The Wind that Shakes the Barley: quand l’Irlande se soulève
Ken Loach aborde de remarquable façon le difficile sujet du combat indépendantiste irlandais dans Le vent se lève, Palme d’or méritée au Festival de Cannes.
Au milieu des années 1970, après que Kes et Family Life eurent fait de lui un des réalisateurs phares de sa génération, Ken Loach tourna Days of Hope sur un script de Jim Allen racontant la mésaventure d’un soldat britannique, engagé volontaire pendant la Première Guerre mondiale, envoyé se battre… en Irlande. Cette première incursion historique dans le toujours brûlant et très controversé sujet des rapports entre la Grande-Bretagne et sa « colonie » irlandaise fut suivie, en 1989, par le dénonciateur et contemporain Hidden Agenda, qui fit beaucoup de bruit à Londres comme à Belfast et à Dublin. « J’ai eu le sentiment qu’il me fallait revenir dans un film sur les raisons de la partition de l’Irlande (1) et surtout sur les racines du conflit tel qu’il s’est noué au début des années 1920″, déclare aujourd’hui le cinéaste, dont le saisissant Le vent se lève (The Wind That Shakes the Barley) réussit cette gageure de magistrale façon.
Palme d’or incontestée au dernier Festival de Cannes, cette oeuvre aussi forte que complexe, émouvante et rebelle à tout manichéisme, a pour personnages principaux deux frères. Teddy, l’aîné, s’est engagé dans le combat armé pour l’indépendance, au sein de l’Armée républicaine (IRA) naissante. Damian, le cadet, se destine à une carrière de médecin. Mais certains événements tragiques et révoltants vont pousser le second à rejoindre le premier dans la lutte, et à faire cause commune… jusqu’à ce que des dissensions apparaissent dans le mouvement indépendantiste, divisant les militants, déchirant les familles, changeant des frères en ennemis.
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Comme d’autres colonies…
Admirablement interprété par Cillian Murphy (Damian), Padraic Delaney (Teddy) et une troupe de comédiens épatants de justesse, Le vent se lève déroule sa chronique historique, politique et populaire sur un mode réaliste, que Ken Loach pratique avec autant de bonheur que dans le déjà passionnant Land and Freedom sur la guerre civile espagnole. Le scénario de Paul Laverty (complice habituel du cinéaste) travaille avec précision et clarté une matière complexe et touffue, restituant chaque aspect du sujet sans verser dans le manichéisme, même si le film ne masque pas son analyse on ne peut plus critique de la manière colonialiste et brutale dont Londres traita les Irlandais. Loach et Laverty se risquaient pourtant en terrain miné, avec l’évocation d’une révolte où le nationalisme et la religion allaient jouer un rôle d’importance… alors même que leurs propres convictions philosophiques, affichées depuis belle lurette, sont internationalistes et athées! « Nous étions très conscients du fait qu’inévitablement toute lutte de libération contre un pouvoir impérialiste prend au départ la forme d’un combat nationaliste, commente le réalisateur, mais tôt ou tard s’y mêlent forcément des aspirations d’ordre social. Ce fut le cas en Irlande comme dans d’autres colonies. Quant à la religion, elle est depuis longtemps et profondément inscrite dans la situation en Irlande, les Irlandais étant catholiques, alors que les colons importés d’Ecosse aux XVIe et XVIIe siècles pour diriger l’Irlande au nom des Britanniques étaient majoritairement protestants. Le pouvoir n’a cessé, depuis, d’utiliser cette différence. Mais ce n’est pas tant une question de savoir comment vous dites vos prières! C’est au fond et avant tout un conflit de classes… » Son scénariste emboîte le pas à Loach en ajoutant que « l’Eglise catholique irlandaise eut elle-même une attitude contradictoire, soutenant globalement les revendications d’indépendance, mais sans vouloir toucher à un système social injuste. Elle était trop attachée à l’ordre établi pour vouloir le bouleverser… »
Une société plus juste
« Tout comme Land and Freedom, Le vent se lève évoque le désir contrarié de bâtir une société plus juste, reprend Ken Loach, et c’est un sujet qui reste très actuel, tout comme celui d’une armée illégale d’occupation (2) envoyée pour traumatiser une population et pratiquer le terrorisme d’Etat… » Le discours du réalisateur est plus que jamais engagé, son cinéma l’est aussi, mais d’une manière intelligente, équilibrée, ne tombant pas dans le piège du didactisme et de la démonstration manipulatrice. Loach a cet art de rendre les choses palpables, de créer une émotion certes puissante, mais utilisée de manière mesurée, sans que des débordements (pourtant faciles et tentants) empêchent la capacité du spectateur à réfléchir, à douter, à prendre lui-même position dans le tissu d’élans mais aussi de contradictions sur lequel le cinéaste peint sa fresque intimiste.
Un remarquable exemple de la manière Loach est celui de la violence et de son usage, de ce qui est montré, suggéré, placé dans le champ de la caméra ou plutôt reculé hors du cadre de celle-ci. La violence ne pouvait qu’être très présente dans Le vent se lève, où il est question de soulèvement armé et de répression sanglante, de règlements de compte, de torture et d’exécutions officielles ou pas. Mais, à chaque scène concernée, le réalisateur trouve la distance idéale, le bon équilibre entre ce qui est vu, relaté ou seulement soupçonné. « On ne peut aborder la violence à l’écran qu’avec une solide éthique, commente Ken Loach, on ne peut par exemple faire un film antimilitariste dans lequel explosions et effusions de sang se voient mises en valeur avec une complaisance esthétique. »
Rien ne répugne plus à Loach que l’hypocrisie, cinématographique ou non. Et il conclut sur un coup de gueule. « Qu’un homme politique comme Gordon Brown, qui souhaite succéder à Tony Blair comme Premier ministre, ose dire aujourd’hui qu’il n’est pas question de s’excuser pour les crimes commis au nom de l’Empire britannique, que ce fut une oeuvre civilisatrice, cela me révolte et j’ai envie de lui dire: si, Mister Brown, il est plus que temps de reconnaître que nous avons colonisé le monde pour nous enrichir des ressources naturelles et du travail des populations locales, au prix souvent d’atrocités sans nom! »
(1) Une partition entérinée par un traité ratifié le 8 janvier 1922.
(2) En l’occurrence, les redoutés Black and Tans, contingent anglais dont les méthodes sont dénoncées dans le film.
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