« The Zone of Interest »: un geste de cinéma magistral sur la banalité du mal
Titre - The Zone of Interest
Genre - Drame
Réalisateur-trice - Jonathan Glazer
Casting - Avec Sandra Hüller, Christian Friedel, Ralph Herforth
Sortie - En salles le 31 janvier
Durée - 1 h 46
Avec The Zone of Interest, Jonathan Glazer ouvre une porte dans l’inconscient du spectateur et y déverse l’obsédant malaise de sa vision de la monstruosité humaine.
Cinéaste rare (quatre longs métrages en 23 ans) et singulier en quête de vertige plastique, l’Anglais Jonathan Glazer s’est d’abord signalé du côté de la publicité (pour Guinness et Stella Artois, notamment) et du clip musical (pour Massive Attack, Blur et Radiohead, entre autres) avant de marquer le 7e art de son empreinte. Dix ans après Under the Skin avec Scarlett Johansson, pur ovni SF tendant vers l’abstraction, il revient avec une adaptation très personnelle, et surtout très cinématographique, du roman controversé de Martin Amis, The Zone of Interest, en prise sur la glaçante banalité du Mal.
Grand Prix à Cannes en mai dernier, le film, que le réalisateur se plaît volontiers à qualifier de “Big Brother chez les nazis”, joue de la coexistence étourdissante entre deux extrêmes absolus, séparés par un simple mur: d’un côté et hors champ, l’horreur concentrationnaire paroxystique du camp d’Auschwitz en 1943, de l’autre, la trivialité pure du quotidien soigneusement rôdé du commandant de celui-ci, Rudolf Höss (Christian Friedel), et de son épouse Hedwig (Sandra Hüller), qui s’appliquent à bâtir une petite vie de rêve pour leur famille dans leur maison avec jardin…
Gratter l’inconscient
Techniquement parfaitement maîtrisé, visuellement assez renversant, le nouveau long métrage de Jonathan Glazer semble d’abord, avec ses pointes d’ironie perverse et de clinquant féroce qui suscitent un inconfort nauséeux, n’être qu’une “simple” étude de la nature humaine dans ce qu’elle peut avoir de plus indécent. Ce qui, en soi, n’est déjà pas rien, mais aurait sans doute in fine plutôt tendance à enfermer le film dans une espèce de prétexte virtuose à cette indignation assez stérile dont les réseaux sociaux nous abreuvent chaque jour. Il suffira pourtant d’un premier et fascinant interlude nocturne, tourné avec une caméra thermique, pour comprendre que les enjeux de The Zone of Interest se situent bien au-delà de cette seule indignation. Formidablement aidé en cela par la musique tétanisante de Mica Levi (déjà à l’œuvre sur Under the Skin, mais aussi responsable de la superbe BO du Monos d’Alejandro Landes), il donne alors à voir toute la puissance intellectuelle, esthétique et sensorielle, absolument dévastatrice, qui le sous-tend.
Mieux: vers la fin du film, Glazer ose, le temps de l’ouverture d’une simple porte, une ellipse folle, quasiment kubrickienne, qui vient nous retourner le cerveau et achever de gratter notre inconscient au papier de verre. Ils sont rares, et précieux, les films capables de nous faire penser en profondeur et de nous éblouir dans un même geste de cinéma, radical et souverain. The Zone of Interest est de ceux-là.
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