Murnau des ténèbres
En 1929, Friedrich Wilhelm Murnau, le réalisateur de L’Aurore, devait quitter le confort et le barnum hollywoodiens pour rallier, à bord d’un voilier, les Marquises puis Tahiti et Bora-Bora, animé par la conviction qu’il pourrait “ recréer le paradis. D’avant la corruption par les forces inéluctables de la civilisation”, pour ce qui deviendrait son dernier film, Tabou. Éric Rohmer verra dans cette histoire d’amour interdit “ le plus beau film du plus grand auteur de films” . Une beauté payée au prix fort cependant, les divergences opposant Murnau à Robert Flaherty, qui cosignera le film, n’étant que péripéties au regard des innombrables drames qui émailleront les 18 mois d’un tournage entouré de légendes. La plus tenace voulant que le réalisateur (qui mourra dans un accident de voiture quelques jours avant la première) et son équipe aient fait l’objet d’une malédiction pour avoir enfreint divers tabous et suscité le courroux des esprits. Cette expédition inspire aujourd’hui à Nicolas Chemla un ouvrage foisonnant, où le récit fabuleux qu’en fait un vieillard décharné “ apparu comme une ombre” à un écrivain débarqué à Tahiti croise le journal du réalisateur allemand parmi d’autres. Et de s’inscrire dans le sillage des écrivains-voyageurs, convoquant aussi bien le Melville de Taïpi que le Loti de Rarahu, Conrad et Stevenson également, à qui se joignent les peintres Gauguin et Matisse. Pour signer, porté par une écriture profuse, un récit d’aventures à coloration fantastique fusionnant quêtes esthétique et philosophique. Et s’inscrire entre ombre et lumière, à ce point de bascule que suggérait un carton resté fameux de Nosferatu: “ Et quand il fut de l’autre côté du pont, les fantômes vinrent à sa rencontre.”
De Nicolas Chemla, éditions du Cherche-Midi, 240 pages.
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