Laurent Raphaël
Cinéma tics
L’édito de Laurent Raphaël
Sommes-nous libres de nos mouvements? On aime à le croire. Surtout dans nos démocraties où cette latitude d’aller et venir comme bon nous semble est coulée dans le marbre de textes législatifs. L’absence de frontières ou de visa pour circuler sur le Net a encore renforcé ce sentiment que plus rien ne peut guider nos pas que notre libre arbitre et l’épaisseur de notre portefeuille. Vraiment? C’est oublier un peu vite que nous restons des mammifères sous les couches de raffinement et de sophistication dont nous nous grimons. Et qu’à ce titre nous trimballons en permanence, cachées dans notre cave génétique, quelques vieilles breloques ADN.
Ces atavismes ne se manifestent pas que dans les situations extrêmes, agression, guerre ou faim, qui provoqueraient un court-circuit nous reconnectant avec les réflexes et comportements de ces lointains ancêtres obligés de se coltiner des mammouths et autres charmantes bestioles pour survivre. Dans les situations les plus banales, nous continuons d’agir pour la plupart comme des primates. Mais ça passe presqu’inaperçu.
Sauf quand un universitaire amateur de hors-piste sociologique comme Claude Forest se pique d’observer la stratégie d’occupation des fauteuils dans les salles de cinéma. Interrogé dans Next, le mensuel arty de Libé, cet ancien exploitant de cinoche explique que les primo-arrivants, le plus souvent des hommes d’âge mûr, ne se précipitent pas comme le voudrait la logique sur les places techniquement les mieux situées -au milieu dans la largueur et entre le tiers et les deux tiers de la longueur- mais bien sur les deux derniers rangs, et de préférence à droite. C’est vrai dans les multiplexes -une invention 100 % belge- comme dans les salles d’art et d’essai. But de la manoeuvre? Dominer l’espace et contrôler visuellement le « territoire ». « On voudrait avoir dépassé ça, ce vieux fond des cavernes, commente moustache en coin le chercheur français. Mais l’être humain est un mammifère, et pour tous les mammifères, la première préoccupation, c’est de contrôler l’espace. »
Autre perle qui devrait rappeler des souvenirs aux cinéphages: ces vestes que l’on pose ostensiblement sur le siège voisin. C’est pour s’en délester mais aussi pour marquer sa zone d’influence. Non sans succès d’ailleurs puisqu’il faut attendre que la salle soit remplie au quart ou au tiers pour que les nouveaux venus osent revendiquer ces fauteuils vides offrant parfois un excellent champ de vision.
Claude Forest épingle aussi l’attitude cocasse des couples qui font systématiquement demi-tour s’ils ne trouvent pas deux places côte à côte. Ce qui lui fait dire que l’on va moins au cinéma pour un film en particulier que pour être ensemble et communier. Un comportement grégaire plus visible dans les méga complexes type Kinepolis où les gens qui n’ont pas une idée précise du film qu’ils vont voir privilégient en général celui où il y a le plus de monde!
On garde le meilleur pour la fin: c’est toujours un homme qui quitte en dernier la salle. On a donc un mâle dominant devant et un autre derrière. Comme chez les… singes quand ils se déplacent en groupe. Si l’on ajoute les ruminants qui broutent bruyamment du pop-corn et des tacos pendant tout le film, ce n’est plus au cinéma qu’on va mais au zoo!
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