
Banger, une comédie à 140 bpm avec Vincent Cassel en DJ vieillissant
Avec Banger, film qui se glisse dans les coulisses de la musique électro, So Me offre à un Vincent Cassel désopilant un rôle sur mesure.
Mieux vaut prévenir: Banger n’est pas un biopic, même fictif, de la French Touch 2.0 et de ses hérauts: «C’est avant tout une farce, s’amuse son réalisateur, So Me, avec une intrigue à la limite de l’absurde pour raconter l’histoire d’un DJ qui vieillit et se demande comment rester à la page alors que ses concurrents –et son public– ont la moitié de son âge.» Le graphiste/vidéaste/illustrateur (un slasheur avant les slasheurs, en somme) avait envie depuis de nombreuses années de s’essayer à la fiction, après avoir navigué dans l’univers du clip et de la pub. Mais pour ça, «je voulais parler d’un milieu que je connais, il y a déjà assez de défis à relever comme ça quand on fait un premier film. Et puis, le milieu du DJing me semblait hautement compatible avec l’approche satirique dont j’avais envie.»
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Avant de tenir le premier rôle dans Banger, le personnage de Scorpex avait déjà fait une première apparition dans 6 x Confiné·e·s, programme de courts métrages produit par Canal + en 2021. Enfermé dans son appart avec un jeune DJ et sa compagne, il enchaînait postures de yoga et DJ set Zoom, sur fond de conflit intergénérationnel. La rencontre artistique avec Vincent Cassel fait naître l’envie de pousser le personnage dans ses retranchements. Quand Netflix fait part de son intérêt, le projet prend forme, sorte d’hybridation à 140 bpm entre «un film d’espionnage parodique» et «une comédie musicale, mais au sens littéral du terme, ce n’est pas un musical à l’anglo-saxonne, il n’y a pas de numéros chantés et dansés, mais il y a de l’humour, et la musique y est organique, elle fait partie du récit diégétique, en plus de la BO.» Vu sa place au casting, il fallait les bons acteurs pour donner corps à cette partition musicale omniprésente. Ces perles rares, ce sont les merveilleux touche-à-tout frères Dewaele, aka Soulwax, aka 2manydjs. «Avec Stephen et David, notre amitié date des débuts du label Ed Banger. Ce sont non seulement des musiciens ultradoués, mais aussi des remixeurs hors pair, et des garçons extrêmement cultivés. Comme il sont très occupés, on s’était toujours dit qu’il nous faudrait un projet commun pour pouvoir se poser ensemble. Dès le départ, il y avait le désir de créer la musique qui corresponde à chaque personnage. Quelle serait celle d’un DJ sur le retour, d’un DJ commercial, d’une jeune DJette alternative? Des exercices de style hyperstimulants, avec le souci d’être (un peu) parodique tout en restant crédible dans chacun des styles abordés, plein de petites sous-divisions de la musique électronique. Comme les 2manydjs produisent tous les artistes qui sortent sur leur label, ils ont ce côté caméléons bricoleurs, et je savais que si je leur demandais un morceau de techno rave, puis un morceau plus funk et groove, ils pourraient délivrer; le challenge pourrait les amuser.»
Les amuser, et nous amuser au passage, remportant le pari de rendre drôle non pas la musique elle-même, mais la façon dont elle caractérise les personnages, et crée le décalage. D’autant qu’elle est également l’une des armes les plus redoutables de la guerre larvée des générations qui innerve le récit.
Le tube à tout prix
Scorpex est «au creux de la vague de chez creux de la vague», comme l’exprime vertement le personnage de policière interprété par Laura Felpin (Bref!, Joli joli…) qui pose son œil extérieur et volontiers moqueur sur le grand cirque dans lequel Scorpex est prêt à tout pour continuer à se produire. «Il a un rapport à la musique un peu démodé, observe So Me, il cherche le tube à tout prix, alors que les jeunes artistes qu’il croise, quel que soit leur positionnement, conçoivent leur carrière de manière différente; ils sont moins obsédés par le tube que par leur surface numérique. Ils savent que pour exister aujourd’hui, il faut envisager une plus grande transversalité entre des milieux comme l’art, la mode, le cinéma et la musique. A l’époque, Scorpex pouvait se contenter de vendre des disques, mais aujourd’hui ça ne suffit plus. La musique s’est dématérialisée, et la visibilité s’est répandue sur d’autres supports. On la fait vivre sur les réseaux, en s’ouvrant à d’autres communautés. Scorpex ne prend rien de tout ça au sérieux au début, mais il s’adapte à l’époque au fil du film.»
«Les jeunes sont finalement des vieux cons en devenir, c’est un cycle sans fin, non?»
Si les atermoiements du vieux DJ prêtent à rire, la jeune génération aussi. Entre sa légère tendance à l’arrogance et son narcissisme rampant, elle est loin d’être idéalisée. «Les jeunes sont finalement des vieux cons en devenir, c’est un cycle sans fin, non? Je ne vois pas dans la jeunesse une vertu qui balaierait tout le reste, plutôt une nouveauté qui peut être énergisante. La jeune génération est un terrain tout aussi fertile à la satire, elle a un potentiel de ridicule tout aussi développé, par exemple par sa capacité à penser qu’elle sait déjà.»
Pied de nez
Alors oui, on sourit de la mégalomanie un peu creuse de Vestax, de l’idéalisme naïf de la fille de Scorpex, DJette conceptuelle, du DJ «dont-on-ne-peut-pas-prononcer-le-nom» (Jean-Marc) interprété par Panayotis Pascot, de la folie des grandeurs de Tabitha, créatrice de mode excentrique (irrésistible Déborah Lukumuena), on en sourit, tout en les enviant un peu. Et en admirant aussi au passage le panache de Vincent Cassel, qui se joue de sa propre image pour nourrir son personnage. «Scorpex, c’est le boomer par excellence, et Vincent embrasse complètement ça. Ce qui est très satisfaisant pour un réalisateur, c’est qu’il n’a absolument pas peur du ridicule. Il joue les choses au premier degré, tout en s’amusant, me semble-t-il, avec un petit sourire en coin de l’éventuelle porosité qu’il pourrait y avoir entre son personnage et ce que lui peut représenter aux yeux d’une partie du public. C’est un peu un pied de nez aussi, au statut de symbole du mâle blanc qui sort avec des femmes plus jeunes qu’on lui a attribué, et ça ne fait qu’enrichir la proposition.»
Avant de quitter So Me, on a tout de même envie de lui poser une question: existe-t-il, à ses yeux, un grand film sur l’électro, ou est-ce un genre musical qui résiste au cinéma? «Il y a eu quelques films autour de l’EDM, une version américanisée de la techno, plus grande, plus bruyante, mais les films sont du même acabit. En France, sur la French Touch, il y a eu Eden de Mia Hansen-Løve, mais c’est un film indépendant assez intimiste. Des films grand public, je ne vois pas trop. Peut-être que la performance musicale en électro n’est pas forcément très cinégénique. C’est sûr que voir quelqu’un aux platines, ce n’est pas aussi spectaculaire qu’un groupe de surf music. Il y a une forme de sobriété antispectaculaire. L’électro, ça se vit plutôt dans un club. Même à la maison, on n’en n’écoute pas tant que ça. Mais bon, il peut se passer des choses amusantes dans les studios, backstage. Il y a sûrement un grand film à faire sur l’électro!»
Banger
Disponible sur Netflix.
De So Me. Avec Vincent Cassel, Laura Felpin, Mister V. 1h30.
La cote de Focus: 3/5
Scorpex, un ex-DJ star, aimerait faire son retour derrière les platines et échanger l’intimité de sa chaîne YouTube contre l’exaltation d’un club bondé. Alors quand on lui propose, ou plutôt impose, une mission d’infiltration pour démanteler un trafic dans lequel trempe le dernier DJ en vogue, ses yeux brillent à l’idée d’un come-back. Sauf que Scorpex n’a plus vraiment les codes, et le dialogue avec la nouvelle génération, à commencer par sa fille, ne va pas sans quelques fausses notes. Avec cette comédie modeste mais sincère haute en beats, au casting séduisant et aux dialogues acérés, So Me s’aventure sur un terrain satirique qu’on a plus coutume de voir chez les Anglo-Saxons. Il offre en outre à Vincent Cassel un rôle de loser boomer inattendu, taillé sur mesure, et que l’acteur assume avec panache.
A.E.
So Me, metteur en images de la French Touch
So Me, metteur en images de la French TouchLa dédidace est glissée au tout début de Banger: «Pour Philippe et Mehdi.» Philippe, c’est Zdar, moitié du groupe Cassius, décédé en 2019, à 52 ans, d’une chute accidentelle. De la même manière que DJ Mehdi, disparu lui en 2011, âgé d’à peine 34 ans. L’un et l’autre constituaient des piliers de ce que l’on a appelé la «French Touch».
Une vague de musiques électroniques made in France, dont So Me, alias Bertrand Lagros de Langeron, a façonné en grande partie l’identité visuelle. Notamment à travers son travail pour le label Ed Banger. En charge de la direction artistique (DA) de l’enseigne lancée par Pedro Winter, il façonnera des pochettes pour DJ Mehdi, Cassius, Breakbot, etc. En 2003, celui qui vit alors en coloc’ avec Gaspard Augé assistera également à la fameuse soirée raclette qui donnera en quelque sorte naissance au groupe Justice. Par la suite, il réalisera les animations et les graphismes de quelques-unes des vidéos le plus iconiques du duo électro –D.A.N.C.E, DVNO, etc. Des clips marquants qui l’amèneront à travailler de plus en plus à l’international, collaborant avec Kanye West (Good Life), Kid Cudi (Day ’n’ Nite) , MGMT (It’s Working), Major Lazer (Get Free) ou encore A-Trak et Armand van Helden (le fameux Barbra Streisand de Duck Sauce)
L.H.
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