Being Urban: quelle place pour l’art en ville?
Dès ce 29 avril, l’Iselp programme une passionnante exposition qui n’en est pas une. Objectif? Déterminer et stimuler la place de l’art dans la ville du XXIe siècle. C’est aussi à vous de jouer.
Quelle place pour l’art dans la ville à l’heure actuelle? Vaste débat. Il suffit de jeter un oeil sur les dernières initiatives en la matière pour s’en rendre compte. Ainsi de l’avenue Franklin Roosevelt, à hauteur de l’Université Libre de Bruxelles, qui depuis la mi-janvier affiche un profil différent quand le soir tombe. En lieu et place de l’éclairage habituel, l’artère se découvre sous une lumière magenta rougeâtre, si on l’aborde en voiture, ou magenta violacé, si on y pénètre à pied. On doit cette installation à l’artiste français San Damon. Elle porte le nom de Oniroscopisme dans la ville et a été soutenue par le ministre bruxellois de la Mobilité. Pascal Smet (sp.a) s’est félicité de cette expérience susceptible de « surprendre des Bruxellois et donner à d’autres le sentiment qu’ils peuvent faire de même » (à lire sur lalibre.be) -comprendre que tout un chacun ait envie de proposer une oeuvre d’art pour la capitale. De l’envie d’une oeuvre à sa concrétisation, la route serait-elle aussi aisée? Pas si sûr. A lire les commentaires des internautes du quotidien relayant cette information, rien n’est acquis. Entre les « Ils auraient plutôt dû faire ça à la rue d’Aarschot… » et les « Je trouve cela même plutôt dangereux car le soir ces lumières diminuent la visibilité des passages piétons… pas malin », la difficulté de dessiner un consensus surgit. Pourtant, certains citoyens s’en moquent, et n’attendent pas l’accord des politiques ni celui de leurs contemporains pour rendre plus habitable le tissu urbain. Ainsi d’un Frédéric Nicolay, concepteur de bars en vue, à qui l’on doit plusieurs initiatives spontanées -arbre planté, mur transformé pour des projections cinéma, abribus commandé à un designer…- pour aider tout un chacun à se réapproprier la ville.
« Se réapproprier la ville », l’expression est lâchée. Elle sera au coeur d’une exposition-laboratoire qui se déroulera à L’Iselp à partir du 30 avril. Gravitant autour de celle-ci, de nombreux artistes: Julien Celdran, Simona Denicolaï et Ivo Provoost, Stephan Goldrajch, Thomas Laureyssens, The Mental Masonry Lab… Derrière Being Urban, deux commissaires, Adrien Grimmeau et Pauline de la Boulaye. Après de nombreux mois de recherche en toute humilité -ils avouent ne pas encore savoir exactement ce qu’est l’art public-, tous deux s’efforcent de circonscrire le sens de l’évènement. « Ce laboratoire d’échange et de construction d’idées proposera de faire apparaître un nombre grandissant de pratiques au coeur de l’espace public. Nous considérons que cet espace mérite d’autres récits que ceux de la consommation, des médias, de la norme ou de la peur… Nous souhaitons mobiliser décisionnaires, habitants et artistes autour de l’art dans ce lieu commun », écrivent-ils à la faveur d’une note d’intention.
Avant et après
L’ambition de Being Urban, Adrien Grimmeau la pose d’emblée: « Comment l’art public peut-il retrouver le public? » Il précise: « Dans les faits, il existe un décalage entre ce que les experts et les artistes aimeraient faire dans la ville pour le public et… ce que le public souhaite pour lui-même. » Une contradiction qui fait mesurer toute l’importance d’imaginer un processus de décision au sein duquel les spécialistes ne pèsent pas plus que ceux qui sont directement concernés par la question. Raison pour laquelle les deux commissaires veulent redistribuer les cartes et faire de L’Iselp, pendant deux mois, une salle de rédaction. « Ce seront deux mois de réflexion qui auront pour finalité la création d’un manifeste, publié fin 2015, dont le propos sera de tracer les contours de l’art public à Bruxelles pour 2016-2030. Pour ce faire, nous nous appuierons sur les quinze dernières années afin d’écrire les quinze prochaines », détaille Pauline de la Boulaye. Pourquoi cette partition chronologique? « Nous nous sommes rendus compte que l’on ne pense plus l’art public de la même façon qu’avant, reprend Grimmeau. Nous avons remarqué l’apparition de nombreuses initiatives citoyennes. Celles-ci ont commencé à voir le jour vers l’an 2000, qui est le moment d’un changement de paradigme. Du coup, nous nous sommes dits: il y a un territoire, c’est Bruxelles, une temporalité, c’est 2000-2015, on déplie, on regarde de près ce qui se cache et on en tire les conclusions. » Pauline de la Boulaye complète: « Avant, l’art dans la ville fonctionnait sur un modèle linéaire inspiré du XIXe siècle, époque où les artistes participaient à la construction de la ville. Il était imposé du haut -les pouvoirs publics- vers le bas -les gens. Une nouvelle géométrie, triangulaire celle-là, est désormais nécessaire: la base fondamentale du triangle en question est une personne ou un groupe de personnes qui ressentent le besoin d’une oeuvre dans leur environnement. Le deuxième angle de la figure est constitué par la figure du médiateur qui entend la demande, la reformule et active ses réseaux pour qu’elle voie le jour. C’est sur base de ce schéma que nous voulons intervenir. »
Une question se pose: quelle est cette rupture évoquée qui surgit à l’aube des années 2000? « Avant 2000, on est dans une configuration classique de fontaines, de sculptures au milieu d’un rond-point, voire de monolithes en pierre, qui incarnent la face la plus contemporaine de cette période… autant de structures parachutées de manière verticale dans l’espace public. C’est un peu l’image d’Epinal que l’individu lambda se fait de l’art public. Après 2000, il est question d’oeuvres qui sont davantage intégrées à l’environnement. Les premiers à mettre cela en oeuvre, c’est la SLRB, la Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale qui invente le 101e pourcent, c’est-à-dire que lorsqu’ils font construire un bâtiment, 1 pourcent du budget va à une oeuvre d’art. Ils ont passé commande auprès d’artistes qui ont entrepris une démarche basée sur la réalité locale, notamment en suscitant un dialogue avec les habitants. Cela donne des oeuvres moins visibles mais plus profondément vécues par ceux qui les côtoient », remarque Adrien Grimmeau. Autre élément décisif, lors de Bruxelles 2000: la Fondation Roi Baudouin implante un nouveau protocole remarquable, celui des « Nouveaux Commanditaires » (lire encadré). Malheureusement, du moins pour les Bruxellois, il a migré vers la Flandre après une dizaine de réalisations. Ce protocole est central dans la démarche de L’Iselp.
Autre interrogation? Pourquoi la ville est-elle aussi centrale dans cette réflexion? « Parce qu’elle est devenue le lieu par excellence de l’homme, l’endroit qui concentre l’activité humaine. C’est notre nouveau milieu. Un milieu qui modifie le rapport à l’environnement. L’un des rôles de l’artiste est de faire retrouver la matière au citoyen qui est entouré d’objets transformés. En contexte urbain, on attend également de l’artiste qu’il crée du lien entre les personnes », pointe Pauline de la Boulaye.
Being Urban voit le jour sur fond d’impossibilité, de non-sens. « Exposer l’art public dans un espace clos, ça ne marche pas. Dès lors, on a pris le parti de créer de nouvelles oeuvres en finançant une série d’interventions qui auront lieu dans l’espace public en même temps que l’expo. Celles-ci seront des cas d’étude pour réfléchir à ce que nous entrevoyons comme possibilités pour ce type d’art. Elles serviront à écrire ensemble ce qui pourrait se faire par la suite », résume Grimmeau.
ll n’est pas étonnant que cette initiative ait vu le jour à L’Iselp. Historiquement, L’Institut Supérieur pour l’Etude du Langage Plastique possède une mission en matière d’art public à Bruxelles. « Il y a 40 ans, dans la foulée de sa création, la directrice d’alors a été visionnaire, elle s’est dit qu’il fallait que l’Institut s’implique dans cette thématique. De cette façon, nous avons été en amont de toutes les réflexions sur l’art public contemporain dans la capitale. L’Iselp a, par exemple, été à la base de la Commission Artistique des Infrastructures de Déplacement, la CAID, qui s’occupe entre autres de tout ce qui est art dans le métro, ou encore a imaginé les Midis de l’Art Urbain qui réunissaient politiques, urbanistes, artistes », rappelle Pauline de la Boulaye. Sans compter l’existence d’une revue environnementale initiée à l’époque et dont le propos consistait à réfléchir l’art public autrement. Au final, tous ces éléments font que L’Iselp dispose d’un centre de documentation considérable, qui existe depuis 1979 et permet de jeter une perspective diachronique unique sur le débat.
Les Nouveaux Commanditaires
« Quiconque le souhaite peut assumer la responsabilité d’une commande d’oeuvre d’art et participer à l’émergence d’un art de la démocratie. » Tel est le principe-clé énoncé par le Protocole des Nouveaux Commanditaires. On doit ce manifeste à un artiste belge, François Hers. En tant que créateur, Hers choisi, dès 1963, de « sortir du musée », carcan, à ses yeux, étouffant pour l’oeuvre. 27 ans plus tard, il entreprend de rédiger « un nouveau chapitre de l’histoire de l’art, celui d’un Art de la Démocratie ». Ce geste fort culmine avec la conception du Protocole des Nouveaux Commanditaires. L’idée? « Permettre à des citoyens confrontés à des enjeux de société ou de développement d’un territoire, d’associer des artistes contemporains à leurs préoccupations en leur passant commande d’une oeuvre. Son originalité repose sur une conjonction nouvelle entre trois acteurs privilégiés: l’artiste, le citoyen commanditaire et le médiateur culturel, accompagnés des partenaires publics et privés réunis autour du projet. »
À DÉCOUVRIR SUR L’EXCELLENT SITE: WWW.NOUVEAUXCOMMANDITAIRES.EU
BEING URBAN, EXPOSITION-LABORATOIRE POUR LE RENOUVEAU DE L’ART DANS LA VILLE, ISELP, 31B, BLVD DE WATERLOO, À 1000 BRUXELLES. DU 30/04 AU 04/07. VERNISSAGE LE 29/04. WWW.ISELP.BE
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