objet d’un florilège d’éléments légaux tels que l’instauration de projets pédagogiques, de programmes de cours, la tenue de registres de présence ou la soumission au payement d’un droit d’inscription.
Ajoutons-y que les protocoles sanitaires mis en place par les établissements concernés sont scrupuleusement respectés et même parfois amplifiés pour ne courir aucun risque supplémentaire ; ce qui explique vraisemblablement pourquoi les académies n’ont jamais été identifiées jusqu’à présent comme foyers de transmission ni même comme lieux à risque.
Enfin, s’il avait été permis de comprendre que la mesure était de nature à favoriser l’activité des 13-18 ans, signalons à toutes fins utiles que cette tranche d’âge fréquente les cours de l’ESAHR depuis la rentrée de septembre 2020 et ce, en mode physique.
Si l’une des finalités de l’enseignement artistique en Fédération Wallonie-Bruxelles est bien de « concourir a? l’e?panouissement des e?le?ves en promouvant une culture artistique« , le fait d’adopter pareille mesure qui assure un clivage générationnel sans précédent au sein de nos établissements ne contribue guère à l’objectif initial de favoriser la reprise d’activité d’une tranche d’âge bien définie.
Il est permis de douter que ces aménagements offrent une perspective supplémentaire aux 13-18 ans en ce qui concerne l’ESAHR : à contrario, ils sanctionnent également une autre tranche d’âge à qui l’on va demander d’échanger le blues voire le spleen avec leurs jeunes aînés.
Les discussions entre collègues démontrent à l’envi que le climat anxiogène qui entoure la crise sanitaire provoque chez nos élèves de tous âges un mal-être qui, pour certains, en devient même structurel.
Quoi de mieux que la pratique artistique pour accompagner tous ces élèves, qui voient en leur cours d’instrument ou de théâtre un exutoire à leur quotidien déjà si terne ? N’oublions pas qu’hormis en nos murs, la pratique culturelle est en état de mort clinique…
Puisque le mélange des bulles représente visiblement un problème, la possibilité d’une scission éventuelle des cours dits semi-collectifs en séances individuelles aurait pu constituer un ballon d’oxygène pour tout le public de l’ESAHR, au même titre que cela se pratique au niveau des deux autres communautés linguistiques, pour qui ce phénomène était déjà une possibilité voire la règle.
Effectivement, le fait d’intégrer cette dimension permet la présence physique des élèves (dimension ô combien importante dans la pratique artistique) tout en ne créant pas une fissure dans leur parcours pédagogique : cette éventualité n’est pas d’actualité pour le moment en FWB.
Nous, professeurs de l’ESAHR, signataires du présent texte, sommes bien conscients des enjeux sanitaires et tout à fait prêts à accepter de nouveaux protocoles adaptés, raisonnés et raisonnables.
Cependant, fatigués par l’accumulation des différentes mesures et inquiets à la fois pour le bien-être de tous nos élèves mais aussi pour un avenir pérenne et serein de notre niveau d’enseignement, nous prions :
– les différentes délégations syndicales de lancer une concertation d’urgence avec les acteurs de terrain de l’ESAHR, dont le corps professoral est un vivier d’affiliés au même titre que ceux d’autres secteurs ;
– Madame Caroline Désir, Ministre de l’éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de bien vouloir reconsidérer les dispositions particulières contenues au sein de la circulaire 7945 et de les aligner tout du moins à ce qui a été décidé en Communauté flamande ;
– l’entièreté du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles de se repencher sur le statut et la valorisation de l’ESAHR par rapport aux autres niveaux d’enseignement ;
– tous les acteurs concernés par la concertation autour des dispositions propres à l’ESAHR de bien vouloir offrir une oreille attentive quant aux futures décisions qui pourraient être prises et, en filigrane, et d’accepter une participation des acteurs de terrain aux réunions ad hoc entre le cabinet et d’autres acteurs de l’enseignement.
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