
Dans la saison 2 de The Last of Us, personne n’est épargné!
The Last of Us fut l’une des meilleures séries de 2023, et bien plus qu’une énième histoire postapocalyptique avec des zombies. Pour la première fois, un jeu vidéo donnait naissance à une véritable œuvre télévisuelle de qualité. La deuxième saison va plus loin encore.
Un mois avant la sortie de la suite du jeu à succès The Last of Us, le studio développeur Naughty Dog était contraint de prendre la parole sur X, encore appelé Twitter: «Nous savons que ces derniers jours ont été incroyablement difficiles pour vous. Ils l’ont été pour nous aussi.» Le message n’est pas exagéré. En pleine pandémie, Neil Druckmann, son créateur, est alors occupé à mettre la dernière touche au jeu le plus attendu de l’année. Parallèlement, il collabore avec Craig Mazin (Chernobyl) pour adapter son récit d’apocalypse zombie en une superproduction télévisée pour HBO. Une première. C’est précisément à ce moment-là que des hackers divulguent sans prévenir une heure et demie de séquences du deuxième volet du jeu. La réaction du public n’est pas celle attendue. Bien que la diversité et les personnages féminins moralement ambigus aient toujours fait partie de l’ADN de The Last of Us, Neil Druckmann, sa coscénariste Halley Gross, ainsi que leurs proches, sont submergés durant plusieurs jours par une avalanche de propos misogynes, d’insultes homophobes et de menaces de mort.
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A la sortie du jeu, les avis se font plus nuancés, mais restent profondément divisés. «Certains considéraient Part II comme la meilleure histoire jamais racontée, tous médias confondus, confie aujourd’hui Neil Druckmann, lors d’une interview via Zoom. D’autres comme la pire qui ait jamais existé.» Certes, une partie des critiques provient d’hommes étroits d’esprit, incapables de jouer autrement qu’avec des personnages masculins, blancs et hétérosexuels. Mais le fait qu’une suite suscite une telle polarisation en dit long sur le talent de Druckmann à faire naître des sentiments envers des personnages de jeu vidéo. Mais aussi sur la brutalité que promet la deuxième saison de la série, disponible à partir du 14 avril.
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Chacun voit midi à sa porte
Quoi qu’il en soit, les attentes sont immenses pour la série, déjà couronnée par 24 nominations aux Emmy Awards et entrée dans l’histoire de la télévision comme la première adaptation de jeu vidéo véritablement réussie. En moyenne, 32 millions de téléspectateurs ont suivi chaque semaine le périple de Joel (Pedro Pascal) à travers les Etats-Unis, accompagné d’Ellie (Bella Ramsey), une adolescente de 14 ans, seule personne connue à être immunisée contre une infection fongique qui a transformé l’humanité en une horde de zombies.
Avec The Last of Us, beaucoup ont pris conscience que les jeux vidéo pouvaient être le ciment de séries télévisées sérieuses et prestigieuses. «Aujourd’hui, j’ai le sentiment que les gens comprennent enfin que les jeux racontent aussi de riches histoires. Que les interprétations et la direction artistique peuvent être magnifiques. On dit souvent à l’équipe artistique de la série « faites en sorte que ça ressemble au jeu ». Ça semble évident, mais pour moi, c’est tout à fait nouveau», se réjouit Neil Druckmann.
La deuxième saison reprend l’histoire cinq ans après que Joel a été confronté à un dilemme impossible: choisir entre un remède salvateur pour l’humanité et la vie d’Ellie. Spoiler: il a choisi Ellie, a commis un véritable carnage et a dissimulé le fait que l’humanité aurait pu être sauvée. Un moment-clé dans une série qui tient à rappeler que le bien et le mal ne sont que des notions relatives à la fin du monde. Part II, qui sera déclinée sur plusieurs saisons, porte, selon Neil Druckmann, sur la question des perspectives: «Un héros pour les uns peut être un criminel pour les autres. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il est acceptable de sacrifier une personne pour en sauver des milliers. Jusqu’à ce qu’il s’agisse de son propre enfant.»
Le bain de sang provoqué par Joel a laissé des traces dans sa relation avec Ellie. Depuis, il s’est tellement éloigné d’elle qu’il finit, lui l’homme stoïque et introverti, par entamer une thérapie auprès de Gail (Catherine O’Hara, vue dans Beetlejuice et Schitt’s Creek), la psychologue de la petite communauté isolée de Jacksonville. Même si Gail et son mari Eugene ne sont que des personnages secondaires dans le jeu, Neil Druckmann y a vu une opportunité d’approfondir le récit de la série. «Ce qui est fascinant avec la thérapie, c’est qu’on part du principe qu’on va y dire la vérité, un peu comme dans un confessionnal. Mais c’est rarement le cas. Ce qui est intéressant, c’est justement ce qu’on ne dit pas à son psychologue. Joel, lui aussi, est dans le déni: il refuse de regarder en face les véritables causes du conflit qui le sépare d’Ellie. Mais le fait qu’il accepte malgré tout de se confronter à cette situation inconfortable est un symbole fort de l’importance qu’elle a pour lui.»
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Rage féminine
C’est ce qui a toujours alimenté le premier volet de The Last of Us: la dynamique fragile entre Joel, figure paternelle ambivalente, et Ellie. Le fait que Part II s’en éloigne partiellement constitue déjà en soi un pari risqué. Mais l’acte le plus audacieux de Neil Druckmann reste l’introduction d’Abby, un personnage controversé incarné par Kaitlyn Dever –vue récemment dans le rôle d’une escroc dans la série Netflix Apple Cider Vinegar. Il y a dix ans, The Last of Us avait déjà croisé la route de Kaitlyn Dever. A l’époque, il devait s’agir d’un film, et elle devait y interpréter Ellie. Mais lorsque le projet devint une série, elle était déjà trop âgée pour incarner une adolescente crédible. Druckmann voit alors en elle une Abby possible –la principale rivale d’Ellie.
L’actrice qualifie Abby de «rôle qu’elle aurait toujours dû jouer». Mais la vraie question est: voulait-elle vraiment le jouer? Car la réaction violente de 2020 ciblait en grande partie son personnage: de nombreux joueurs ont mal accepté d’être contraints à adopter le point de vue d’Abby, et donc à éprouver de l’empathie pour elle. Pour beaucoup, cette limite était impossible à franchir. Aujourd’hui encore, certains joueurs peinent à distinguer fiction et réalité: il se dit que Kaitlyn Dever aurait eu besoin d’une sécurité renforcée lors du tournage.
Neil Druckmann et Craig Mazin ont pris les devants en rendant Abby un peu plus humaine dans la série, et en donnant davantage de contexte à sa colère. Mais c’est à peu près la seule concession que Druckmann a acceptée: «Part II a suscité des réactions très intenses. Et c’est très bien ainsi. Je ne veux pas écrire avec la peur du spectateur.»
L’apocalypse est brutale par essence. The Last of Us le sera aussi.
The Last of Us (Saison 2)
Disponible sur HBO Max à partir du 14 avril.
Une série de Neil Druckmann et Craig Mazin. Avec Pedro Pascal, Bella Ramsey, Kaitlyn Dever. 7 épisodes.
La cote de Focus: 4/5
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