Derrière le racisme, l’antisémitisme ou le sexisme, une implacable logique de castes
La rumeur selon laquelle Aya Nakamura pourrait chanter aux J.O. a déclenché une vague de commentaires haineux. Derrière le racisme, une logique de castes, et donc de pouvoir d’un groupe sur un autre.
On n’en a pas fini avec le racisme. Ce qu’il faut bien appeler « l’affaire Aya Nakamura » l’a encore prouvé. Pour rappel, la rumeur -non confirmée- selon laquelle l’artiste française la plus écoutée dans le monde aurait été invitée par Emmanuel Macron à interpréter une chanson d’Édith Piaf lors de la cérémonie d’ouverture des prochains Jeux Olympiques de Paris a déclenché un lynchage médiatique orchestré par tout ce que la France compte de réacs, de fachos et d’identitaires. Huées lors d’un meeting d’éric Zemmour, critiques tendancieuses de la part de parlementaires du Rassemblement National… Le clou de cette campagne de haine revient à une banderole diffusée sur les réseaux sociaux par un groupuscule d’ultradroite, Les Natifs, et pastichant les paroles de son tube Djadja: « Y a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako! » De l’humour « banania » comme on pensait ne plus jamais en voir.
Que lui reprochent exactement ces nostalgiques d’une France « béret, baguette et vin »? Officiellement, de charcuter le français dans ses ritournelles. Coupable donc (comme Baudelaire, comme Céline, comme Brassens…) de malaxer la belle langue française qui, dans leurs hallucinations cocardières, n’a pas bougé d’une virgule depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539. Ce qui est évidemment faux. Et heureusement. Un idiome est un morceau de terre glaise. Sa forme évolue au gré des innovations techniques, des échanges culturels et de la créativité lexicale des artistes. Mais les gardiens d’une pureté fantasmée ne tolèrent évidemment l’art que quand il ne fait pas de vagues, s’en tient à une fonction purement décorative et caresse la rhétorique identitaire dans le sens du poil. Comme en Russie en somme…
Officieusement, ce qui coince, soyons clair, c’est surtout qu’Aya Nakamura soit une femme, noire, fière et puissante. Ses lyrics ont bon dos. La star charismatique bouscule leur imaginaire xénophobe. Si au moins elle avait la décence d’être polie et bien élevée. Même si pour cette mouvance d’extrême droite de plus en plus décomplexée, seule une Marianne sortie d’un tableau de Delacroix ferait probablement l’affaire pour représenter la France de leurs rêves. Et tant pis pour l’anachronisme complet et pour la dissonance avec la philosophie universaliste des J.O. Tant qu’on y est, ne faudrait-il pas refouler à la frontière tous les athlètes de couleur? On ne sait jamais, ils pourraient devenir des modèles pour la jeunesse hexagonale.
Pour un peu, on se croirait revenu à l’époque de l’affaire Dreyfus, quand la presse nationaliste, chauffée à blanc par l’antisémitisme viscéral de l’Action française, s’acharnait sur le prétendu traître (innocenté et réhabilité en 1906). La cible n’était pas une femme noire mais un homme blanc et juif. Rien à voir du coup? Pas si vite. On a pris l’habitude de distinguer les discours de haine selon les caractéristiques des cibles visées: sexisme, racisme, antisémitisme, etc. Une distinction en partie justifiée par les trajectoires spécifiques de chaque groupe mais qui empêche de traiter le problème dans sa globalité. Or, toutes ces idéologies partagent un ADN commun: elles reproduisent un système de castes qui légitime la supériorité (au nom de critères physiques mais parfois juste culturels ou religieux) d’une communauté sur une autre. Les Brahmanes sur les Dalits en Inde, les nazis sur les Juifs, les Blancs sur les Noirs ou les Amérindiens, les Chinois sur les Ouïghours, les hommes sur les femmes, etc.
C’est la thèse stimulante formulée par la journaliste Isabel Wilkerson, dont l’essai Caste: The Origins of Our Discontents a semé l’émoi lors de sa parution en 2020. Un déclic pour beaucoup. Et notamment pour la réalisatrice afro-américaine Ava DuVernay, qui revient sur la genèse de ce paradigme dans son film Origin qui sortira le 27 mars. Une clé pour comprendre ces cas qui brouillent les classifications standards, comme quand Kanye West, alias Ye, reprend les diatribes nauséeuses des suprémacistes, ou comme quand un Latino exécute un jeune homme noir dans un quartier peuplé majoritairement de… Blancs (affaire Trayvon Martin). Plus que les préjugés raciaux, ce sont des logiques de domination économique, culturelle et symbolique qui sont à l’œuvre ici.
Pour soigner une maladie, il faut d’abord un bon diagnostic. On l’a. Il ne reste plus qu’à trouver le vaccin. « Donne-moi douceur/Rien d’meilleur que l’osmose« , chante la Franco-Malienne sur le titre Ça blesse. Un bon début… ●
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