Marie Daulne vit à nouveau à Brooklyn, base de sa conquête américaine. À la veille du passage des Zap Mama à Couleur Café, rencontre new-yorkaise avec l’amazone belgo-congolaise.

A Elle débarque, fringuée comme la Reine de Saba: robe, foulard et bijouterie multicolores. Un mètre quatre-vingt, talons compris, de muscles bronzés. Même dans les rues de New York, on se retourne sur elle. Une version black et sexy (et féminine) de Jean-Claude Van Damme? Faut pas exagérer même si Marie est la première à sortir la belge comparaison lorsqu’elle injecte dans son français des locutions anglaises genre le fame. Quarante-cinq ans et beaucoup d’ambition, Marie est de retour à New York où elle a déjà vécu, à Brooklyn, à la charnière des années 1999-2001.  » Si j’avais été ici en permanence, mon album précédent, Supermoon, aurait pu être un vrai succès, en tout cas c’est ce que m’a dit mon manager. La femme, l’artiste est ici, à New York, pour les rencontres, l’inspiration et le public. Pour beaucoup d’afro-américains, je représente l’icône (sic) d’une femme afro-européenne qui est passionnée, et qui arrive à traduire un art, un bien-être et un voyage. Et puis le phénomène Obama m’a donné envie de revenir, de faire partie de l’évolution actuelle de la société, c’est mon côté activiste. » La raison du déménagement et des allers-retours tous les quinze jours vers la Belgique – où deux enfants l’attendent – est claire: Marie veut réussir en Amérique. C’est déjà partiellement réalisé puisque, de Common à Erykah Badu en passant par The Roots, elle a tissé un réseau comparse avec lequel les Zap partagent disques et tournées. En 2004, l’album Ancestry In Progress fut numéro Un des charts World Music de Billboard. Le pari de la réussite est d’autant plus ambitieux que seule une poignée d’artistes belges a réussi à faire frissonner, guère plus, l’hyper-protectionnisme américain. On passe le méga-tube sans lendemain de S£ur Sourire, on cite l’épiphénomène Soulsister dans les années 80, le plus récent intérêt pour K’s Choice et peut-être Hooverphonic, mais tout cela n’a guère franchi le stade anecdotique. Oublions dEUS, inexistant sur le territoire US, et reconnaissons à Front 242 -à l’époque signé chez l’américain Epic – d’avoir réellement gagné un public outre-Atlantique il y a une quinzaine d’années. Ils apportaient quelque chose d’inédit, un vent d’exotisme frontalement electro.

Fantasmes roots

C’est dans cet exotisme que Marie peut tailler les pièces d’un succès éventuel. Il lui vient de sa propre histoire: fille d’une Congolaise et d’un colon belge – tué une semaine après sa naissance, elle grandit en Belgique dans une culture qui ne s’intéresse pas forcément à ses racines africaines. Dès la fin des années 80, avec Zap Mama, elle incarne une façon originale de restituer l’héritage vocal congolais. Inspiré des chants pygmées, mais pas seulement, le groupe d’abord intégralement a capella, fait sensation, épatant David Byrne qui les « empruntera » même à Crammed Discs pour son propre label Luaka Bop. Marie, créatrice du groupe, en est son leader naturel: elle en a le charisme et l’ego exponentiel. Les frictions finissent par démembrer les Zap originales alors que le style musical prend une tournure plus soul. C’est pourtant ses qualités d’ afropéenne qui tapent dans l’oreille de l’école de Philadelphie: The Roots ou Common craquent pour les zapmamateries de Marie, sa façon de scratcher la voix, de glousser sur le tempo du Congo, d’incarner aux yeux des locaux une masse de fantasmes roots. Du coup, cette métisse belgo-congolaise devient, par excellence, un symbole afro-européen.

Duo collant

On a quitté le bas de Manhattan pour rejoindre Park Slope à Brooklyn et le studio de répétition. Seule la section rythmique est présente, mais d’emblée les deux musiciens – eux aussi de la bande de Philadelphie – font groover les nouvelles chansons de l’album ReCreation qui sortira en Belgique à l’automne. L’affaire est un mix fruité de zapmamateries vocales, de caresses sonores à la Badu, plus une reprise façon collé-collé du vieux tube Paroles Paroles. A l’origine rengaine italienne transformée en hit en 1973 par Alain Delon/Dalida, elle revient ici sous forme de duo gluant franco-portugais entre Marie et… Vincent Cassel,  » un ex ». Le bassiste de Marie – qui ne pipe pas un mot de français – est bluffé. Et se met à tutoyer son instrument d’une façon si naturelle qu’elle justifie d’emblée le travail de Marie avec des musiciens américains. Quelques jours plus tard, le groupe – dans lequel on retrouve Sabine Kabongo, une Zap originale – triomphe à trois reprises au Joe’s Pub, nightclub select de Manhattan où Amy Winehouse cartonnait il y a deux ans. La route de la gloire supposée est très longue mais Marie a du cran. Elle a compris que la culture américaine, faite de machisme et de superlatifs, a besoin d’un baume apaisant et voyageur remettant le compteur de la sensualité à zéro. Alors, avec ses airs statuesques de fausse cartomancienne métisse, Marie a beau être la nouvelle diva de Brooklyn, quand un black ancestral passe à côté de nous sur le trottoir ensoleillé, elle lui dit simplement  » Comment allez-vous, Monsieur? » En anglais dans le texte.

Zap Mama fête ses vingt ans le dimanche 28 juin à 17H30 à Couleur Café dans un répertoire qui passera des  » temps préhistoriques à la période moderne« , soit des premiers pas a capella avec quelques Zap originales, jusqu’au groove sucré de l’actuel soul cosmique, www.couleurcafe.be.

Entretien et photos Philippe Cornet, à New York

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