« L’émission Touche pas à mon poste participe à quelque chose de dangereux pour la démocratie »

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

« Touche pas à mon poste » sape toutes les règles du débat et du travail journalistique, estime Claire Sécail, docteure en Histoire contemporaine, chercheuse CNRS à l’université Paris-Cité et co-secrétaire de rédaction de la revue Le Temps des médias.

Docteure en Histoire contemporaine, chercheuse CNRS à l’université Paris-Cité et co-secrétaire de rédaction de la revue Le Temps des médias, Claire Sécail décortique dans un court essai en forme de démonstration comment, sous ses dehors potaches, Touche pas à mon poste, l’émission présentée par Cyril Hanouna sur C8, est devenue une entreprise de désinformation qui met en tension la société et menace les fondements démocratiques.

Cyril Hanouna est-il dangereux?

Il ne faut pas lui donner plus d’importance qu’il n’en a de ce côté-là. Mais son émission Touche pas à mon poste (TPMP) participe, oui, à quelque chose de dangereux pour la démocratie. Elle sape toutes les règles du débat et du travail journalistique dès lors qu’elle s’empare de sujets d’actualité et prétend remplir des objectifs d’information auprès de son public. Ce n’était pas le cas au début quand l’émission a été créée il y a une dizaine d’années. C’était un pur divertissement qui parlait de programmes de télévision et a évolué en émission de bande avec des chroniqueurs et un esprit potache. Mais depuis 2018, TPMP s’est emparée de sujets de société au même titre que des talk-shows qui sont davantage ancrés dans les pratiques et les règles de l’information journalistique. Hanouna ne prétend pas être journaliste mais il prétend réaliser un travail d’information alors qu’il sape les règles de la présentation des faits qui permettent ensuite d’avoir une discussion, d’échanger des opinions.

Ça se traduit comment?

Le choix des invités privilégie des positions assez marginales dans la société pour les mettre en opposition et avoir une promesse un peu antagonique qui va remplir des objectifs de divertissement et de spectacle. On a une simplification des enjeux autour des questions abordées qui mériteraient d’être affinées, nuancées, mais sont toujours présentées avec des effets d’autorité propres au dispositif. On a des mécanismes qui peuvent être dangereux dans le sens où ils dévoient des principes de pluralisme et des règles journalistiques attendues de la part d’une émission qui concourt à l’information. Après, il y a la dimension politique. Je ne parle pas tant de son travail mais du fait que l’émission sert à promouvoir une démarche plus idéologique. On rejoint la logique de l’écosystème de Vincent Bolloré qui, petit à petit depuis 2016, utilise ses médias pour mener une offensive conservatrice qui, en gros, réconcilie Dieu et le marché. Il cherche à toucher des catégories de public qui vont être dirigées vers cette bataille culturelle. Avec Pascal Praud, sur CNews, on peut facilement mélanger des profils d’entrepreneur, un libéralisme économique, des classes supérieures et un conservatisme social. Sur C8 qui touche des publics nettement plus populaires, TPMP en particulier, on va plutôt utiliser des critères d’homme de la rue et de bon sens populaire. Hanouna présente son émission comme une agora pour légitimer une volonté et un écho démocratiques qu’il ne respecte pas puisqu’il réduit la plupart du temps la dimension pluraliste des opinions à quelques positions les plus radicales possibles. Il y a donc le projet de Cyril Hanouna qui est un projet télévisuel, “spectatoriel” et l’écosystème Bolloré qui lui avance par le biais du divertissement dans une captation idéologique de catégories de public.

Ça semble bizarre de parler de populisme pour un animateur télé…

Je comprends. Je me disais que c’était peut-être un peu abusif au delà du dispositif lui-même. Dans TPMP, Cyril Hanouna se donne un rôle de leader, de médiateur, de porte-voix des catégories populaires. Mais je pense que ça fait sens. Parce qu’il y a derrière, même s’il n’en partage pas profondément la sensibilité, un projet. On est dans un travail politique. Je ne parle pas de toute l’émission, qui est très séquencée. Il y a aussi de la promotion d’artistes. Ce qui est assez classique dans l’Histoire des programmes de divertissement. Mais sur les séquences d’actualité, il y a une rédaction en chef qui traite des sujets avec un prisme singulier. Il me semble important de repérer à travers les discours de Cyril Hanouna et de ses chroniqueurs comment ils captent les imaginaires, façonnent une représentation du monde et épousent une légitimité. Lui l’utilise à des fins personnelles pour asseoir sa centralité. Il souhaite se positionner comme un animateur incontournable de notre débat public et médiatique tout en aidant son patron à mener son offensive conservatrice derrière la caution du divertissement. C’est plutôt très pratique le divertissement. Parce que ça permet de jouer sur l’hybridité du genre et sur la responsabilité.

Qu’entendez-vous par là?

TPMP prétend offrir une information que son public ne voit pas ailleurs parce qu’il ne s’informe pas via les canaux traditionnels. Puis, quand arrive le dérapage, la polémique, Hanouna va clamer qu’il fait du divertissement. Certaines séquences, notamment sur la peine de mort, sont carrément scriptées. Les chroniqueurs n’ont pas du tout envie de prendre position en faveur de la peine capitale mais on leur demande de le faire. L’idée est de mettre à l’agenda politique des thématiques qui vont ensuite porter des valeurs, des idées qui rentrent dans ce projet idéologique conservateur. Parce qu’on sait que la sécurité et que le registre de l’émotion pour les faits divers sont des mécanismes de captation des publics populaires. Pas des dirigeants d’entreprises. Mais de ceux qui ont du mal à finir les fins de mois. On ne va pas leur vendre des idées plus libérales économiquement. On va les attirer vers un projet conservateur de droite à travers des choses qui leur parlent.

Voyez-vous tout ça comme une offensive contre la démocratie représentative?

Il y a le peuple. Il y a l’élite. Et puis il y a la volonté générale. Et la volonté générale telle que la définit le populisme, c’est la capacité à être dans l’action politique sans obstacle, sans intermédiaire, sans contre-pouvoir. Ça s’attaque à tous les leviers de la démocratie représentative. La figure des élus au Parlement, le lieu où on échange, où on débat, où il y a la dispute politique. Mais aussi l’État de droit avec la justice qui fait son travail, qui enquête et qui mène des procès. Ce sont des mécanismes et des procédures lents, compliqués parfois. Le populisme veut passer outre. Mener un combat de déstabilisation. Alors, on utilise les faits divers pour critiquer l’État de droit. Comme avec l’affaire Lola. Il n’y pas besoin de procès. “Qu’elle aille tout de suite en prison!” Tout ça travaille des valeurs, une vision du monde. Dans le populisme, vous avez le peuple idéalisé et l’élite diabolisée, disqualifiée. Tout est homogénéisé. Dans TPMP, Hanouna se sert du mépris de classe pour faire de l’anti-intellectualisme.

Claire Sécail – BIO EXPRESS

2010 Publie Le Crime à l’écran. Le fait divers criminel à la télévision française (1950-2010)

2016 Codirige Le Défi Charlie: les médias à l’épreuve des attentats

2022 Analyse le traitement réservé par C8 à l’élection présidentielle de 2022

2024 Se penche dans l’essai Touche pas à mon peuple (éditions du Seuil) sur le cas de Cyril Hanouna

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