Beasts of No Nation: « Netflix a fait une offre qu’on ne pouvait pas refuser »
Avec Beasts of No Nation, Cary Fukunaga, le réalisateur de True Detective, se penche sur le drame des enfants-soldats en Afrique. Un film secouant et fort, à découvrir sur Netflix.
Cary Fukunaga est un pur produit de son époque. Après deux films remarqués pour le cinéma, Sin Nombre puis Jane Eyre, adaptation toute personnelle du classique de Charlotte Brontë, le cinéaste californien (il est né à Oak-land, en 1977) a vu sa notoriété exploser avec la série télévisée True Detective, dont il a réalisé la première saison. Fort en thème, le gaillard aime aussi brouiller les médiums, et Beasts of No Nation, son nouveau long métrage, s’il a, de toute évidence, été conçu pour le grand écran (il a d’ailleurs été présenté en compétition à la Mostra de Venise), est diffusé en exclusivité, à compter d’aujourd’hui, via Netflix. « Comme souvent pour les productions indépendantes, un ensemble de partenaires financiers ont permis de monter le film, avant qu’on ne doive ensuite négocier un contrat avec un distributeur, décrypte le cinéaste. Et si rien n’était planifié, Netflix s’est présenté avec une offre que l’on ne pouvait pas refuser, l’essentiel, pour moi, étant que le film puisse être vu par le plus grand nombre. A cet égard, la diffusion sur Netflix avait un poids incontestable, comparée à une exposition marginale en salles. » L’une n’excluant du reste pas nécessairement l’autre, puisque le film fait l’objet d’une sortie limitée dans les salles américaines, histoire incidemment d’être éligible aux Oscars.
Investigation rigoureuse
On saluera au passage l’audace de l’opérateur de vidéo à la demande qui, après quelques séries de haut vol, ouvre son champ d’action au cinéma (1) sans céder en rien à la facilité. Beasts of No Nation est un film âpre en effet, plongée au plus profond de l’horreur contemporaine ne cherchant pas à ménager le spectateur, tandis que s’y dévide le destin d’Agu, jeune enfant-soldat évoluant dans quelque contrée africaine imaginaire. Ce sujet, Fukunaga explique le porter en lui depuis qu’en plus de ses études artistiques, il en entreprit d’autres, politiques,… à Grenoble. « Les guerres en Afrique occidentale, au Liberia et en Sierra Leone, en particulier, faisaient partie de mon cursus. Et si, au départ, je n’avais qu’une vague idée de la question des enfants-soldats, cette dernière a gagné en consistance au fil du temps. J’ai voulu me plonger plus activement dans ce sujet, et j’ai mené des recherches avant d’entreprendre l’écriture d’un scénario, sans être jamais entièrement satisfait du résultat. Jusqu’au jour où j’ai lu Beasts of No Nation, d’Uzodinma Iweala, où se trouvait tout ce à quoi j’aspirais. »
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Pour nourrir son adaptation, le réalisateur a mené une investigation rigoureuse –« une enquête de type journalistique, sourit-il. Je trouvais les sources, je les vérifiais, j’en cherchais de nouvelles, afin d’avoir une autre perspective. Beaucoup d’éléments sont basés sur des faits s’étant produits au Liberia et en Sierra Leone, mais j’ai aussi veillé à en changer certains pour rendre le contexte moins écrasant. » Son cadre indéfini élargit sensiblement le spectre d’un film embrassant une question brûlante sans faux-fuyant, pas plus d’ailleurs qu’il ne lésine sur la violence (bien moindre toutefois, précise-t-il, que celle observée sur le terrain) –« L’horreur », aurait résumé le Marlon Brando d’Apocalypse Now que ce Beasts of No Nation évoque par certains aspects. Et l’écot de Cary Fukunaga à une entreprise de conscientisation qu’il appelle de ses voeux: « L’avenir de l’humanité passe par notre capacité à surmonter ces conflits fractionnés que nous continuons à perpétuer à la surface de la Terre, qu’ils reposent sur des divisions religieuses, ethniques, ou nationales. C’est simplement ridicule… » Une préoccupation qu’il se garde pour autant d’assortir d’un vain prêchi-prêcha, refusant de sacrifier la dimension avant tout humaine de l’histoire d’Agu -l’incroyable Abraham Attah, dont il confie combien il n’a cessé de l’étonner- sur l’autel d’un agenda politique. Pas le genre d’un auteur ayant par ailleurs fait voeu de diversité, lui dont aucun film ne ressemble au précédent. Et qui annonce avoir pour projet de s’atteler à un musical qu’il entend d’abord monter sur les planches, histoire d’élargir encore sa palette…
(1) UN DEUXIÈME LONG MÉTRAGE EST ANNONCÉ POUR DÉCEMBRE, LA COMÉDIE THE RIDICULOUS 6, RÉALISÉE PAR FRANK CORACI, AVEC ADAM SANDLER.
Réalisateur, au cinéma, de Sin Nombre et Jane Eyre, avant de signer, pour la télévision, la première saison de True Detective, Cary Fukunaga aborde avec Beasts of No Nation, adaptation de l’ouvrage éponyme d’Uzodinma Iweala, la question brûlante des enfants-soldats. Soit, dans un pays africain anonyme, l’histoire d’Agu (Abraham Attah, phénoménal), gamin arraché à son enfance insouciante lorsque la guerre civile rattrape son village, décimant les siens pour le livrer, seul, à la forêt. Et d’être embrigadé de force par les (jeunes) rebelles conduits par un Seigneur de la guerre sanglant, le « Commandant » (Idris Elba, excessif), pour bientôt suivre la formation et le conditionnement de ses compagnons d’armes fanatisés…
Ce récit d’une déshumanisation en marche, Fukunaga l’envisage du point de vue exclusif de son protagoniste central, évoluant, hagard et inconscient, au coeur du chaos et de la violence, non sans s’accrocher à quelque résidu d’enfance. Si le réalisateur a le trait parfois appuyé, sinon complaisant, le film n’en est pas moins fort et secouant, porté par une mise en scène fiévreuse oscillant entre réalisme cru, visions hallucinées et plongée viscérale au coeur de cette horreur que psalmodiait Marlon Brando dans un Apocalypse Now auquel Beasts of No Nation fait parfois penser…
DE CARY FUKUNAGA. AVEC ABRAHAM ATTAH, IDRIS ELBA. 2H16. ***
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