ILS S’APPELLENT THE GLÜCKS, ALPHA WHALE, LEOPARD SKULL. NE PASSENT PAS SUR STU BRU. N’ONT JAMAIS JOUÉ À L’ANCIENNE BELGIQUE. MAIS INCARNENT D’OSTENDE À GAND, LE RENOUVEAU DU ROCK GARAGE ET PSYCHÉDÉLIQUE FLAMAND. VOYAGE AU CoeUR DE L’UNDERGROUND ET DU DO IT YOURSELFFLANDRIENS…
Gand. Veille de 11 novembre. Un appart au cinquième étage. La tête quasiment dans les arbres, affalés dans le divan, deux mecs fument devant National Geographic. Leur coloc Jonas Messelier est le bassiste d’Alpha Whale. Groupe psychédélique encore jeune, genre Allah-Las de la Mer du nord et surf sous valium, fan de Burger Records. Barbe rousse et touffue, bonnet vissé sur la tête, relax attitude qui lui colle à la peau et lui coule dans les veines, Jonas a 29 piges, bosse avec des personnes handicapées et a été coureur à vélo dans une autre vie. Champion de Flandre occidentale sur route junior. « J’ai souffert de problèmes de hanches étant gamin. Les médecins m’ont interdit le skate. Alors, j’ai fait du cyclisme en guise de thérapie jusqu’à ce que je sois rattrapé par mes soucis de santé. »
Jonas allait dans la même école secondaire que ses comparses Jan et Bart. Un établissement scolaire de Gistel, la ville de Johan Museeuw. « On connaît bien son fils qui est d’ailleurs déjà venu nous voir plusieurs fois en concert. » Alpha Whale est né en 2011 après un gig des Growlers au festival anglais End of the road. « Bart avait acheté une guitare. Il ne savait pas jouer mais apprenait avec des chansons de Django Reinhardt. On a commencé à jammer dans son jardin. »
Cela fait une dizaine d’années maintenant que Jonas est tombé, avec Black Angels et les débuts de Pink Floyd, dans le chaudron bouillonnant des musiques psychédéliques. « Puis, étrangement, Bart s’est intéressé à Burger Records. Il avait toujours baigné dans le trip électronique. Mais il s’est mis à faire du skate et à découvrir plein de chouettes trucs en regardant des vidéos de planches à roulettes: White Fence, les Tijuana Panthers, les Black Lips… »
Tel un irréductible Gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur, Jonas entretient avec la musique si pas un rapport d’un autre temps, une relation en rupture avec son époque. « Quand je découvre un artiste, je tiens à posséder toute sa discographie. A tout écouter de A à Z, à le comprendre. Avec un Neil Young ou un Tom Waits, c’est du boulot. Mais bon, je ne veux pas « consommer » la musique et c’est compliqué de nos jours. Tellement de trucs sortent aujourd’hui. Je vois beaucoup de concerts. J’ai récemment craqué sur les Meridian Brothers et Mdou Moctar. Du blues du Sahel. Dans l’esprit de Bombino ou de Tinariwen. La musique doit me toucher et c’est souvent le cas quand elle se fait psychédélique. »
Davantage qu’un label californien qui dégaine les cassettes garage et psyché plus vite que son ombre, Burger Records représente à ses yeux un lifestyle. « Je vois Burger comme une manière de vivre. C’est la preuve qu’on peut fumer beaucoup de weed tout en restant productif, rigole-t-il. Burger, c’est une affaire de famille. Pas une religion mais presque. Quelque chose qui guide les gens. Qui incarne des normes et des valeurs. Une autre vision de l’existence. Quand tu croises des mecs avec un badge ou un t-shirt Burger, tu sais à qui tu as affaire. »
La tornade Glücks
Pour l’instant, Alpha Whale n’en est encore qu’à ses balbutiements. Il a enregistré quelques morceaux à Oevel, près de Westerlo, au Hightime Studio, avec Thomas Valkiers de Double Veterans, supergroupe dont l’imparable single Beach Life rappelle au bon souvenir des nineties. Il vient aussi de mettre en boîte neuf titres pour Philippe Decoster du label 62TV. « Bert, notre batteur, a été le roadie des Tellers et a rencontré Philippe à South by Southwest il y a quelques années. Le CD devrait sortir en février ou mars. Il est difficile de traverser la frontière linguistique mais on aime beaucoup la Wallonie. C’est plus chill et californien que chez nous… »
A Gand, Jonas zone au Video, au Kinky Star… « Le Charlatan, c’est plus ce que c’était. Il a tourné r’n’b. C’est là où tu vas le week-end si tu as envie de baiser et que tu es désespéré. » On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même: depuis six ans, il organise le festival Rock Zerkegem. Sept euros l’entrée, un euro la pinte… « Zerkegem est un bled paumé. Nous, on traînait à De Couveuse. Une espèce d’auberge de jeunesse à Eernegem. On prenait possession du bar. On mettait notre musique. Baissait nos pantalons et dansait avec une chaise sur la tête. Un beau jour, avec un pote, sur le chemin imbibé du retour, on a eu l’idée de monter un festival. On a d’abord fait jouer des groupes locaux pour 50 euros. On a seulement viré rock garage l’an dernier. Il n’était déjà pas très hot à l’époque. Alors imagine à Zerkegem…! »
La porte s’ouvre. La tornade Glücks fait irruption dans le salon. The Glücks, c’est un duo ostendais en mode White Stripes. Elle à la batterie, lui à la guitare. Une « Bonnie & Clyde psyched out primitive Rock n Roll Garage Fuzz Trash Punk twosome sexplosion », comme ils se présentent sur Soundcloud. Les Glücks et Alpha Whale sont comme cul et chemise… « Grâce à une copine commune, on a assisté à un de leurs premiers concerts, se souvient Alek, castard blond de 25 piges à l’enthousiasme communicatif. La drogue a sans doute joué un rôle dans l’histoire mais la musique était super. » Alek est né en Russie. Il a débarqué à Ostende à trois ans avec une mère fan de Slayer, Motörhead et Manowar. « Elle a vécu avec un fils de pute, puis un autre fils de pute… Je n’étais jamais à la maison. Ma porte de secours, c’était le skate. Aujourd’hui, c’est plus une question de look qu’autre chose mais dans le temps, il représentait encore une culture. Je détestais être chez moi. Je ne supportais personne. Le skate était synonyme de liberté. »
L’exalté a joué de la gratte dans un groupe qui se prenait pour les Deftones et eu, le temps d’un concert, un cover band de GG Allin… Les Glücks ont commencé en trio. « Trois idiots bourrés qui tentaient de jouer du blues mais buvaient plus de bières qu’il n’y avait de notes sortant de leurs instruments. » Puis ont donné des concerts de deux heures avec une chanson de trois accords et une reprise de Strychnine des Sonics. « Les Glücks, c’est l’envie de vivre sa vie sans se plaindre en permanence. En faisant des choses plutôt qu’en passant ses journées à regretter qu’elles n’existent pas. En avançant sans attendre que les autres se bougent pour toi. Cette génération n’a pas vraiment de but. La situation est préoccupante. Mais on essaie d’en tirer le meilleur. »
« Je me prostitue. Tina est ma maquerelle. » Alek se marre. Les Glücks ne vivent évidemment pas encore de leur musique. « On a de bons boulots. Mais on ne les aime pas et on compte les quitter d’ici l’été, enchaîne sa moitié. On veut tout faire nous-mêmes. Sans label. Dans un esprit Do It Yourself. Si on arrête de bosser, on aura du temps à revendre. Mais pour l’instant, c’est dur de s’y mettre quand on termine sa journée. »
Avec un photographe de mode qui bosse pour Vogue et passe ses journées à tirer le portrait de top models en République Dominicaine, un traducteur interprète français espagnol et un étudiant caméraman, Alpha Whale doit composer. Les punks gantois de Mind Rays ne sont pas logés à bien meilleure enseigne. « Ils ont tous fait des études mais ils ne trouvaient pas de taf, raconte Jonas. L’un travaille au Colruyt, l’autre au Delhaize, le troisième chez Carrefour. » « Je ne suis plus frustré, note Alek. J’ai lu un article du mec de Sleaford Mods qui parlait de travailler en faisant de la musique. Il racontait que sans ce job, il ne serait pas aussi remonté. Ça fait de ses chansons ce qu’elles sont. »
Les Glücks ont grandi avec les Dead Kennedys, Black Flag, Cramps, Gories, Jesus and Mary Chain et autres Stooges… « La super musique, c’est celle qui te prend par les tripes. Celle qui, quand tu conduis, te donne envie de foncer dans un mur et d’écraser les passants. En plus, comme les mecs qui retrouveront ton corps risquent de regarder ce que tu écoutais avant de mourir, tu dois pouvoir en être fier. »
Le duo enregistrait déjà sa première jam. « On en a tiré cinq CD et cinq cassettes qu’on a fini par donner. » Mais en début d’année, il a mis en boîte son premier album au Barefoot Studio. « On n’avait pas de quoi se le payer mais on a gagné le concours Westtalent. On voulait enregistrer aussi rapidement que possible. Et on s’est retrouvé en studio le 2 janvier avec des paroles écrites le premier de l’an. C’était intense. Je n’avais plus d’ongles. Je crevais de mal. J’ai même gerbé tellement j’étais vidé. On a pieuté quelques heures et on a terminé le lendemain matin. Le résultat est trop propre pour nous… » Ce qui ne les a pas non plus propulsés sur les ondes de Stu Bru et de Pure FM… « On ne passe sur aucune station, reprend Jonas. Double Veterans et les Spectors ont intégré des playlists mais c’est une question de management, de pied dans la porte… Même les groupes américains qu’on apprécie sont rares en radio. »
Crâne de léopard
A peine plus connu sous le nom de Leopard Skull, Harm Pauwels a fixé rendez-vous au Vooruit. Harm a 19 balais et une poignée de chansons qui circulent sur le Web. Des morceaux enregistrés dans son petit home studio avec un micro à 40 euros. « Je fais de la musique depuis une dizaine d’années. Je me suis investi dans d’autres projets: The Crumble Thief, du garage rock plus dur et brut, et Rad Dogs, du stoner psychédélique. Mais en janvier alors que j’écoutais Ty Segall, Mikal Cronin, White Fence, je me suis dit: « Ca, c’est mon truc. » J’ai enregistré Stick Around For Days alors que ma copine dormait derrière la batterie. Et je l’ai posté sur Internet. » Harm a sa petite explication sur le retour en grâce des groupes à guitares… « Je pense que c’est en partie une réaction à toute la merde qui passe à la radio. Stu Bru est vraiment devenu abominable. Et perso, je hais Skrillex. »
L’étudiant en architecture paysagiste et de jardin n’a jusqu’ici donné qu’une petite dizaine de concerts. « Pour l’instant, je n’ai aussi qu’une petite dizaine de chansons. Je suis fort occupé depuis un mois. J’enregistre des groupes qui débutent: Gruff, les Downtown Dicks… » Il a envoyé sa musique à quelques labels. « Certains m’ont répondu qu’ils voulaient me voir sur scène. J’aimerais sortir assez rapidement un EP sur cassette. J’ai le titre. L’artwork est finalisé. Mais quand, ça on verra. Quand ce sera prêt. » Les Glücks, eux, parlent d’enregistrer leur prochain disque avec Jon Spencer à New York. « En tout cas, il nous l’a proposé. On a assuré sa première partie et il a aimé. » Belgian boom…
LEOPARD SKULL, LE 15/11 AU PINGOUIN (EEKLO) ET LE 2/2 AU HET BOS (ANVERS).
ALPHA WHALE, LE 24/1 AU CAFÉ CAROL (GAND).
TEXTE Julien Broquet
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