Critique | Séries

The Last of Us, la série la plus attendue de ce début d’année

4,0 / 5
Duo uni par le chaos, Joel (Pedro Pascal) et Ellie (Bella Ramsey) vont devenir indispensables l'un pour l'autre. © WARNER MEDIA
4,0 / 5

Titre - The Last of Us

Genre - Drame post-apocalyptique

Réalisateur-trice - Neil Druckmann et Craig Mazin

Quand et où - À partir du 15/01 sur Be 1

Casting - Bella Ramsey, Pedro Pascal, Gabriel Luna

Nicolas Bogaerts Journaliste

C’est probablement l’événement sériel le plus attendu de l’année 2023. En déjouant davantage les codes du récit post-apocalyptique, l’adaptation de The Last of Us se révèle un récit d’une profonde et touchante humanité.

The Last of Us, le jeu vidéo créé par Neil Druckmann en 2013, a bousculé les codes du genre avant de remettre le couvert en 2020 pour un deuxième volet. En son cœur, un monde post- apocalyptique: le fungus cordyceps, champignon parasite qui prend les commande du système neuronal de son hôte, a muté et trouvé dans le corps humain le véhicule d’une foudroyante expansion. Inspiré d’une espèce qui existe réellement mais s’attaque uniquement à quelques insectes, le phénomène décime une partie significative de la population mondiale, plonge l’humanité dans le chaos, réveille les fractures et les intérêts particuliers, l’autoritarisme d’un état réduit à l’os, et enclave des collectivités dans des villes et des villages fantômes, cités de ruines où la nature a repris ses droits et où les factions ont réinstauré la loi du plus fort.

Appuyée par HBO, dirigée par Druckmann lui-même, associé à Craig Mazin, dont la précédente création, Chernobyl, est au diapason apocalyptique de ces prémices, The Last of Us repose sur les épaules d’un formidable duo: Pedro Pascal (Narcos, The Mandalorian) reprend le rôle de Joel, héros taciturne, cuirassé par la mort de sa fille, tandis que Bella Ramsey (Game of Thrones) joue Ellie, adolescente qui posséderait la clé du salut humain. Tous deux entament un long périple dans une Amérique où la menace louvoie en permanence et où le chaos fait alterner confrontations violentes, escapisme éprouvant pour les nerfs et moments de contemplation où les mots reprennent peu à peu leur sens, entre destruction et renaissance, dans un monde qui ne sera plus jamais comme avant.

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Une relation atypique

Les deux acteurs principaux doivent une bonne partie de leur notoriété à la série Game of Thrones, à laquelle ils ont pris part tous deux. Pascal dans le rôle d’Oberyn Martell, Ramsey dans celui de Lyanna Mormont. Dans le rôle d’Ellie, Ramsey amplifie la femme puissante en germe et ne manque ni de tempérement ni de répartie. Chez Pedro Pascal, il faut plutôt chercher du côté du Mandalorian et de sa relation avec Grogu, le “bébé yoda”, pour sentir les similitudes avec le rôle de Joel, escorte stoïque et figure paternelle à contrecœur de la jeune Ellie. C’est dans le cadre d’une conversation Zoom, ponctuée de fous rires qui trahissent une complicité née sur le tournage qui a duré un an, que les deux acteurs se sont exprimés sur leur relation atypique, qui fleurit sous une menace permanente du monde extérieur. “Quand on joue ces personnalités fortes, il faut pouvoir aussi faire sentir toute la lutte, la difficulté qu’elles ont rencontrées sur leur route, avant qu’elles n’apparaissent à l’écran, être capable d’intégrer et d’exprimer des dimensions parfois contradictoires, confie Bella Ramsey. Sous ses dehors bravaches, Ellie est vulnérable, elle a peur de se retrouver seule comme n’importe quelle ado de son âge.Quand elle est confiée à Joel pour une traversée qui a tout d’une odyssée périlleuse et initiatique, le deuil de sa fille revient de manière cinglante à ce dernier. “C’est ce qui détermine toute sa trajectoire et fonde son identité, explique Pedro Pascal. C’est la raison pour laquelle il a du mal à tisser des liens forts avec les autres, quand on le retrouve des années plus tard. Il ne peut se permettre de perdre une nouvelle vois des personnes qu’il aime. Cet aspect s’avère déterminant tout au long du récit.

Plutôt que d’enchaîner les scènes de baston, les fusillades, les crânes éclatés à un rythme échevelé, The Last of Us se penche davantage sur ce qui fonde nos liens interpersonnels. Bella Ramsey concède: “C’était un travail à la fois physique et profondément émotionnel. Il m’a fallu beaucoup de concertation sur le tournage pour construire les éléments de la relation entre Ellie et Joel, pour qu’on sente combien son évolution va influencer leurs décisions. C’était d’autant plus un challenge que Pedro et moi n’avions absolument pas eu l’opportunité de passer du temps ensemble avant le tournage. Il a fallu tout créer sur le moment, comme un parallèle avec nos personnages.

Is it the end of the world?

Comme dans la chanson de R.E.M., The Last of Us déploie la fin du monde tel que nous le connaissons (“It’s the end of the world as we know it”). Neil Druckmann et Craig Mazin ont réuni une équipe capable d’incorporer la dimension visuelle de ces horizons occultés. Johan Renck, réalisateur de Chernobyl, est aux commandes de l’épisode pilote, vulcanisé par une tension dramatique croissante, effrayante, implacable. Les autres sont puisés dans le vivier du cinéma indépendant mondial, comme la Bosniaque Jasmila Žbanic (Quo vadis, Aida?) ou le Danois Ali Abbasi (Holy Spider). Également interviewés via Zoom, Druckmann et Mazin ont le regard rieur de deux ados ayant réussi leur coup: “C’était important pour l’identité de la série de faire réaliser chaque épisode par une personne différente, raconte Druckmann, avec des modalités, un style, un timing propres et parvenir à faire en sorte que l’ensemble reste cohérent.

Le résultats a dépassé leurs attentes. Craig Mazin raconte: “Jasmila Žbanic a survécu à la guerre à Sarajevo. En allant la chercher, on l’imaginait parfaite pour un épisode dans lequel une ville est au prise avec un violent conflit entre milices. À notre grande surprise, elle a décliné, préférant un autre qui raconte la manière dont la ville peut se reconstruire, prospérer après la ruine et les cendres. Au final, elle avait raison.” Druckmann abonde: “Elle avait aussi une vision de l’histoire particulièrement pertinente. Elle disait souvent que plus une pression se fait sentir dans une collectivité, plus sa part d’humanité rétrécit. En ce sens que les êtres ont tendance à se recroqueviller sur des structures fondamentales de plus en plus petites: une ville, puis un quartier, puis un petit groupe, puis sa propre famille.

Dynamiques de l’attachement

Au début, Ellie et Joel n’arrêtent pas de se clasher, poursuit Druckmann. Ils sont bornés et refusent de vraiment s’ouvrir à l’autre. à mesure que le temps avance, qu’ils deviennent, l’un pour l’autre, l’unique élément de stabilité dans ce monde qui avance de travers, ils arrêtent de se claquemurer, commencent à se voir pour de bon. Et c’est un lien très fort, fait d’amour, qui se tisse entre eux.” Un des grands mérites de The Last of Us est de parvenir à nourrir la fécondité d’un lien dans un monde voué à la destruction. Son arme de choix, c’est le langage, matérialisé par un livre de jeux de mots et de calembours qu’Ellie trouve dans les décombres. Elle en lit quelques pages au gré des jours et des nuits pour tromper l’ennui des longues marches ou des bivouacs partagés avec Joel le taciturne. Les mots et leur double sens deviennent alors une manière de s’apprivoiser par le langage, de retrouver, dans les rebondissements des échanges, une émotion ou un souvenir, un vécu à partager, une communication verbale qui fonde l’humanité. Ou qui, du moins, un peu à la manière de La Route de Cormack McCarthy, en constitue l’ultime relique. Bella Ramsey confirme avoir “beaucoup parlé du langage comme outil, comme base de tout ce que nous connaissons et comprenons. J’ai réalisé, pour la première fois, sur The Last of Us, en quoi la langue était la base de nos interactions.

Pour Pedro Pascal, “la langue est aussi une question de survie. Les fongites eux-mêmes ont leur langage particulier, qui leur permet de communiquer, de survivre, de faire société en maintenant leur domination.” En cela, The Last of Us touche, au-delà de la prouesse d’un scénario gamifié, une note fondamentale, dans laquelle résonne une des questions premières de notre condition: comment parvenir à s’attacher, se lier, créer un tissu relationnel, s’investir, s’engager dans un monde si menaçant, qui rend toute vie et toute relation si fragiles, hautement incertaines, et donc indispensables?

Notre critique : The Last of Us ****

The Last of Us version HBO offre un récit original, qui prend le meilleur de son matériau de base et y ajoute les éléments nécessaires à une fiction linéaire. Craig Mazin et Neil Druckmann ont renoncé en partie au gameplay belliqueux pour une lenteur qui permet au vivant de peupler les interstices d’un récit poignant. Les humains parasités par un champignon invasif expriment ainsi une corporalité différente et la menace de leurs excroissances fongiques est souvent allégorique. Le duo a façonné un monde visuel et narratif fascinant, une poétique de l’attente, de l’espoir, une esthétique du deuil, de la ruine et de la vie malgré tout, malgré nous. Tout au long d’un périple au cours duquel Joel (Pedro Pascal) doit mener Ellie (Bella Ramsey) jusqu’à un laboratoire capable de comprendre pourquoi elle résiste à l’infection fongique qui a détruit le monde, le besoin d’être aimé est palpable chez les voyageurs comme chez les personnages auxquels ils s’attachent. L’épisode centré sur l’oasis survivaliste créée par le bougon Bill (Nick Offerman) est une ode somptueuse à l’amour. Celui qui, étant donné les circonscantes, a autant de mal à sortir de terre qu’une chanterelle dans un sous-bois gelé. Aussi fragile et éphémère soit-il, son récit n’en est que plus beau, crucial, inestimable.

Changer le game

Adapter le jeu vidéo qui en a magnifié les codes narratifs et visuels du genre, c’était un peu, sur le papier, ramener l’enfant prodigue dans le giron traditionnel. Neil Druckmann et Craig Mazin ont réussi bien plus qu’une simple transposition en série de The Last of Us, garnie d’images et de quêtes reproduites à l’identique. L’échantillonnage des potentialités narratives du jeu y nourrit un scénario infectieux et poignant.

Pourquoi adapter The Last of Us?, questionne tout haut Neil Druckmann. Je me suis débattu longtemps avec cette question. Tout d’abord parce qu’il y a encore pas mal de monde qui ne jouera jamais aux jeux vidéo. Mes parents ne joueront jamais à The Last of Us, mais ils regarderont la série -et pigeront enfin ce que je fais comme métier (rires). Sérieusement, je reste persuadé qu’une adaptation de qualité peut changer la perception générale sur le jeu vidéo et sa place en tant que médium, atténuer les préjugés d’une partie du public, montrer la richesse des expériences proposées.” Pour ce faire, Mazin et Druckmann ont repéré ce qui passerait parfaitement d’un médium à l’autre, en se donnant la liberté de créer de nouvelles intrigues et de nouveaux personnages. Pour Craig Mazin, ça devait passer par une compréhension mécanique du jeu: “Au début du processus, j’ai énormément ennuyé Neil avec mes questions: pourquoi untel fait ceci, comment unetelle arrive à dire ça, pourquoi la pièce se trouve à cet endroit-là de l’immeuble, etc. C’était marrant d’ouvrir le capot du jeu vidéo, d’ausculter sa mécanique, comprendre son fonctionnement, le démonter pièce par pièce avec le constructeur, et remonter un autre véhicule avec, pour la plupart, les mêmes éléments.”

Une des grandes différences avec le jeu, rebondit Druckmann, c’est que comme il n’y a pas de gameplay dans une série, pas besoin d’avoir de méchants qui font irruption à chaque instant. Tuer autant de personnes dans une série que dans un jeu, ça ne donne rien. Mais la violence est importante, il fallait trouver comment la rendre perceptible de manière réaliste et dramatique. On avait deux options: soit diminuer le nombre d’adversaires à affronter simultanément, soit explorer l’humanité de ces personnages durant de longues séquences entre les irruptions de violence.Dans un jeu, les décisions doivent être prises très vite: “La vie de mon enfant vaut-elle plus que la vie de ton enfant?” La folie de ce dilemme plonge ses racines dans l’amour. C’était important pour nous d’explorer cette dualité, qui était déjà active dans le jeu. C’est un des grands avantages d’une série: sans les contraintes du gameplay, on a davantage de place pour l’histoire. On garde l’aventure, l’action, le frisson, mais les relations sont au centre du récit. Et chaque relation renvoie à Joel, comme un miroir, le reflet de ce qu’il a perdu.

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