En toutes complicités

Le documentaire de notre collaborateur Philippe Cornet, Quel Cirque!, retrace le parcours d’un spectacle sincère et différent.

La chronique de Guy Verstraeten

Evaluer l’oeuvre d’un collègue est un exercice aussi engageant qu’une cuiller d’huile de foie de morue. On a, grosso modo, le choix entre la peste du fayot (en cas de critique positive) et le choléra du pugilat intra-focussien (en cas de descente en flèche). Délicat. Mais puisque l’un d’entre nous doit s’y coller, allons-y. Pas de raison, en effet, qu’on évite d’évoquer l’excellent documentaire de Philippe Cornet uniquement parce qu’il contribue chaque semaine à la confection du magazine que vous tenez en mains…

Virevoltant à la plume, l’ami Philippe n’en est pas moins amoureux de la caméra. Plus culte tu meurs, le magazine Strip-Tease, pour lequel il a réalisé un paquet de sujets naturellement décalés, n’a pas manqué de le prouver pendant près de quinze ans. Le voici donc qui rechausse l’objectif pour croquer un projet un peu particulier. Quel Cirque! parle en effet d’une collaboration pas comme les autres entres des artistes circassiens et des handicapés mentaux issus du Créahm. Lesquels avaient déjà, par le passé, prouvé qu’ils pouvaient dépasser les préjugés pour imposer leur individualité au cinéma (Le Huitième jour, évidemment), mais également au théâtre (Chez Lucien) et dans les arts plastiques. Présenté pour la première fois en février 2011, le spectacle Complicités s’affichait, à l’origine, comme une véritable gageure à laquelle se sont confrontées Véronique Chapelle, directrice du Créahm, et Catherine Magis, fondatrice de l’Espace Catastrophe. Philippe Cornet balade ainsi sa caméra dans les coulisses de cette création, tout en libérant çà et là de la place pour quelques extraits de spectacle. Un spectacle à la fois technique dans ses purs aspects circassiens, mais également doté d’une épatante force poétique insufflée, notamment, par les regards que se portent les artistes « normaux » et leurs partenaires handicapés mentaux. Des répétitions aux coulisses des représentations, Quel Cirque! nous offre une tranche de vie étalée sur deux années, entre douleur et joie, entre difficultés et satisfactions, de Bruxelles à Liège, en passant par Belgrade.

Individualité

Catherine Magis et l’Espace Catastrophe souhaitaient absolument éviter l’écueil de la performance glauque, celle de l’handicapé mental « singe savant » poussé dans ses derniers retranchements pour exécuter des tâches que d’autres auraient imaginées pour lui. Le documentaire de Philippe Cornet s’inscrit dans cette logique humaniste, en s’affranchissant régulièrement de l’effet de groupe: des petites incises en forme de portraits individuels nous rappellent que le retard mental ou la trisomie n’empêchent pas d’avoir une personnalité bien affirmée. On s’attache ainsi, pendant 53 minutes, à ces adultes touchants tout en ne pouvant que rester pantois devant le spectacle qu’ils nous offrent.