Baron noir, de la toute grande politique fiction
Après une première saison prometteuse, Baron noir revient sur Be Séries délivrer son potentiel de série politique ultraréaliste. L’actrice belge Astrid Whettnall y brille aux côtés de Kad Merad et Anna Mouglalis. Rencontre.
L’ADN de Baron noir est composé de références précises au réel. Les noms de partis, des médias, journalistes et éditorialistes français y sont conservés, tandis que les situations, crises et trahisons multiples ne se contentent pas d’allusions vagues à la vie politique hexagonale. Elles y font presque explicitement référence, montrant par-là l’excellente connaissance du bestiaire politique des créateurs Éric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon. En début de deuxième saison, le Baron noir, Philippe Rickwaert (Kad Merad), jadis conseiller de l’ombre et visiteur du soir du Parti socialiste, sort de prison dans l’attente de son procès. Alors que l’élection présidentielle arrive à son terme, Amélie Dorendeu (Anna Mouglalis) va vraisemblablement l’emporter face au candidat du FN, Lionel Chalon. Les yeux déjà rivés sur la législative, Rickwaert conseille à la future présidente de se rapprocher de Michel Vidal (François Morel), le leader de la gauche radicale. Toute ressemblance avec l’actualité politique française n’est en rien le fruit du hasard. Comme une caisse de résonance à la situation hexagonale, la seconde saison fait entendre la défragmentation du paysage politique avant et après l’élection présidentielle de 2017 -la vraie.
Astrid Whetnall est entrée dans le grand bain de la fiction politique au cours de la première saison, en incarnant Véronique Bosso, pilier socialiste de Dunkerque, loyale à ses mentors jusqu’à la lie. Cette deuxième saison voit son personnage évoluer dans le sillage d’Amélie Dorendeu, incarnée par une Anna Mouglalis convaincante en présidente « macronisable ». La comédienne belge, remarquée par le réalisateur Ziad Doueiri dans le film Au nom du fils de Vincent Lannoo (2012), y est toute en émotion et vertus, et si elle se fond à merveille dans ces intrigues proches de l’actualité, la qualité des personnages et du scénario n’y est, d’après elle, pas pour rien: « Le pari, risqué, avec Baron noir , était de ne parler que de politique, d’être moins dans l’épopée que House of Cards . La deuxième saison, c’est encore plus radical, plus centré encore sur la politique, tout en conservant le suspense d’un film d’action. » Pas besoin, dès lors, d’être rompus aux arcanes et pratiques politiciennes pour se sentir immergé dans ce marigot poisseux mais passionnant à explorer: « Ce sont les enjeux humains, tout ce qui se passe dans les tripes, dans la tête, les manipulations, les secrets et les amitiés fragiles, tout ce monde humain qu’Éric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon ont réussi à faire passer dans ce prisme. Ils étaient tous les jours sur le tournage pour vérifier la justesse des situations, des plus petits détails. Ils nous guidaient sans cesse, nous expliquaient les enjeux de chaque loi. »
Si la politique paraît être un grand et tragi-comique théâtre de marionnettes, c’est en empruntant à la rigoureuse structure théâtrale, à ses quêtes, ses intrigues, ses dilemmes, que la série installe les dynamiques concrètes entre les personnages: « Véronique Bosso est un personnage particulier, une femme dont toute la vie est vouée au combat pour ses idéaux politiques -en l’occurrence, un idéal socialiste qui devient humaniste. C’est cette lutte passionnelle qui l’anime, cette intégrité par rapport au socialisme, dans le sens le plus pur et le plus beau du mot, cette loyauté au prix de sa propre carrière, qui me parle. »
Animal politique
Éric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon ont écrit la nouvelle saison durant l’entre-deux-tours de la dernière élection présidentielle, alors que l’ensemble de la scène politique française atteignait son point de bascule: « Entre la fin du tournage de la première saison et le début de la deuxième, il y a eu Macron et la naissance d’En Marche, la montée du FN, l’effondrement des grands partis et la mise à la retraite de grands barons suite à des affaires et des scandales, se souvient Astrid Whettnall. Ce changement incroyable dans le paysage politique français, les deux scénaristes, des monstres de travail, ont fait un boulot incroyable pour l’intégrer à l’histoire. » Les créateurs de Baron noir ne sont effectivement pas des perdreaux de l’année, mais de fins observateurs et connaisseurs du monde politique: « Éric Benzekri a travaillé pendant des années au sein du PS, il a été la plume de Lionel Jospin, de Ségolène Royal, de François Hollande. Il est très proche de Manuel Valls et encore plus proche de Jean-Luc Mélenchon. Il apporte tout ce vécu du PS, il connaît la politique et l’animal politique par coeur, il l’adore. » Résultat des courses: le rendu de la mécanique législative, communicationnelle et humaine est ultra précis. Si le scénario a sans cesse été réadapté pour anticiper les soubresauts dramatiques de l’année politique, ses auteurs ne se sont pas trompés de beaucoup: « Les différences qu’il y a entre la série et le réel sont intéressantes car elles nous permettent de nous poser des questions sur ce qui pourrait ou aurait pu advenir. »
En mettant en scène des événements inédits en France comme la destitution d’un président dans la première saison ou l’entrée à l’Élysée d’une femme dans la deuxième, les créateurs de Baron noir tentent de repousser les frontières de la réalité. Comme s’ils voulaient, à travers des situations inédites mais écrites dans un style déployant le parler vrai et brutal, la langue de bois ou d’éléments de langages moult fois entendus, reproduire les mécanismes de sidération à l’oeuvre face à certaines grandes manoeuvres ou tragédies politiques. De la toute grande fiction.
Baron Noir, saison 2, dès ce samedi 10/3, 20.30, sur Be Séries. ****
Série créée par Éric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon. Avec Kad Merad, Anna Mouglalis, Astrid Whettnall, Hugo Becker, François Morel.
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