La série Querer débarque sur arte.tv: «Que feriez-vous si votre mère accusait votre père de viol?»

Querer, une série espagnole qui libère la parole sur les violences conjugales. A voir sur arte.tv
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Auréolé du Grand Prix au festival lillois Séries Mania, Querer explore sobrement et intensément la violence, et le viol, à l’intérieur du couple. Le reflet d’une parole qui se libère.


Si les séries télévisées ont longtemps célébré le foyer familial comme le lieu du bonheur, elles dépeignent depuis quelques années une réalité bien plus sombre. Là où Le Monstre (2019) retrace l’histoire vraie d’une jeune femme de 18 printemps sous l’emprise de son bourreau pendant trois ans, Angela Black (2021) dépeint la vie sous haute tension d’une femme sous le joug de son mari manipulateur et violent. Dirty John (2019), adapté d’un podcast, lui-même tiré d’une histoire vraie, raconte les violences psychologiques (manipulation, chantage, harcèlement…) dont est victime son héroïne. Et dans un format plus conceptuel, H24, produit par Arte, évoque plus largement les violences faites aux femmes en 24 courts métrages d’après les textes de 24 écrivaines européennes interprétés par 24 actrices d’exception. Vingt-quatre heures dans la vie de femmes et 24 agressions… Des gros lourds au féminicide en passant par le viol.

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Formidable minisérie espagnole qui a fait l’unanimité critique et publique lors du dernier Séries Mania, Querer relate l’histoire d’une mère de famille qui décide de quitter son mari et de porter plainte pour violence conjugale. «Nous sommes les témoins d’une époque qui a de plus en plus conscience de toutes les violences sexuelles à l’encontre des femmes, explique sa réalisatrice basque Alauda Ruiz de Azúa. Il y a eu des fictions sur ces abus mais le consentement à l’intérieur du mariage semblait être un domaine qui n’avait pas encore été exploré par la fiction espagnole. Peut-être parce qu’il est aussi inconfortable qu’intéressant de se pencher sur ces questions. Nous avons donc voulu donner vie à une série qui susciterait le débat autour du consentement dans les relations à long terme. Nous avons tendance à juger différemment les abus sexuels rapportés dans la presse et ceux qui sont commis dans nos propres familles. C’est la question moteur derrière cette histoire. Que feriez-vous si votre mère accusait votre père de viol?»

Querer est une fiction mais s’inspire d’un tas d’histoires vraies. Alauda Ruiz de Azúa et son équipe ont rencontré des victimes, des avocats, des associations et même assisté à des procès. «Nous avons interviewé ces gens mais aussi parlé avec toutes les parties impliquées dans ce genre d’histoire. Nous ne voulions pas juger. Juste comprendre. Comprendre sous tous les angles. Nous avons aussi voulu écrire à partir de nos propres expériences et réflexions. Sans intermédiaires.»

Le format s’est imposé de lui-même. «Dès que nous avons entamé nos recherches, nous avons réalisé qu’il s’agissait d’un très long processus qui impliquait de nombreuses années d’investissement juridique et familial. La structure épisodique de la série nous a permis de créer de larges ellipses de manière très naturelle. Mais aussi de davantage oser et d’être moins linéaire dans la narration. Le spectateur doit remplir les blancs, combler les vides.»

Le consentement, comme toutes les violences physiques et psychologiques à l’intérieur du couple, est un sujet particulièrement délicat à traiter. Alauda Ruiz de Azúa a ressenti une vraie responsabilité. Dont celle, primordiale, de ne pas tomber dans les idées simplistes et les clichés. «Je pense qu’on a commencé à s’en rendre compte quand on a découvert le parcours des fils une fois la plainte déposée et compris que les spectateurs allaient se retrouver face à cette question: que ferais-je dans une situation comme celle-là? C’est là que j’ai trouvé ma boussole.»

Centré sur le personnage de Miren, campé par l’intense Nagore Aranburu, Querer ne s’en appesantit pas moins sur son époux (l’impeccable Pedro Casablanc) et leurs deux garçons (Miguel Bernardeau et Iván Pellicer apparus dans Elite). «Les violences sexuelles envers les femmes sont structurelles, systémiques. En tant que société et famille, on veut parfois rester sur la touche. Je ne sais pas si c’est vraiment possible. Mais c’est une position très commune. Regarder ailleurs. Que ce soit au travail ou dans la famille. On voulait demander aux spectateurs si c’était vraiment possible. Pour moi, non. Ne pas choisir, ne pas prendre position, c’est déjà se prononcer. On a tous besoin de comprendre que souvent l’abuseur de ces femmes est un bon père, un bon ami, un bon frère. Et ça rend la situation plus complexe pour tout le monde. Y compris pour la victime.»

Redéfinir la violence

Interrogée sur les œuvres pertinentes qui évoquent les abus conjugaux, la réalisatrice espagnole évoque Te Doy Mis Ojos (Ne dis rien) d’Icíar Bollain et How to Have Sex de Molly Manning Walker. «Ce sont des films très intéressants qui explorent la violence de couple et comment l’abus sexuel se construit. Mais nous n’avions pas particulièrement de références quand nous avons commencé à plancher sur la série. Nous avions plutôt une idée de ce que nous ne voulions pas faire. Nous tenions à éviter la morbidité, le true crime, le sensationnalisme et les flash-back. L’idée était d’inviter le spectateur à jouer un rôle privilégié et actif d’observateur dans la réflexion. Notre autre grand défi a été de créer une victime qui n’était pas parfaite mais humaine. Communiquer, partager cette réelle difficulté pour les femmes de parler quand ce genre de choses leur arrive.»

Si de plus en plus de films et de séries prennent à bras-le-corps le sujet des violences faites aux femmes, c’est sans doute, en partie, parce que les femmes sont de plus en plus nombreuses dans le monde de la réalisation et de la production. Puis aussi parce que la vision masculine et dichotomique de la femme, fatale (à tout le moins objet de désir) ou bonniche (voire carrément soumise), qui a longtemps régné sur les écrans, n’est pas en adéquation avec l’évolution de la société… «Je pense que c’est dû à une combinaison de différents facteurs, poursuit Alauda Ruiz de Azúa. Le sujet s’est certainement retrouvé sous le feu des projecteurs grâce à l’impact du féminisme ces dernières années. Il n’y a pas juste plus de femmes derrière ces histoires. Je constate aussi un réveil, une prise de conscience du fait que certaines formes de violence étaient invisibles ou normalisées. Evidemment, mon expérience en tant que femme a été une clé dans mon approche de l’histoire. Mais je constate aussi toute une conversation sociale autour du sujet du consentement. Il fut un temps où cette violence n’était même pas considérée comme de la violence. Il y a même une certaine forme de confusion dans notre manière de juger certaines violences sexuelles et psychologiques. Rompre avec l’ordre établi signifie redéfinir la violence à partir d’une autre perspective.»

Responsabilité des charges ménagères, dépendance financière, humiliations régulières, victimisation masculine… Dans le troisième épisode de Querer, qui se déroule au tribunal, les questions posées à l’accusé sonnent comme la dénonciation de tout ce qui ne va pas dans le traitement de la femme au sein du couple. «La peur est le thème principal de la série, note encore la réalisatrice. Comment la peur nous conditionne à l’extrême. Et combien il est difficile de vivre avec elle. Un sentiment qui peut sembler invisible mais qui a des conséquences bien tangibles. Cinématographiquement parlant, on le communique à travers le cadre, le son. Un sentiment de malaise et de froideur constant se dégage. Mais nous avons décidé de ne jamais montrer de violence explicite.»

Dilemmes complexes

Plutôt que de pointer du doigt et de donner la leçon, Querer montre sans montrer et explore en profondeur. «En tant que spectatrice, j’aime être confrontée à des dilemmes complexes et j’ai réalisé la série que j’avais envie de regarder. Une série pour laquelle j’ai dû engager un dialogue interne avec moi-même. Emotionnellement mais aussi éthiquement. Après la première et les réactions en Espagne, j’ai eu le sentiment que la plupart des gens l’avaient ressenti comme ça.»

Alauda Ruiz de Azúa a reçu de nombreux messages dans la foulée de la diffusion. «La question du consentement est controversée en Espagne, mais les réactions ont été incroyables. Beaucoup de gens ont embrassé le débat et nous avons reçu un tas de messages de femmes reconnaissantes parce qu’elle n’auraient pas pu en parler d’elles-mêmes et se sentaient moins seules. Plus inattendu, nous avons aussi reçu les réactions de nombreux hommes qui nous parlaient des relations toxiques qu’ils avaient entretenues avec un père violent. La série les avait touchés.»

Dans son premier long métrage (Querer est sa première série), Alauda Ruiz de Azúa narrait le quotidien d’une jeune maman esseulée. «Je ne pense pas que Lullaby parlait de violence. Elle évoquait plutôt le fossé des genres et le fardeau que la société fait porter aux femmes. Je pense que la ligne directrice est surtout de se demander si on peut arrêter de faire ce qu’on fait. A quel point le contexte social et culturel nous pousse à agir de telle ou telle manière. Ce que Lullaby et Querer ont assurément en commun, c’est la famille. Une famille non pas isolée mais une institution qui reflète la société dans laquelle on vit. Ses mécanismes de contrôle. Sa distribution des rôles et ses tabous.»

Querer

Disponible sur arte.tv

Une série d’Alauda Ruiz de Azúa, Eduard Sola et Júlia de Paz. Avec Nagore Aranburu, Pedro Casablanc, Miguel Bernardeau. 4 épisodes de 50 minutes.

La cote de Focus: 4,5/5

En espagnol, «querer» signifie aussi bien «aimer» que «vouloir», «apprécier» ou «désirer»… Après 30 ans de mariage, Miren, incarnée par l’exceptionnelle et bouleversante Nagore Aranburu, d’une justesse rare en femme blessée mais déterminée, décide de quitter son mari et de porter plainte pour violences sexuelles conjugales. Partie dans l’urgence, Miren est prête à se libérer du joug de son époux mais elle confronte aussi ses fils de 31 et 24 ans à un choix cornélien. Doivent-ils soutenir leur mère ou croire leur père qui clame son innocence? Avec force et sobriété, une incroyable finesse et une volonté de ne pas imposer sa vérité, Alauda Ruiz de Azúa (Lullaby) pose la question de la domination et du consentement dans le couple. Elle interroge la place qu’y occupe la femme, la pression sociale et la difficulté d’accepter la culpabilité d’un proche. Une série intense d’utilité publique.




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