The Penguin, entre Comics et mafia
Croisant récit de mafia et drame horrifique, The Penguin joue des coudes et trouve sa place dans l’univers DC Comics. Aux côtés d’un Colin Farrell fascinant, Cristin Milioti compose une Némesis écrasante de duplicité.
Reprenant le cours des événements une semaine après le déluge qui concluait le film The Batman (signé Matt Reeves en 2022), The Penguin prolonge l’univers tordu de Gotham. Arborant un Colin Farrell étonnant dans le rôle d’Oswald « Oz » Cobblepot, la minisérie écrite par Lauren LeFranc suit l’ascension laborieuse et vicieuse de cet ennemi culte de Batman au sein de la pègre de Gotham, au cœur d’une guerre de succession suite à la mort du boss Carmine Falcone.
Sur une route semée d’embûches, de trahisons et de révélations, Oz doit composer avec la présence de Sofia Falcone. Prétendante sérieuse au trône mais tout juste sortie de l’asile d’Arkham, elle compte parmi les nombreux archétypes de la souffrance mentale peuplant l’univers de Gotham. Sofia Falcone, héritière de l’empire criminel de son père Carmine, a fait son apparition dans la seconde moitié des années 90. Minée par un héritage familial fait de meurtres et de secrets inavouables, elle se mue en Tueur au Pendu (Hangman). Sa confrontation avec le Pingouin, inévitable, révèle une personnalité aussi fascinante que dévorante et perturbante, à laquelle l’actrice Cristin Milioti prête ses traits faussement candides. Aperçue brièvement en 2006 dans la série Les Soprano, dans le rôle de Catherine Sacrimoni, fille cadette du rival new-yorkais Johnny Sack, Cristin Milioti s’est patiemment installée dans le paysage à travers ses rôles dans The Wolf of Wall Street, How I Met Your Mother ou Fargo. Pour le rôle de Sofia Falcone, elle a mis ses allures de bonne fille à rude épreuve afin de corseter les psychoses qui ravagent de l’intérieur ce personnage aux dimensions surprenantes. Au calme quelques jours avant la première diffusion de la série, elle partage pour Focus ses impressions sur les enjeux d’une narration complexe, aux contours particulièrement sombres.
Quand il s’agit d’aborder un personnage issu de la constellation Gotham, et pas la moins tordue, à quel point les références de cet univers sont importantes pour le construire? Ou préférez-vous plutôt le travailler de l’intérieur avant de le connecter au contexte Gotham?
Ce sont des processus très difficiles à expliquer et sur lesquels j’ai toujours beaucoup de réticences à m’exprimer. Parce que ça me donne l’impression d’être impudique envers mon propre travail. Disons que j’ai fait beaucoup de recherche sur la maladie mentale et sur les personnes qui résident en instituts psychiatriques. J’ai eu recours à un coach pour travailler leur corporéité singulière. Je dois dire que rejoindre cet univers de Gotham a été super excitant. Je suis fan de Batman depuis ma plus tendre enfance. À 6 ans, j’étais déjà obsédée: déguisements pour Halloween, des heures devant la série télé puis les dessins animés. Finalement, j’ai essayé de faire se coïncider ces deux dynamiques pour parvenir à créer cette figure de serial killer psychopathe avec son histoire, sa souffrance. J’ai adoré faire sa connaissance.
Puisqu’il s’agit d’une série qui plonge dans les rouages de la mafia, vos recherches vous ont poussée jusque-là également?
Oui, j’ai lu énormément. Notamment des récits de femmes de membres de familles influentes devenues informatrice pour le FBI. Des vies d’enfermement, qu’elles soient d’un côté ou de l’autre de la barrière. Elles ne connaissent rien d’autre. Cette notion d’enfermement a été une clé importante pour sceller le personnage de Sofia. Enfermée physiquement, psychiquement ou par ses loyautés. Il y avait beaucoup de matériau à rechercher et relier.
Il n’y a pas de héros dans cette série, que des anti-héros ou des vilains. Pourquoi, à votre avis, une telle attraction du public et des séries pour ce type de personnages?
Je pense qu’il y a une part d’excitation à voir des personnages qui font exactement ce qu’ils veulent faire. Que ce soit bon ou mauvais. De les voir se défaire si facilement de leurs brides. L’expérience humaine, les convenances sociales nous amènent généralement à nous contrôler, à obéir au surmoi pour ne pas craquer à chaque instant. C’est une forme de contrat tacite. Mais ici, le fait de pouvoir explorer les pulsions irrépressibles est quelque chose de très marquant, de très fort à raconter. C’est lié, je pense, au matériau original, le comics, mais pas uniquement. Il y a plein de niveaux de lecture qui sont très surprenants dans la série, symboliques, archétypaux, de même qu’une capacité à explorer les dimensions très réalistes des rapports humains dans un univers déconnecté de toute réalité.
N’y a-t-il pas, tout de même, une forme d’éthique dans ce récit?
Je dois bien avouer que je trouve toujours difficile de me positionner sur ces questions. Je pense que si la série véhicule une forme de message, c’est sans doute dans la mise en lumière des invisibles, celles et ceux qui sont rejetés, mal considérés pour une raison ou pour une autre, aléatoire ou systémique. Et puis, d’un autre côté, la série fustige sûrement aussi la conquête effrénée du pouvoir.
C’est aussi, comme souvent pour les personnages qui évoluent à Gotham, avec son asile d’Arkham, une réflexion sur la souffrance mentale?
On voit comment un être vulnérable peut être poussé au-delà de ses limites, jusqu’au précipice, à la folie. Et je trouve que cette réalité est admirablement bien écrite par Lauren LeFranc. On peut déceler le moment précis où quelque chose se brise en Sofia, où le sol se dérobe sous ses pieds et où elle passe de l’autre côté. À partir de là, elle ne peut plus revenir en arrière. Qui ne ferait pas ça après dix années de mensonges entretenus au sein de sa propre famille?
Le tournage de The Penguin a été interrompu par les grèves en soutien aux scénaristes et aux acteurs. Que vous a inspiré ce mouvement et a-t-il impacté votre rapport au travail?
C’était un défi car l’énergie sur le plateau était très intense. De celles qu’il est très difficile de maintenir ou de retrouver après une interruption. Mais j’insiste sur le fait que ce que nous avons traversé à cette époque d’un point de vue syndical, d’un point de vue collectif, c’était comme combattre l’Étoile de la Mort. Les enjeux étaient immenses, et particulièrement pour les métiers les plus précaires, mais on s’est serré les coudes. C’était dingue d’avoir l’impression de devoir se battre pour des choses qui nous paraissent simplement élémentaires.
The Penguin ***(*)
de Lauren Le Franc
HBO MAX Avec Colin Farrell, Cristin Milioti, Rhenzy Feliz
Le Pingouin version 2024, incarné par Colin Farrell, est loin, vraiment très loin de ses incarnations précédentes: colorée pour Burgess Meredith dans la série Batman des années 60, ou mutante et burlesque pour Danny DeVito dans Batman Returns de Tim Burton, en 1992. Dans la minisérie signée Lauren LeFranc pour HBO, Oswald Cobblepot est sombre, cynique, gauche et transpercé par des failles gigantesques causées par une mère omniprésente. Pour l’incarner, Colin Farrell a subi des séances de grimages qui le rendent méconnaissable mais n’empêchent pas son regard malicieux et ses manières de félin de transpercer la carapace. Claudiquant, Oz a tout d’un animal blessé dont il faut pourtant se méfier. Quand il est à terre, il mord sans merci. Et pour gravir les échelons de la famille Falcone, en déshérence, amadouer les autres clans criminels de Gotham et attiser le feu sous la braise d’une guerre sans merci face à la famille rivale Marconi, il a plusieurs coups d’avance.
La minisérie déploie ses premiers épisodes comme un récit de mafia classique, et égrène des thèmes rebattus, avec un goût prononcé pour une forme de retenue. Et de fait, si elle est capable de nous amener aux portes d’un réelle tension dramatique, elle s’arrête mystérieusement et retarde la mise à feu au profit de flash-back chargés de resituer dans le cours du récit chaque personnage secondaire: Vic, un ado de la rue qu‘Oz prend pour chauffeur et padawan, et surtout Sofia Falcone, héritière présumée de l’empire, entravée par ses représentants masculins. Il faut attendre le quatrième épisode pour que le mélange prenne vraiment et que le potentiel dramatique de la série se déploie enfin. Cristin Milioti étonne dans sa mue spectaculaire et contenue en véritable Némésis, à travers la double personnalité du Tueur au Pendu. C’est là, dans la confrontation entre cette nouvelle figure effrayante et celle, ascendante et laborieuse, du Pingouin, que la série prend forme. Alternant joliment les compositions d’obscurité métallique et de lumières mordorée, resserrant intelligemment ses intrigues secondaires, The Penguin vaut surtout pour l’intransigeance et la profondeur de ses personnages principaux.
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