Du maestro de Rimini à l’animation japonaise, en passant par B.B. ou les Lanternes magiques, visite de quelques expositions cinéma de saison…

Longtemps phénomène marginal, les expositions consacrées au cinéma sont en passe de devenir une (bonne) habitude. Méliès, Hitchcock, Almodovar, Chaplin, Bond ou Grace Kelly hier, Fellini, Brigitte Bardot ou Tim Burton aujourd’hui, le Septième art investit désormais les cimaises (quand ce ne sont pas les vitrines d’un grand magasin, à l’instar de David Lynch aux Galeries Lafayette), pour le bonheur conjoint des cinéphiles et autres curieux.

à cet égard, l’exposition Fellini, la grande parade, présentée pour l’heure au Musée du Jeu de Paume à Paris, apparaît exemplaire d’une tendance à sortir le cinéma des salles obscures pour le replacer dans un contexte plus vaste -traitement de faveur dont a déjà bénéficié avec succès un Jacques Tati, par exemple. S’agissant de Federico Fellini, le propos de Sam Stourdzé, le commissaire de l’exposition, est tout à la fois de communiquer sa passion pour l’£uvre du cinéaste de Rimini, l’auteur de monuments comme La Strada, La Dolce Vita ou autre Armarcord, et d’en donner diverses clés, venues à la fois éclairer la méthode de travail du Maestro et inscrire sa démarche dans son époque. « Au-delà de donner à voir l’univers de Fellini, l’ambition de ce parcours est d’établir un dialogue entre les images fixes et les images animées, explique-t-il dans le journal de l’exposition . L’idée qui en découle – un laboratoire visuel pour le spectateur – est de pouvoir embrasser du regard le champ et le hors-champ du cinéaste, le film et ses coulisses. » Soit une façon, aussi, d’interroger le siècle de Fellini, plutôt que de s’en tenir à une stricte chronologie ou filmographie – le tout à l’aide de quelque 400 documents, dont certains inédits.

S’ouvrant sur une série de claps et une affiche imposante de La Dolce Vita, s’attardant ensuite sur le Fellini caricaturiste – l’artiste avait le trait éloquent, comme en témoigne également Le Livre des rêves qu’il remplira pendant 30 ans de ses dessins à l’invitation du psychanalyste Ernst Bernhard -, le parcours, articulé en quatre sections principales, balaie une mosaïque de thématiques et autres figures récurrentes de l’univers de Fellini, non sans questionner son rapport au réel. La culture populaire y occupe une place fondamentale, dont sont ici embrassées de multiples émanations, de la bande dessinée aux parades; du cirque au roman-photo. Suivront, dans l’ordre de la visite, des chapitres consacrés respectivement à Fellini à l’£uvre, la cité des femmes (d’Anita Ekberg, dont la beauté ravageuse lui avait inspiré, en première instance, cette pensée: « Mon Dieu, faites que je ne la rencontre jamais! », à Giulietta Masina) et, enfin, l’invention biographique.

Au-delà de l’intérêt des documents et de l’exploration de motifs bien connus pour certains, moins pour d’autres, l’exposition dévoile un paysage fascinant. C’est, par exemple, le maestro sollicité par quantité d’aspirants figurants s’estimant « felliniens », en une surprenante galerie de portraits; ou encore la façon subtile dont il revisite la scène de la fontaine de Trevi dans Intervista. C’est aussi, étayée par divers exemples, l’illustration de l’ancrage de la fantasmagorie fellinienne dans l’actualité – ainsi de la scène d’ouverture de La Dolce Vita, jugée blasphématoire par certains, mais directement inspirée de pareil transport qui avait vu, quatre ans plus tôt, une statue du Christ héliportée de Milan au Vatican. Soit un des nombreux emprunts à l’actualité que ne dissimulait d’ailleurs nullement le réalisateur, déclarant au sujet du film: « Mes collaborateurs et moi-même n’avons eu qu’à lire les journaux pour trouver des éléments de documentation passionnants. «  A charge pour Fellini de façonner le réel en spectacle, art dans lequel il sera passé maître, non sans aussi questionner les glissements successifs de l’univers médiatique. Mais surtout, peupler nos rêves de ses visions exubérantes et autres suspensions oniriques – La grande parade est d’ailleurs la plus belle invitation qui soit à se replonger dans son univers, l’exposition trouvant un prolongement bienvenu dans la (ré)édition de divers films et documents en DVD (lire en page 30).

Initiales B.B.

Outre le génie, Fellini tutoyait volontiers le mythe, de la fontaine de Trevi à son Casanova (encore qu’il s’attachât surtout, en la circonstance, au pathétique du personnage); on y entre de plain-pied avec Brigitte Bardot, les années « insouciance », exposition qu’accueille l’Espace Landowski, à Boulogne-Billancourt. S’appuyant sur un nombre exceptionnel de documents – photos, couvertures de magazines, extraits de films, images d’actualités,… – et autres pièces de collection, l’hommage s’adresse à l’icône B.B., encore que la pasionaria de la cause animale ne soit pas oubliée.

Accueilli, au son du Brigitte Bardot de Dario Moreno, par une B.B. arborant bottes et drapeau français pour toute tenue, le visiteur est d’abord invité à prendre la mesure du phénomène Bardot qui agita le monde dès le milieu des années 50, déclenchant l’hystérie comme l’opprobre – un portrait de la star emprunté à En effeuillant la marguerite incarne, par exemple, la luxure dans le pavillon du Vatican lors de l’Exposition universelle de 1958. C’est que, entre-temps, Et Dieu créa la femme était passé par là, élevant l’actrice au rang de mythe instantané et sulfureux, incarnation de l’émancipation féminine comme de la révolution sexuelle; ce à quoi, ne la prédestinaient à vrai dire ni l’époque (la France de René Coty), ni une éducation bourgeoise.

De ce destin singulier et scintillant, l’exposition, ode à une beauté incandescente, offre une vision panoramique. De la couverture médiatique à la mode, de la publicité à la chanson, de Saint-Tropez à ses combats, de ses amours à son influence, il n’est guère de facette du mythe qui ne soit explorée, avec une place privilégiée pour le cinéma qui, plus que toute autre expression, contribua, de 1952 à 1973, au rayonnement de B.B. (et, incidemment, à la balance commerciale de la France, les exportations de ses films rapportant plus à l’Etat que celles des automobiles Renault). De Manina la fille sans voiles, dès 1952, aux Novices, en 1970, et autres Pétroleuses, un an plus tard, le parcours n’est certes pas peuplé que de chefs-d’£uvre. Il conforte cependant l’image de Bardot sex-symbol, sachant hypnotiser la caméra autant que les spectateurs. Non sans receler quelques moments de choix qui, de La Vérité de Clouzot, au Mépris de Godard, en passant par Viva Maria! de Malle, sont ici largement documentés. Soit une balade à fleur de légende, sur les traces d’une star dont Cocteau disait: « Elle vit comme tout le monde en n’étant comme personne »; à quoi Arletty ajoutait: « Elle a changé les canons de la beauté. Avant elle, les stars descendaient les escaliers empanachées. Elle les montait nue. Le public y a gagné… »

Anime, dans tous ses états

Le Caermersklooster de Gand propose pour sa part, en prolongement du Festival du film, une exposition consacrée aux films d’animation japonais – désignés par le terme Anime. Pas de B.B. à l’horizon ici (la 2D est d’ailleurs de rigueur) mais, sous l’intitulé Anime! High Art – Pop Culture, un vaste panorama d’un genre dont le succès international a littéralement explosé depuis quelques années. On peut d’ailleurs en voir actuellement un échantillon en salles, avec Astroboy, inspiré de la série de Tezuka Osamu, l’un des auteurs mis à l’honneur par l’exposition, au même titre que Isao Takahata et l’incontournable Hayao Miyazaki, dont Totoro ouvre la visite.

Didactique, et s’appuyant sur quantités de documents, dessins, figurines et extraits de films, l’exposition décline ensuite six facettes du genre anime en autant de modules distincts. Après les années 60 dans la section Kodomo no Anime, on découvre ainsi les Shojo (destinés aux jeunes filles, comme Princesse Saphir ou Sailor Moon) et les Shonen (pour les garçons, à l’instar de Dragon Ball Z), avant un détour par la Pink Industry – production à vocation adulte, où la pornographie dure côtoie l’érotisme soft -, un volet Fantasy Anime et un autre consacré à l’animation en 3D, marginale toutefois, comme dans l’histoire nippone de la représentation. A quoi s’ajoutent différents sous-genres, dûment explicités, et abondamment illustrés, comme l’une ou l’autre digression, par les studios Ghibli, notamment. Soit une immersion captivante dans un univers dont les codes sont décryptés, en même temps que l’on en découvre de nombreuses expressions à l’écran, parmi lesquelles des incunables façon Speed Racer ou Momotarô: Divine Soldiers of the Sea.

A l’origine du cinéma

Enfin, les amateurs de (pré)histoire du cinéma ne manqueront en aucun cas les drôles de machines réunies à la Cinémathèque française, dans le cadre de l’exposition Lanterne magique et film peint. L’occasion de déambuler parmi d’innombrables pièces de collection, mais aussi de se replonger avec délice en un temps où ces machines optiques nourrissaient, à l’aide d’images peintes sur des plaques de verre, les rêves et les peurs de tout un chacun, non sans servir encore des desseins éducatifs.

« Tout le cinéma dans son intégralité vient des premiers magiciens et des spectacles de la lanterne magique », écrit Francis Ford Coppola, à propos d’un objet qu’inventa, en 1659, l’astronome hollandais Christiaan Huygens. Lequel, craignant pour sa réputation, tenta de dissimuler sa trouvaille. Sans succès toutefois, puisque les lanternes magiques devaient rapidement conquérir le monde. Non sans élargir leur champ d’exploration, passant de la représentation de scènes de la vie quotidienne à celle des contes et légendes. Ou proposant, dès le XVIIIe siècle, des sujets érotiques et d’autres, fantasmagoriques; quelques-unes des étapes joliment mises en perspective dans un parcours proposant encore des projections et une interactivité bien pensée, histoire aussi de se pénétrer de la magie et des possibilités d’un objet qui ne serait supplanté que par le cinématographe des frères Lumière…

Fellini, La Grande Parade, jusqu’au 17 janvier au Musée du Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, Paris. www.jeudepaume.org

Brigitte Bardot, Les années « insouciance », jusqu’au 31 janvier à l’Espace Landowski – MA30, 28, av. André-Morizet, Boulogne-Billancourt. www.expobrigittebardot.com

Anime High Art – Pop Culture, jusqu’au 10 janvier au Caermersklooster, Vrouwebroerstraat, 6, Gand. www.caermersklooster.be

Lanterne magique et film peint, 400 ans de cinéma, jusqu’au 28 mars à la Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, Paris . www.cinematheque.fr

Texte Jean-François Pluijgers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content