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The White Lotus, saison 3: «Lorsque vous travaillez sur une série de Mike White, de nombreuses choses seront une première»
La troisième saison de The White Lotus s’offre un séjour bien-être en Thaïlande. Retour sur les t-shirts imbibés de sueur, l’influence du bouddhisme et les étranges habitudes de Mike White, créateur, réalisateur et scénariste de la série.
Quand Mike White envoie des touristes insupportables à bord d’un bateau en direction d’un établissement hyper luxueux de The White Lotus, deux choses sont certaines. Premièrement: il va les ridiculiser sans pitié. Deuxièmement: quelqu’un mourra à l’hôtel. Depuis qu’il a lancé sa série en 2021, Mike White a fait du lynchage des ultrariches en vacances sa marque de fabrique. Et cela lui a plutôt bien réussi. Après deux saisons, la série affiche un impressionnant palmarès: quinze Emmy Awards, deux Golden Globes, et elle a propulsé les carrières de Leo Woodall et Will Sharpe. Sans oublier son générique d’ouverture, devenu un véritable hymne des clubs en 2022.
Après avoir abordé le colonialisme à Hawaï et la sexualité en Sicile, Mike White prend cette fois une direction spirituelle en Thaïlande pour ce qu’il décrit lui-même comme une saison «plus sombre». Avec le casting, il s’est installé pendant six mois dans un hôtel Four Seasons, le complexe de Koh Samui. Dix-sept hectares, 60 villas, plusieurs piscines et pas moins de 140 statues de singes. Le tarif? 8.000 dollars la nuit. Dans ce cadre enchanteur, les invités embarquent pour une retraite purificatrice, sans smartphone, censée guérir leur crise existentielle.
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On y suit entre autres une famille dysfonctionnelle dont la fortune vacille (incarnée notamment par Parker Posey et Jason Isaacs), trois amies d’une quarantaine d’années (Carrie Coon, Leslie Bibb et Michelle Monaghan) et un couple à la différence d’âge marquée (Walton Goggins et Aimee Lou Wood, révélée par Sex Education). Et on y retrouve aussi Belinda, employée de l’hôtel de la première saison qui, après un burn-out, espère regagner en Thaïlande l’amour de son métier. «Lors de la cérémonie des Emmy Awards après la première saison, j’ai croisé Mike, raconte Natasha Rothwell via Zoom. Il m’a demandé si l’idée de revenir pour la troisième saison me tenterait. Pas besoin d’en dire plus, je suivrais Mike White n’importe où.»
C’est une constante frappante lorsqu’on interroge le casting de cette nouvelle saison: tout le monde voulait travailler avec Mike White, mais personne –à l’exception de Natasha Rothwell– ne savait vraiment à quoi s’attendre. Walton Goggins a décrit ces six mois de tournage intense, à l’autre bout du monde, comme une étrange expérience psychologique. Quant à Aimee Lou Wood, sa partenaire à l’écran, elle l’a comparé à «une participation à une téléréalité». «Mike crée son propre univers, et nous sommes ses pions», résume-t-elle.
«Lorsque vous travaillez sur une série de Mike White, de nombreuses choses seront une première, confirme Carrie Coon, qui incarne une femme d’affaires new-yorkaise voyageant avec deux amies. Il écrit et réalise la série lui-même. C’est extrêmement rare à la télévision. Son monteur est présent chaque jour sur le plateau, pour observer quelles prises suscitent une réaction de sa part et à quel moment il rit.» Pour Carrie Coon, qui s’est surtout illustrée dans des rôles dramatiques comme dans The Leftovers et His Three Daughters, le «petit rire étrange» de White était le signal qu’elle jouait juste. «Personne à Hollywood ne me voit comme une actrice comique. J’ai dû beaucoup apprendre.» Jouer dans une comédie est difficile, confirme sa partenaire de jeu Leslie Bibb. «La clé, c’est de ne surtout pas jouer la comédie, mais d’interpréter la scène comme si c’était Hamlet et que votre vie en dépendait. C’est seulement à ce moment-là que ça sonne vrai.»
Voyage en Thaïlande
Mike White savait qu’il voulait, pour cette troisième saison, tourner en dérision la manière dont les touristes occidentaux s’approprient sans scrupules des cultures exotiques lorsqu’ils sont en vacances. Mais la Thaïlande ne figurait pas nécessairement en tête de sa liste. Ce choix était en partie lié à une vieille rancune personnelle: en 2009, il y avait perdu The Amazing Race, une version internationale de Pékin Express, aux côtés de son père. Son premier choix se portait sur le Japon, pays qu’il avait déjà visité à plusieurs reprises. Mais quand HBO a exprimé ses réticences face à la paperasse kafkaïenne japonaise, la Thaïlande est revenue sur le devant de la scène. Un grave épisode de bronchite a envoyé Mike White à l’hôpital de Chiang Mai, dans le nord du pays, où il a fini par trancher. Deux nuits blanches et une forte fièvre plus tard, il s’est réveillé avec l’intrigue du troisième volet en tête.
Un choix judicieux: la Thaïlande s’est révélée être un cadre idéal pour donner une nouvelle direction à sa satire. White a parcouru le pays pendant un an et a puisé son inspiration auprès des habitants et des voyageurs. Parmi eux, des expatriés un peu trop bruyants, fiers d’expliquer comment ils évitent de payer des impôts, et de nombreux touristes russes –la Russie étant, hors Asie, le pays d’où provient le plus grand nombre de visiteurs. Seul inconvénient du pays: une chaleur accablante, avec des températures record. «Il y a eu des journées éprouvantes, confie Jason Isaacs, évoquant des corps en sueur et des odeurs corporelles peu agréables. Parfois, nous étions entassés dans de petites pièces sans climatisation, avec l’équipe qui nous épongeait et nous apportait de la glace. Mais bon, on a passé six mois en Thaïlande… Je ne pense pas qu’on soit à plaindre.»
Masterclass en psychologie
Le fait que la Thaïlande soit devenue une destination prisée des quêtes spirituelles et du tourisme du développement personnel alimente cette saison d’une manière inédite. Presque tous les personnages traversent une crise existentielle. Afin d’ancrer ces thématiques à tous les niveaux de la série, Mike White a organisé, dès le premier jour de tournage, une cérémonie de bénédiction avec des moines pour l’ensemble du casting et de l’équipe technique. «Dès le départ, ce tournage m’a semblé différent et plus profond que n’importe quel autre projet sur lequel j’avais travaillé jusqu’alors», confie Leslie Bibb.
White, qui s’est lui-même tourné vers le bouddhisme après une crise personnelle, a impliqué tous les acteurs dans la dimension spirituelle du pays. «Mike a beaucoup parlé de spiritualité et de la mort, raconte Carrie Coon. Mais ce qui l’obsède avant tout, c’est l’identité. Qu’est-ce qui fonde notre identité? Comment la construisons-nous en relation avec ceux qui nous sont proches et les étrangers que nous croisons dans la rue?» Dans l’univers de White, tous les personnages souffrent, mais s’accrochent désespérément à leur propre récit. «Or, le bouddhisme repose justement sur l’idée de lâcher prise», conclut-elle.
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L’étroite relation entre identité et souffrance se manifeste particulièrement dans l’histoire des personnages interprétés par Carrie Coon, Leslie Bibb et Michelle Monaghan, trois amies de longue date. Lorsqu’elles sont ensemble, elles se couvrent mutuellement d’éloges, mais dès que l’une d’elles quitte la pièce, les ragots acerbes fusent. Une dynamique à la fois cruelle et universelle, que Coon admet «malheureusement» reconnaître. «C’est ainsi qu’on nous maintient à notre place. C’est une pure stratégie de division, analyse-t-elle. La seule manière de déconstruire ces structures de pouvoir, c’est d’avoir, en tant que femmes, des conversations que nous n’aurions jamais osé avoir auparavant. C’est pour cela que j’adore mes 40 ans. Je commence seulement à voir des histoires de femmes d’âge mûr qui sont réellement intéressantes, et à comprendre à quel point les amitiés féminines sont précieuses dans ma vie. Et aussi à quel point j’ai besoin d’aide. On nous a appris à prétendre que tout allait toujours bien. L’histoire que nous racontons dans The White Lotus est une invitation à être authentiques les unes envers les autres, pour pouvoir grandir.»
Mike a beaucoup parlé de spiritualité et de la mort, mais ce qui l’obsède avant tout, c’est l’identité.
Carrie Coon
Ce qui distingue The White Lotus des autres satires sociales comme Triangle of Sadness ou Squid Game, c’est la profondeur avec laquelle Mike White explore les contradictions et les pulsions humaines. Derrière sa décadence grotesque, la série parvient à maintenir un équilibre subtil entre la répulsion et le côté reconnaissable de ses personnages. Patrick Schwarzenegger, fils d’Arnold, incarne Saxon, l’aîné d’une famille obsédée par le travail. Un sale gosse sexiste que le public adorera détester, mais pas jusqu’à la fin, promet l’acteur: «Il y a une grande vulnérabilité dans ce personnage. J’ai reconnu en lui ce besoin de validation paternelle. Son comportement est dérangeant, mais au fond, il cherche surtout à attirer l’attention de son père.»
Le personnage d’Aimee Lou Wood, Chelsea, une passionnée d’astrologie, forme un couple avec Rick (Walton Goggins), un homme tourmenté aux intentions troubles. «J’écoute énormément de podcasts sur la thérapie de couple et je suis une immense fan de la sexologue Esther Perel, confie l’actrice. J’étais donc très consciente que cette relation était dysfonctionnelle, même si Chelsea veut désespérément croire que le cosmos les a réunis.» En revanche, la dynamique entre elle et Goggins était particulièrement saine. «Mike choisit chaque acteur séparément, mais il a une intuition infaillible pour sentir ceux qui vont bien fonctionner ensemble. Walton est Scorpion Lune, moi Scorpion Soleil. Je ne veux pas parler comme Chelsea, mais que Mike nous ait réunis ressemble à un étrange alignement cosmique.»
The White Lotus (saison 3)
Disponible HBO Max à partir du 17 février.
Une série de Mike White. Avec Michelle Monaghan, Walton Goggins, Parker Posey. 8 épisodes de 60 minutes.
La cote de Focus:
Après Hawaï et la Sicile, The White Lotus pose ses valises en Thaïlande pour sa troisième saison, qui renouvelle comme à chaque fois entièrement son casting et son intrigue pour l’occasion. Les enjeux, eux, restent similaires: gratter le vernis de respectabilité et de bonheur en toc de riches Occidentaux en vacances afin d’en révéler la tristesse, le vide, les déviances, l’hypocrisie et les failles… Jusqu’au déraillement fatal. Ouvrant sur une large galerie de personnages constamment agacés et agaçants, cette troisième saison, nouveau dépliant touristique aux relents acides, flirte souvent avec la caricature un peu creuse, bavarde et répétitive, mais touche aussi parfois à une forme de fascinante hypnose grinçante, notamment grâce à la musique envoûtante de l’excellent Cristobal Tapia de Veer. Chacun, bien sûr, cache quelque chose dans ce grand Cluedo à l’exotisme trompeur.
N.C.
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