Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

le feu sacré – La réédition de Boy, October et War, parus entre l’automne 1980 et le début 1983, montre le cheminement rapide des quatre garçons de Dublin.

« Boy » « October » « War »

Distribué par Universal.S’il finira par être un succès et se vendre à quatre millions d’exemplaires dans le monde, le disque inaugural de U2, Boy, sonne de façon quelque peu scolaire, vingt-huit ans après sa parution. La production assumée par Steve Lillywhite couvre la voix de Bono d’une couche de réverb exagérée qui en accentue encore l’emphase. Et comme le prouve le solo plutôt laborieux d’Another Time, Another Place, la virtuosité guitaristique de The Edge est encore à venir. Mais la présence en intro d’une chanson instantanément entraînante aux convictions religieuses – I Will Follow – est l’indice d’un sens affiné de la mise en scène et des intentions de Bono, dont la plupart des textes s’adressent à l’adolescence périmée et à la perte de sa propre mère à l’âge de quatorze ans. D’où des tonalités évoquant aussi la rêverie et l’expression sexuelle, cette dernière valant à U2 aux Etats-Unis une reconnaissance instantanée dans les milieux gays… Une confusion des genres vite effacée par October, album aux influences spirituelles plus prégnantes et premier tome des évangiles du groupe. Gloria, en ouverture, confirme cette option par un chorus en latin ( Gloria, in te domine), Dieu faisant aussi acte de présence dans Tomorrow et With A Shout (Jerusalem). La production, toujours signée par Lillywhite, s’autorise quelques audaces instrumentales, notamment dans I Threw A Brick Through A Window qui prouve que Larry Mullen Jr sait sortir de son monotone click de batterie. L’album sera plus ou moins vilipendé par la critique, l’actuel public de U2 le plaçant en bas de liste de ses favoris… Ce qui n’est pas le cas de War, un album qui s’imprègne clairement des ondes géopolitiques négatives du début des années 80: invasion de l’Afghanistan par l’Union Soviétique, élection de Ronald Reagan, intervention américaine au Liban, virulence de Margaret Thatcher précipitant la guerre des Falklands et ne remédiant en rien à la sauvage crise d’Irlande du Nord. Les lyrics de Bono s’en ressentent fortement et U2 baptise son troisième studio à la manière d’un constat cruel sur l’impossibilité du monde, un mot court qui tranche comme un slogan impuissant: War. Deux chansons fortes, imparables, sanctifient la préoccupation du groupe de ne pas seulement cultiver le divin mais de revenir sur Terre: New Year’s Day évoque le syndicat polonais Solidarité et le morceau d’ouverture, une nouvelle fois consistant, Sunday Bloody Sunday, revient au massacre de catholiques par l’armée britannique un dimanche sanglant de 1972. U2 et Bono justifient leur emphase en s’adressant directement à la souffrance: c’est philosophiquement plus défendable et musicalement parlant, plus convaincant. Le groupe, sorti de sa période scolaire, domine désormais son propre espace rythmique et spirituel. War détrône Thriller au sommet des charts, notamment en Grande-Bretagne. La machine du « plus grand groupe du monde » est lancée.

uLes versions Deluxe contiennent un livret particulièrement soigné et documenté et offrent à chaque fois, un second CD composé d’inédits, raretés, live et autres remixes.

PHILIPPE CORNET

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