ARTS 10+ : deux nouvelles monographies d’un blanc obscur à un noir lumineux …
Jusqu’au 19 décembre, La Médiatine de Wolluwe présente deux nouvelles monographies d’artistes. Anne Bossuroy et Juan Paparella sont à la fois peintres, sculpteurs, photographes et explorent encore beaucoup d’autres domaines. Deux artistes qui se questionnent sur les rapports entre les objets et leurs images, la visibilité et la représentation, le signifiant et le symbolisant. Deux styles qui se complètent pour former un ensemble très cohérent.
Chaque année, et ça depuis déjà 22 ans, La Médiatine présente deux nouveaux artistes dans ses expositions Arts +. Il y a toujours différents thèmes qui se dégagent des expos comme le développement durable ou encore les oppositions de concepts (thème développé par les artistes actuellement exposés). Avec ces deux nouveaux arrivants, le catalogue des monographies que possède La Médiatine vient d’atteindre les quarante volumes. Quarante publications qui révèlent le savoir-faire d’autant d’artistes du paysage de la communauté française Wallonie-Bruxelles. Peinture, sculpture, photographie, gravure, installation ou vidéo, aucun domaine n’est écarté.
Jusqu’au 19 décembre, vous pourrez découvrir le travail de deux artistes bruxellois dans l’exposition arts 10+0. Leur spécialité : jouer sur les oppositions. La visite commence avec le travail de Juan Paparella. L’Argentin d’origine aime noircir les éléments du réel avec la fumée et le feu mais aussi donner une nouvelle luminosité aux objets avec des feuilles d’or ou des plumes.
Les pièces présentées dans l’exposition ont été conçues en Europe et en Amérique du Sud sur une période de 17 ans. Mais pas question de les classer, les nouvelles oeuvres côtoient les anciennes sans aucune date ni référence. Vous pourrez donc découvrir une table calcinée par les flammes, différents dessins de fleurs noires et d’insectes ou encore ces photographies très colorées qui zooment sur des détails d’oiseaux de paradis morts.
La première oeuvre exposée résume assez bien la pensée et l’ambition de l’artiste. Un papier peint calciné sur lequel on peut lire : « L’univers est comme un papier peint, comme le papier peint d’une chambre de notre enfance, nous le regardons sans en comprendre les motifs, les figures, les ramages. Nous voyons bien qu’une certaine logique semble présider à son ordinaire, mais nous ignorons laquelle, aussi nous évadons nous à le scruter, dans des rêveries jamais terminées ou des calculs jamais vérifiés. »
L’artiste laisse volontairement le visiteur se faire sa propre impression sur son travail. Il le laisse dégager sa propre interprétation des oeuvres. Elles sont toujours basées sur l’image de l’oxymoron. Cette figure de rhétorique qui consiste à associer deux mots contradictoires pour créer un effet paradoxal (courir lentement, douce violence, …) définit en un seul thème toute la visée de l’artiste.
Au second étage, c’est l’univers d’Anne Bossuroy que découvrent les visiteurs. Cette Bruxelloise aime aussi les oppositions mais plutôt celles de concepts. Elle joue sur la présence-absence, sur l’immatérialité-matérialité ou encore le dedans-dehors.
L’artiste aime se servir de constructions éphémères pour habiller ses oeuvres. Composés de parois tantôt blanches, tantôt colorées, droites ou penchées, avec toujours ce sol de bois laissé à nu, ces blocs concentrent l’attention des visiteurs sur les oeuvres et disposent la lumière différemment dans les pièces. Et l’étage de la Médiatine se prête particulièrement bien à ce genre d’exercice. Composé de nombreuses petites pièces dans un dédale d’escaliers et de niveaux différents, Anne Bossuroy a su utiliser cet espace asymétrique pour servir ses oeuvres. Ainsi, dans une petite salle totalement plongée dans le noir, un écran de télévision passe un film de papillons virevoltants dans les bois sur une musique douce, seul habillage pour présenter sa peinture à l’huile, Projection 2. Un véritable voyage hors du temps, qui vous laisse vous immerger totalement dans l’univers de l’artiste.
Une autre oeuvre de ses séries peintes trône dans un box couvert de vert. Deux mains, peintes à partir d’une photographie extraite d’un magazine, où l’artiste amplifie toutes les nuances de couleurs. Et c’est là que les codes des deux genres se renversent : ce qui posait problème dans la reproduction photographique sert finalement la peinture.
D’autres tableaux représentent des inconnus endormis. Faites à partir de photographies prises dans le train, le sujet principal de ces toiles n’est jamais le personnage. L’artiste veut plutôt y souligner la tension qu’il existe entre l’état de veille et le sommeil. Les dormeurs sont représentés dans ce moment de tension entre un hypothétique réveil ou une rechute dans cet état d’inertie. Dans la salle de projection, une voix récite la première phrase du roman Du côté de chez Swann de Marcel Proust : « Le sujet s’endort et se réveille quand le sommeil l’a à peine envahi. »
Toutes ces petites tensions de la vie de tous les jours, toutes ces petites oppositions du réel, voilà sur quoi jouent les oeuvres d’Anne Bossuroy. La Bruxelloise est aussi connue pour ses « performances ». Ces moments de création en direct sont toujours éphémères, les photos ou vidéos ne peuvent qu’en garder une trace mais ne rendent jamais totalement la performance effectuée en public. Ainsi, dans le catalogue de photographies, vous pourrez revoir des photos de ses performances Blind Spots. La femme y peint les parties de son corps qu’elle arrive à voir en noir et laisse les autres blanches. Vous l’aurez compris, encore un moyen de jouer sur la tension entre ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas du réel.
Dernier espace de l’exposition, une salle où sont repris tous les livres des monographies précédentes. Aujourd’hui, ce sont donc les oeuvres de quarante nouveaux artistes que vous pourrez feuilleter à la Médiatine. L’occasion aussi de passer découvrir ces deux créateurs qui ont su se servir des contradictions de notre monde pour changer notre perception de celui-ci.
Céline Sohier (Stg)
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