Quand les jouets ne servent pas à amuser les mioches, ils font avancer les bricolos de la musique. De Pascal Comelade à Psapp.
Depuis un mois, comme chaque année à la même époque, un flux ininterrompu de toutes-boîtes promo-tionnels font scintiller les yeux des gamins. Plus rapides que l’âne de Saint-Nicolas et les rennes du père Noël. Tout le monde n’attend pas pour autant les fêtes de fin d’année afin de débroussailler les magasins de jouets et d’arpenter les brocantes à la recherche d’une guitare en plastique, d’un piano en bois ou d’une poupée qui parle. Le but de ces grands explorateurs? En extirper des sons et créer des chansons. » Faire de la musique avec des jouets est une marque d’humanité. Pas une trace d’intelligence ou un gage de qualité » , avertit Pascal Comelade.
Pascal Comelade, c’est la référence en la matière. Depuis trente ans, sa musique, tant en solo qu’avec son groupe à géométrie variable, le Bel Canto Orquestra, se caractérise par l’utilisation de ce que certains considèrent comme des gadgets: les instruments jouets. » Je suis un analphabète de la musique. Un véritable autodidacte« , insiste l’artiste, inclassable. Passionné par la musique instrumentale, Comelade, jeune, ne se retrouve pas dans le classique, la B.O., l’ambiance, le typique (mambo, cha-cha-cha) et la surproduction des groupes pseudo symphoniques qui reprennent les succès de hit-parade. » Cela ne collait pas à ma culture rock » , argue-t-il. Arrive un double choc. La lecture des écrits d’Erik Satie, qui s’interroge sur la place du musicien dans la société, ainsi que la découverte de John Cage et de ses pianos jouets. » Je me suis vite mis à injecter de nouveaux sons dans ma musique. J’ai commencé par utiliser ce qu’on me donnait, ce que j’achetais dans les marchés aux puces et ce que je trouvais dans les poubelles. »
Toytronica et télé
Ce qui intéresse Comelade? Les sons. » On peut distinguer quatre formes d’instruments: les instruments traditionnels, les instruments jouets, les instruments fabriqués et les objets dont l’utilisation est détournée. L’acoustique d’un piano-jouet, qu’il soit en bois ou en plastique, est fabuleuse et tout bonnement impossible à reproduire avec des synthés. »
Si les instruments jouets ne produisent que quelques notes et peuvent rapidement mener à une musique répétitive, ils sont employés dans le monde du rock indé, de la pop et de la variété depuis la nuit des temps. The Clash, pour ne citer que lui, a utilisé des pianos jouets pendant l’enregistrement de Sandinista. Plus récemment, un groupe comme Psapp a fait des objets du quotidien et des jouets au sens large, sa spécialité. Le duo londonien achète une multitude de trucs idiots dans les magasins pour enfants et les boutiques d’occasion. Xylophone de mioche, poulet mécanique, poupées en plastique qui couinent et marion-nettes aux sonorités loufoques. Galia Durant et Carim Classman qualifient leur musique de toytronica. Soit de l’électro générée par des jouets. Un univers moins hermétique qu’il n’y paraît. Les chansons de Psapp, espiègles, inattendues, faites de bric et de broc, ont d’ailleurs rencontré le grand public, servant de générique à Nip/Tuck et à Grey’s Anatomy.
Pour créer leur univers éminemment personnel, les deux s£urs Casady de CocoRosie ont elles aussi puisé dans leurs souvenirs et les vestiges de leurs premières années. La Maison de mon rêve devant une partie de son charme aux bruits d’eau, de casserole et… de jouets entassés sur ses 12 titres poétiques et oniriques. Bianca et Sierra revendiquent la part d’enfance qui sommeille et trépigne en elles. » De tous les arts, la musique est celui qui a le plus à voir avec la magie« , disent-elles.
Pascal Comelade, lui, évacue les idées reçues. La vision erronée qu’on pourrait avoir de sa démarche. » Je fais l’objet d’un malentendu. Le rapport à l’enfance, à l’éducation ne m’intéresse en rien et ma musique ne passionne pas les gosses. On peut fixer le seuil de tolérance à cinq minutes. J’ai accepté à deux reprises de me produire devant des enfants parce que des organisateurs de concerts insistaient. Très vite, ils se mettent à gueuler, à flipper. Je n’ai rien à voir avec les productions musicales pour enfants. Ce marché faramineux que je perçois comme un produit dérivé de l’industrie du jouet. »
Toystore et variété
Pascal Comelade n’est pas un vendeur de disques. Il gagne sa vie avec l’utilisation secondaire de sa musique. En d’autres termes avec le cinéma, la publicité. Il les voit arriver de loin les pseudo artisans avec leurs gros souliers. Les pilleurs de la variété qui se cherchent une légitimité . » C’est pour certains une posture de snob. L’envie de faire l’intéressant. De se démarquer. Des millions de chanteuses occupent le terrain et elles ne se distinguent pas au grain de leur voix. Depuis quatre ou cinq ans, je remarque le retour en force de la chanson. Avec souvent l’utilisation d’un médolica, d’un instrument jouet. C’en est devenu banal. Les outils prétendument libertaires comme Internet mènent à l’uniformisation. Une mode dominante dans les années 60 ou 70 ne durait que deux semaines. Aujourd’hui, quand ça commence, on est parti pour dix ans. Certains vont jusqu’à prétendre dans les crédits de leur disque avoir utilisé un piano de gosse alors que les sons ont été enregistrés à la guitare… «
Ce n’est pas le cas de Coralie Clément qui a intitulé son dernier disque Toystore et exploité les possibilités d’un métallophone pour mioche, d’un sifflet de poche en forme de toucan… » Benjamin (Ndlr, Biolay, son frère) a eu l’idée d’utiliser les jouets de sa fille. Enfin, il en a rachetés… Nous ne sommes pas cruels à ce point. Ces instruments sont difficiles à maîtriser et ils ne sont pas de grande qualité mais ils ont le mérite d’être différents et débouchent sur des sons intéressants. Des sons qu’on n’a pas l’habitude d’entendre. »
Loin d’elle le sentiment de nostalgie, du retour en enfance. » Les premières années passent encore mais je ne retournerais pour rien au monde dans l’adolescence. L’idée d’ailleurs n’est pas d’aboutir à de l’enfantin mais bien à du ludique. » Le jeu en vaut la chandelle.
www.myspace.com/comelade
www.myspace.com/coralieclement
www.myspace.com/cocorosie
Texte Julien Broquet
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