Achille Ridolfi: la propagande de l’anti-héros
Achille Ridolfi est pour la première fois seul en scène. Dans deux spectacles: l’un au théâtre de la Toison d’or, l’autre aux Tanneurs, tout en jouant dans la saison 2 de La Trêve et avec Béatrice Dalle et Emilie Dequenne. De l’art de maîtriser le grand écart…
Sur l’affiche, l’allusion est discrète, bien qu’au premier plan. Il tient sous son bras droit un casque grec, avec panache en forme de crête. Référence à Achille, héros de la guerre de Troie, fils d’un roi et d’une nymphe. Achille que sa mère avait plongé tout entier dans le fleuve infernal Styx pour le rendre invulnérable, partout sauf à l’endroit par lequel elle le tenait, le talon, son unique point faible. « J’ai toujours adoré mon prénom, mais il n’est pas facile à porter », reconnaît Achille Ridolfi. « Achille, c’était le nom de mon grand-père. Apparemment, il y en avait beaucoup en Italie dans cette génération-là. Moi, quand je suis né en 1979, j’étais sûrement le seul Achille en Belgique. J’aime bien ce côté héroïque, avec une faille. »
À un certain moment, il y a un désir d’ouvrir d’autres portes…
Et comme pour souligner cette faille, lui et sa metteuse en scène Nathalie Uffner ont choisi pour titre de son premier seul-en-scène Anti-héros (1). Le spectacle aborde la question du mensonge et de l’imposture, en s’inspirant du film Appelez-moi Kubrick, avec John Malkovich, lui-même tiré d’une histoire vraie, celle d’Alan Conway, qui s’était fait passer dans les années 1990 pour Stanley Kubrick. « Ce qui m’avait interpellé dans ce personnage, c’était ce désir de devenir quelqu’un d’autre, de mettre de l’extraordinaire dans la vie ordinaire. Il y avait un écho avec mon histoire, avec mon désir de devenir acteur. » Version longue d’une version courte intitulée Presque vrai présentée au Festival XS au National, une mise en bouche prometteuse, Anti-héros prend pour personnage un acteur qui sait tout jouer et qui va enseigner au public quelques techniques de jeu, parfois un peu absurdes. « Ça m’intéressait de raconter à travers lui ce que j’ai pu vivre en tant qu’acteur, certaines humiliations lors de castings par exemple. » Et comme dans Presque vrai, ce format long lui permettra de montrer l’étendue de ses talents, de chanteur-auteur- compositeur aussi, lui qui s’est distingué en 2008 à la Biennale de la chanson française, décrochant le prix du public et la deuxième place.
C’est arrivé près de chez vous
C’est en réalité par la musique qu’Achille Ridolfi a commencé. « A 8 ans, j’allais à l’académie pour suivre des cours de solfège et de piano, inconsciemment pour attirer le regard de mon père, qui était musicien. » Né dans les Abruzzes, près de L’Aquila, le père en question débarque en Belgique dans les années 1970 avec l’ambition de faire carrière dans la musique. « A 26 ans, il a enterré tous ses rêves et il est devenu ouvrier, à Liège, chez Jupiler. Le matin, il travaillait à l’usine et l’après-midi, il prenait la camionnette pour vendre les glaces artisanales de ma mère, qu’il avait rencontrée dans un train-couchettes reliant Rome à Bruxelles. »
Dans les couloirs de l’académie, Achille Ridolfi entend un jour les élèves de déclamation en plein échauffement vocal. Intrigué, il pousse la porte. Un coup de foudre. Il quitte Liège pour Bruxelles pour rentrer à l’Insas (l’Institut national supérieur des arts du spectacle et des techniques de diffusion). « J’ai choisi l’Insas parce que j’avais des rêves de cinéma. J’avais un fantasme lié au film C’est arrivé près de chez vous. Je savais que c’était des gars issus de l’Insas qui l’avaient réalisé, je pensais que j’allais y rencontrer de futurs réalisateurs. La première année, j’étais un peu déçu parce que ça ne répondait pas à mes attentes: les sections cinéma et théâtre sont séparées. Mais j’ai rencontré des gens tellement formidables que je m’y suis plu. » Parmi ses professeurs, il y a le metteur en scène Michel Dezoteux, qui l’engagera dans Strange Fruit, L’Avare, Les Trois Soeurs... Parmi les élèves, il y a Aurore Fattier, pour qui il va jouer Phèdre et La Puce à l’oreille, il y a Julie Annen, qui le dirigera dans La Tempête et Les Pères, et il y a Selma Alaoui, qui le mettra en scène dans L’Amour, la Guerre et Apocalypse Bébé (toujours en tournée).
Double famille
Avec cette étiquette « Insas », on ne s’étonne pas de retrouver Achille Ridolfi cette saison aux Tanneurs, dans le prochain spectacle de Vincent Hennebicq: Propaganda! (2), également inspiré par un personnage ayant réellement existé, le publicitaire Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud, considéré comme l’inventeur de la propagande politique, de la manipulation de l’opinion et du consumérisme à l’américaine. Il est en revanche surprenant de voir le comédien à l’affiche du TTO, les deux familles théâtrales étant traditionnellement considérées comme mutuellement imperméables. « Mon projet, c’était de monter un seul-en-scène de comédie et à Bruxelles, ma référence en comédie, c’était Laurence Bibot, donc Nathalie Uffner, donc le théâtre de la Toison d’or, explique Achille Ridolfi. Donc, je suis allé voir Nathalie pour le lui proposer. Je voulais cette aventure-là, je voulais quelque chose de nouveau. Ça fait maintenant douze ans que je suis sorti de l’école. A un certain moment, il y a un désir d’ouvrir d’autres portes. Parfois, on est dans une zone de confort, au niveau du jeu, des rencontres, et on ne s’en rend pas compte. C’était pour moi une façon d’aller à la rencontre d’un public que je ne connaissais pas, d’un théâtre que je ne connaissais pas. Il n’y a pas d’a priori à avoir, on fait tous le même métier. »
Une autre porte qui s’est finalement ouverte pour Achille Ridolfi, c’est le cinéma, conformément à ses rêves d’adolescent. Principalement grâce à sa rencontre avec le cinéaste belge Vincent Lannoo. « J’ai commencé par faire de la figuration sur Vampires. On s’est tout de suite bien entendus. Plus tard, Vincent a écrit en pensant à moi le rôle du père Achille dans Au nom du fils. » Un rôle qui lui a valu le Magritte du meilleur espoir masculin en 2014. Pour Lannoo, Achille Ridolfi s’est aussi illustré dans Trépalium, série d’anticipation diffusée sur Arte, et dans A l’intérieur, autre série programmée sur France 2 courant 2019, où le comédien joue le rôle d’un homme atteint par le syndrome d’Asperger et où il côtoie Béatrice Dalle et Emilie Dequenne. Mais son actu la plus proche au rayon séries, c’est la saison 2 de La Trêve, « dans laquelle je joue un avocat engagé pour défendre un des personnages, je ne peux pas en dire plus ». Levée du mystère le 11 novembre prochain, date prévue pour le début de la diffusion sur la RTBF.
(1) Anti-héros: au théâtre de la Toison d’or, à Bruxelles, du 18 octobre au 17 novembre. www.ttotheatre.com
(2) Propaganda!: au théâtre les Tanneurs, à Bruxelles, du 22 janvier au 2 février 2019. www.lestanneurs.be
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