Critique | Cinéma

Un homme heureux: une comédie sur la transidentité avec Fabrice Luchini et Catherine Frot

3 / 5
Catherine Frot vient mettre la campagne de Fabrice Luchini sens dessus dessous. © National
3 / 5

Titre - Un homme heureux

Genre - Comédie

Réalisateur-trice - Tristan Séguéla

Casting - Catherine Frot, Fabrice Luchini

Sortie - En salles

Durée - 1h29

Critique - Jean-François Pluijgers

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Tristan Séguéla réunit le duo Fabrice Luchini-Catherine Frot dans Un homme heureux,  une comédie sur la transidentité surfant sur l’air du temps.

Des drames sur la transidentité, le cinéma en a produit quelques-uns ces dernières années, de Laurence Anyways de Xavier Dolan à The Danish Girl de Tom Hooper, de Una mujer fantástica de Sebastián Lelio à Girl de Lukas Dhont. Rares, par contre, sont les films à avoir embrassé le sujet sous l’angle de la comédie, parti pris adopté aujourd’hui par Tristan Séguéla dans Un homme heureux. Le cinéaste français y met en scène le maire ultra-réac (Fabrice Luchini) d’une petite ville de province française dont la campagne de réélection vacille lorsque sa femme (Catherine Frot) lui annonce être un homme depuis toujours, et avoir entamé sa transition. “La transidentité peut passer pour un sujet grave. Et si tel était le cas, c’est évidemment tentant d’en faire une comédie, parce que la comédie reste quand même une manière merveilleuse d’aborder les sujets graves, commence Séguéla. Mais ce que j’espère paradoxalement, c’est que le film montrera que ce n’est pas si grave que ça. Mon intention n’était pas du tout de faire de la politique ou de la morale. Mais je me suis aperçu d’une chose quand j’ai montré le film à des personnes transgenres, c’est qu’elles m’ont dit: “C’est la première fois qu’on voit une personne trans dans un film ou dans un téléfilm montrée sous un jour heureux, joyeux, positif.” Elles étaient quelques-unes, et ça leur a fait vachement du bien.

Ou comment (se) jouer des codes de représentation. Et désamorcer, dans la foulée, d’éventuels procès en légitimité, même si certaines voix se sont élevées pour s’étonner de voir une comédienne cisgenre interpréter un personnage engagé dans une transition. “Il y a eu une espèce de petite polémique au début. On était en plein casting, le film n’avait pas encore commencé qu’il faisait déjà couler un peu d’encre dans certains milieux, où on reprochait à Catherine Frot de ne pas être une comédienne transgenre, relève le réalisateur, avant de poursuivre: Ce n’est pas un film militant, je ne suis pas militant moi-même. En revanche, il y a un regard qui est le mien sur une question réelle, qui est celle qui se pose à ces deux personnages. Et après, il y a des résonances dans la société. C’est parce que le sujet est brûlant aujourd’hui que le film existe tel qu’il est, avec deux immenses comédiens de renom, et que c’est une comédie populaire portée par un grand studio, je ne suis évidemment pas dupe de tout ça. Si ça m’a excité, c’est aussi parce que le sujet est brûlant. Après, pour ce qui est de la question d’identité de genre de la comédienne principale, ça a fait débat, on a vu des comédiennes arrêter des films… Si je devais répondre de manière un peu objective, je dirais que le personnage qu’interprète Catherine Frot entame sa transition de genre. Donc, si je voulais être fidèle aux préceptes qui ont poussé des gens à se retirer de projets, il aurait fallu que je trouve une comédienne qui entame sa transition au début du tournage, et la poursuive pendant. Ça pourrait être intéressant, mais ce n’était pas l’idée…” Quitte à s’inscrire en faux contre un nouveau politiquement correct…

Slogans de campagne

S’il traite d’un sujet brûlant, Un homme heureux le fait en recourant à des recettes éprouvées, évoquant le boulevard façon La Cage aux folles d’Édouard Molinaro, tandis qu’il joue à plein de l’opposition de style entre ses deux comédiens principaux, Catherine Frot s’emparant du personnage d’Édith/Eddy sans distance ni ironie, à quoi Fabrice Luchini répond avec un brio comique et un esprit rarement pris en défaut. L’acteur trouve il est vrai en Jean Leroy un rôle de bourgeois réac que l’on jurerait taillé sur mesure, le film se faisant le plus piquant quand il dépeint une ville de province et son maire arcboutés sur leurs valeurs, accréditant au passage l’idée d’une France à deux vitesses.

Je n’ai pas amplifié, je ne crois pas que le portrait que je dresse de cette ville de province soit caricatural. Quand je vois le film, je me dis qu’à quelques détails près -la forme des voitures, l’écran plat accroché dans le coin du bar PMU-, il pourrait dater des années 80 ou 90, ce serait la même chose. Mais je n’ai pas amplifié, cette ville est ainsi faite. Et les gens qui l’habitent sont comme ça, les figurants sont les habitants de Montreuil. Un élément fort du film, c’est ce côté très enraciné, emmuraillé presque, qui vient se faire percuter par un événement ultracontemporain.Jusqu’au slogan de campagne du maire, En avant comme avant, qui semble surgi d’une capsule temporelle; comme un clin d’œil, se risque-t-on, à La force tranquille qu’avait imaginé Jacques Séguéla pour François Mitterrand en 1981: “Mon père n’aurait pas fait mieux, je crois. D’ailleurs, quand je lui ai soumis le slogan, ça l’a bien fait marrer. C’est un slogan parfait pour un candidat bien à droite, peut-être qu’il sera récupéré…” (rires). Voire.

Un homme heureux

Le jour où Edith (Catherine Frot), sa femme depuis 40 ans, lui annonce avoir toujours été un homme, Jean Leroy (Fabrice Luchini), le maire ultra-conservateur de Montreuil-sur-Mer, commence par la sommer d’arrêter là ses inepties. S’avisant toutefois qu’elle est on ne peut plus sérieuse et déterminée à mener sa transition jusqu’au bout, il réalise qu’il va lui falloir jouer serré pour tenter de sauver leur couple mais aussi assurer sa réélection. S’attelant à une comédie sur la transidentité, Tristan Séguéla (Seize ans ou presque, Docteur?) use de ressorts de boulevard -on pense à La Cage aux folles- pour dispenser un message de tolérance. Si Un homme heureux ne brille pas toujours par sa finesse, et que la composition de Catherine Frot en homme trans a le don de laisser perplexe, l’ensemble n’est dénué ni de saveur ni de piquant -Luchini, mais aussi Philippe Katerine, en adjoint au maire, sont impériaux-, tout en s’inscrivant à rebours du néo-politiquement correct…

De Tristan Séguéla. Avec Fabrice Luchini, Catherine Frot, Philippe Katerine. 1 h 29. Sortie: 15/02. 6

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content