Laurent Raphaël
Apocalypse now
L’édito de Laurent Raphaël
On en a déjà parlé. Et on en reparlera à coup sûr dans les prochains mois. Alors pourquoi en remettre une couche aujourd’hui? Parce que l’apocalypse fait des heures sup en ce moment. Impossible de passer à côté, une partie de la production culturelle carburant à la psychose planétaire. A croire qu’une assemblée secrète réunissant les experts du mainstream a décrété que 2011 serait l’année de la parano. Nouvelle démonstration avec Contagion, le nouveau Soderbergh, qui décline la thématique sur le mode viral. Avec son casting d’enfer (Matt Damon, Kate Winslet, Marion Cotillard…), le réalisateur canadien nous fait passer l’envie de serrer des louches pour le restant de la décennie. Le pied sur la pédale de l’hyper réalisme, il nous fait flipper un grand coup en saupoudrant son scénario catastrophe de toutes les peurs qui font ressembler le cerveau à un tableau électrique frappé par la foudre: ennemi invisible, complot, contagion massive… A côté de la pandémie imaginée par l’artificier des Ocean’s eleven, la grippe espagnole de 1918, qui a pourtant coûté la vie à 30 millions de malheureux, a des allures de banal rhume des foins.
Toujours à l’affiche, Melancholia a ouvert le bal funèbre en auscultant les états émotionnels de 2 soeurs alors qu’une météorite file droit sur la Terre. Même la comédie française se glisse dans la brèche, avec ce Skylab qui donne son titre au film de Julie Delpy, en référence à cette station américaine qui retrouvait le plancher des vaches dans les années 70 en allumant la mèche du fantasme apocalyptique du côté de la Bretagne où l’engin aurait pu théoriquement retomber. Plus de peur que de mal finalement. L’heure est tout aussi joyeuse dans les séries télé (Terra Nova où pour fuir un monde devenu irrespirable l’homme se projette dans la préhistoire), la BD (Un plan sur la comète d’Emile Bravo envisage le pire) ou la littérature (de Joueur_1 de Coupland à L’accordeur de silence de Couto, l’heure est grave).
Le mot lui-même, qu’on manipulait hier avec des pincettes pour ne pas attirer le mauvais oeil, fleurit comme les Starbucks dans les métropoles. Pour ficeler son bestiaire littéraire, Frédéric Beigbeider, qui s’y connaît en plomberie médiatique, a choisi un titre qui brasse l’air inquiet de l’époque: Premier bilan après l’apocalypse. Et comment va s’appeler la nouvelle maison d’édition de BD que lancera début 2012 Jean-Christophe Menu, ancien pilier de l’Association? L’apocalypse. Il faudra bientôt envisager de mettre du prozac dans l’eau de distribution si on ne veut pas que les gens se jettent par les fenêtres. On connaît les raisons. En vrac: la superstition autour de 2012, la crise économique, les émeutes de Londres, le climat insurrectionnel, la fracture sociale, le dérèglement climatique, l’instabilité politique…
Il en est au moins un à qui ce « fanatisme de l’apocalypse » comme il l’appelle donne des aigreurs, c’est Pascal Bruckner. Prompt à flinguer tous les conformismes (le bonheur, le mariage d’amour, etc.), le libertaire de service s’attaque cette fois à l’idéologie de la fin des temps que feraient régner selon lui les écologistes en empruntant à la religion sa science de la culpabilisation. Suicidaire à l’heure où l’Arctique n’est plus qu’un bac de glaçons? Les artistes auront en tout cas sonné le tocsin. Si demain l’apocalypse frappe à notre porte, il ne faudra pas venir pleurnicher…
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