«Stranger Things» tire sa révérence: «On a confiance en notre scène finale» (entretien)

C’est le début de la fin pour Stranger Things. © NETFLIX
FocusVif.be Rédaction en ligne

C’est le début de la fin pour Stranger Things. Avant qu’Eleven et ses amis ne descendent une dernière fois dans le «Monde à l’envers», retour sur le plus grand phénomène télévisuel de ces dernières années avec ses créateurs, les frères Duffer.

Stranger Things (saison 5)de Matt et Ross Duffer

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Avec Millie Bobby Brown, David Harbour, Winona Rider. 8 épisodes de 54 minutes à deux heures. A partir du 26 novembre, les 4 premiers épisodes. Les trois suivant à partir du 25 décembre. Ultime épisode le 31 décembre.

La cote de Focus: 4/5

Trois épisodes de la dernière saison ont été montrés à la presse, accompagnés d’une liste de spoilers aussi longue que le générique de fin. Parmi les infos révélées, le tube des années 1980 que les spectateurs fredonneront bientôt. Tout comme la franchise Harry Potter, Stranger Things est devenu un peu plus sombre à chaque saison, et celle-ci commence dans un noir d’encre. Pas dans le «Monde à l’envers», mais bien dans la banlieue de Hawkins: problèmes conjugaux, d’alcoolisme, violence brute dans et autour du lycée. Lorsqu’on voit Dustin pleurer son ami Eddy, on sait immédiatement que la série a définitivement perdu son dernier reste d’innocence.

Les frères Duffer ont tiré des leçons de la saison précédente, qui avait parfois besoin de beaucoup de temps pour passer d’une scène iconique à l’autre. La dernière saison paraît plus ramassée, l’action arrive plus vite et tout laisse sentir que les enjeux sont colossaux. Frank Darabont, connu pour ses adaptations de Stephen King telles que The Shawshank Redemption et The Mist, a réalisé deux épisodes, dont le premier est d’emblée une masterclass de construction dramatique. Le design du «Monde à l’envers», qui a spectaculairement évolué en neuf ans, apparaît plus impressionnant que jamais. Même Vecna a reçu une mise à jour. Dans l’autre camp se tiennent nos héros: plus âgés, beaucoup moins naïfs et plus déterminés que jamais. Ils se préparent à un affrontement final inoubliable, et (presque) le monde entier avec eux.

Automne 2016. Netflix est disponible en Belgique depuis un peu moins de deux ans. Jusque-là, même la presse s’intéressait encore peu à la plateforme de streaming. Tout à coup, des rumeurs bruissent. Au sujet d’une série «à voir absolument». Un joyau sombre dans lequel s’immiscent des références aux films cultes des années 1980 (les BMX d’E.T., un groupe de jeunes amis comme dans Les Goonies) mais aussi les coupes mulet, les jambières, les sons des synthés et même Winona Ryder au casting, star quelque peu oubliée de l’époque (vue dans Beetlejuice, et ex-petite amie de Johnny Depp).

Neuf ans plus tard, Stranger Things, tout comme Netflix, est devenu un phénomène mondial. Les aventures d’Eleven, Mike Wheeler, Hopper et Joyce Byers, qui affrontent le Mal dans la petite ville d’Hawkins, Indiana, ont été streamées des milliards d’heures dans des millions de foyers. Jamais une série n’a été commentée avec autant de minutie sur Internet. Stranger Things a même le pouvoir de relancer d’anciens succès (Kate Bush) et de tirer des acteurs de l’oubli. Ses jeunes interprètes sont devenus des stars, Millie Bobby Brown (Eleven) en tête. Les révélations choc de Lily Allen sur son mariage avec David Harbour (Hopper) font les gros titres (Millie Bobby Brown aurait également déposé plainte contre lui pour harcèlement au travail). Quant à Matt et Ross Duffer, les jumeaux à l’origine de la série, ils font désormais partie des créateurs les plus courtisés de la télé: peu avant la sortie de cette ultime saison, ils ont signé un (énorme) contrat exclusif avec Paramount Skydance, concurrent de Netflix. Rencontre.

Quand avez-vous compris que Stranger Things était devenue un phénomène?

Matt Duffer: La série n’a pas été un succès instantané, même si ce fut tout de même assez rapide. Une fresque murale représentant Barb (NDLR: interprétée par Shannon Purser dans la première saison) est apparue, nous avons été invités au Saturday Night Live… Tout a très vite pris une tournure surréaliste.

Ross Duffer: Je me souviens que Shawn Levy, notre producteur et réalisateur, nous a appelés. C’était déjà un vétéran dans le métier. Il nous a dit: «Ce que vous vivez n’est pas normal, les gars. Prenez-en pleinement conscience et profitez-en tant que ça dure.» C’est ce que nous avons fait.

«On ne peut pas fabriquer un succès, encore moins un phénomène.»

Combien de saisons aviez-vous en tête à ce moment-là?

R.D.: Une! Nous étions déjà suffisamment sous le choc d’avoir une série que Netflix souhaitait diffuser. Nous n’avions que quelques idées très embryonnaires pour une éventuelle suite, notamment une entité malveillante à l’origine des événements dans le «Monde à l’envers». Ce n’est que lorsque nous avons obtenu le feu vert pour une deuxième saison que nous avons commencé à envisager une histoire plus large.

Stranger Things s’est vite muée en un blockbuster rivalisant avec l’univers cinématographique. Chaque saison étant plus spectaculaire que la précédente. Toutefois, le fondement de la série est resté intact: l’histoire d’un groupe d’adolescents impopulaires qui grandissent ensemble et se soutiennent coûte que coûte…

M.D.: Nous voulions créer quelque chose pour les gens qui se sentaient différents, les outsiders. Chacun d’eux lutte pour trouver sa place. C’est une chose que nous avons ressentie en grandissant et que vivent de nombreux jeunes. Le plus beau, pour moi, c’est lorsqu’un d’eux vient nous dire que la série l’a aidé d’une manière ou d’une autre.

La série est également saluée depuis ses débuts pour son inclusivité. L’apothéose advient avec le coming-out de Will Byers dans cette dernière saison…

R.D.: Pour le savoir, il faudra regarder… Je peux toutefois affirmer qu’il retrouve cette saison un rôle central. Non seulement dans sa relation à Vecna (NDLR: le principal antagoniste de la quatrième saison) mais aussi dans le parcours de son personnage. Ces deux aspects sont liés à bien des égards.

Prenons cela comme un oui. Will était prisonnier du «Monde à l’envers» depuis la première saison. Ce monde est-il une métaphore de toutes sortes de choses qui menacent le nôtre?

M.D.: Lire toutes les théories qui circulent sur Internet est fascinant. Pour nous, le «Monde à l’envers» figure surtout le vernis et l’image idyllique des banlieues résidentielles des années 1980. La manière dont on se présente au monde comme si tout allait parfaitement bien. Nous l’avons envisagé comme quelque chose qui se trouve sous la surface, quelque chose de sombre et effrayant, mais auquel on doit néanmoins se confronter.

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Si vous n’étiez pas préparés au succès de Stanger Things, vos jeunes acteurs, qui ont grandi face au monde durant la dernière décennie, l’étaient encore moins…

R.D.: Et sous l’œil omniprésent d’Internet! Les enfants stars des années 1980 et 1990 devaient se méfier de la presse, mais ils n’étaient pas harcelés par les réseaux sociaux. Heureusement, nos acteurs ont pu traverser tout cela ensemble. Si chacun a géré la célébrité à sa manière, ils se sont toujours soutenus. Ils sont tous très proches encore aujourd’hui.

Etonnement, il y a eu peu de scandales: pas d’alcool, de drogues, de comportements de divas.

M.D.: Ils ont tous les pieds sur terre, sans trop d’ego. Je pense qu’ils doivent, pour cela, beaucoup à leur famille. Tous ont des parents formidables.

Et des oncles…

R.D.: J’aime penser que nous sommes encore un peu trop jeunes pour ça… Nous étions de jeunes trentenaires quand nous avons commencé la série. Cela fait de nous davantage des grands frères. Nous sommes très protecteurs.

M.D.: Et très fiers.

Le final a lieu quatre ans après les événements de la première saison. En réalité, neuf années ont passé, les acteurs ont désormais la vingtaine. N’est-il pas étrange d’encore les voir arpenter les couloirs de l’école un cartable sur le dos?

R.D.: Avec le Covid et la grève des scénaristes, nous avons perdu environ un an et demi. Il y a un plan où Sadie (NDLR: Sink, Max dans la série) se trouve dans la cave des Wheeler. Dans le plan suivant, elle sort à l’extérieur, et un an s’est écoulé entre les deux images, mais personne ne l’a remarqué. Si vous regardez de très près, peut-être verrez-vous qu’elle a perdu un peu de rondeur juvénile (rires).

«Nous savions depuis six ou sept ans où nous voulions aller.»

Grâce à vous, d’anciennes stars ont pu donner un second souffle à leur carrière. Winona Ryder, bien sûr, qui prouve depuis cinq saisons que sa longue absence fut une grave erreur, mais aussi Sean Astin, des Goonies et du Seigneur des Anneaux, ou encore Robert Englund, le célèbre Freddy Krueger. Tous ont contribué à la magie de la série. Cette saison, il y a aussi Linda Hamilton, la Sarah Connor de la franchise Terminator, sous les traits du Dr. Kay, une militaire impitoyable qui traque Eleven.

M.D: Pouvoir ramener quelques-uns de nos héros d’enfance dans la culture pop mainstream fut l’un des aspects les plus réjouissants de toute cette aventure. Toutes les personnes que nous avons contactées ont accepté de rejoindre la série. Robert Englund nous a même envoyé une cassette, parce qu’il tenait absolument à faire partie de la série. Vous vous rendez compte?

Le «Monde à l’envers» est plus impressionnant que jamais. © NETFLIX

Une dernière saison implique une ultime scène. Sachant que le monde entier la scrutera, cette question a-t-elle généré de la pression?

M.D.: Nous y avons longuement réfléchi. Cela nous a aidés de savoir depuis six ou sept ans où nous voulions exactement aller. Ça nous donnait un point de mire.

R. D.: La scène finale nous semble juste. Nous avons confiance, même si on ne sait jamais comment réagiront les fans. Nous avons beaucoup discuté des scènes finales d’autres séries que nous trouvions particulièrement réussies: Six Feet Under, Friday Night Lights, Breaking Bad. Aucune de ces séries n’en faisait trop. Elles surprennent, mais avec une forme d’évidence. C’est ce que nous avons essayé de faire.

Comment envisagez-vous le futur? Vous avez signé un contrat avec Paramount, alors que l’entreprise ne se porte pas très bien. Ressentez-vous une pression à l’idée d’avoir à leur offrir un succès d’une ampleur comparable à celui de Stranger Things?

R.D.: Honnêtement, nous n’y pensons pas beaucoup pour l’instant, car nous sommes encore totalement immergés dans Stranger Things. C’est une nouvelle histoire qui ne commencera qu’en avril ou en mai.

M.D.: Nous créons les histoires que nous voudrions regarder et nous essayons de ne pas trop réfléchir à ce qui fonctionne ou non. Lorsque nous avons proposé Stranger Things, le cadre des années 1980 posait problème à la plupart des studios. Et regardez maintenant… Je pense qu’on ne peut pas fabriquer un succès, encore moins un phénomène.

Peut-être est-il temps de passer aux années 1990?

R.D.: Je ne suis pas sûr (rires). Les années 1990 sont très populaires en ce moment, ce qui les rend un peu moins intéressantes. Mais je peux vous promettre une chose: on en a complètement terminé avec les années 1980.

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