Julia Roberts et Luca Guadagnino ne s’attendaient probablement pas à un tel retour de flamme avec leur film Après la chasse, un thriller post-MeToo dans le milieu universitaire américain.
Après la chassede Luca Guadagnino
Prime Video
Thriller avec Julia Roberts, Andrew Garfield, Ayo Edebiri. 2h19.
La cote de Focus: 4/5
«Ennuyeux, prétentieux, trop long», a déclaré la majorité des médias à propos du nouveau film de Luca Guadagnino. Certes, les dialogues, saturés d’arrogance intellectuelle, n’en finissent pas, les personnages sont vaniteux, et la morale trouble. Mais c’est précisément le but! Après la chasse flirte avec l’inconfort moral et refuse obstinément de choisir un camp. Julia Roberts incarne Alma Imhoff, une prof de philo à l’université de Yale. Lorsqu’une jeune doctorante noire accuse son collègue d’agression sexuelle, le ton se durcit dans un duel entre croyance et statut, féminité et pouvoir, vérité et réputation. Que l’intrigue se déroule dans un monde de privilèges sociaux rend l’ensemble d’autant plus acerbe. Luca Guadagnino filme tout cela avec une précision chirurgicale et Julia Roberts obtient enfin un nouveau rôle où elle peut mordre, hésiter et dominer.
D.M.
Fin août dernier, Julia Roberts s’apprêtait à monter pour la première fois de sa carrière les marches d’une première mondiale au Festival de Venise. Dans Après la chasse, la star de Pretty Woman et Erin Brockovich incarne brillamment un personnage plus dur que ceux auxquels elle nous a habitués. Avec ce film post-MeToo, le réalisateur italien Luca Guadagnino (Call Me by Your Name, Challengers) titille, certes, la controverse, mais il pouvait se reposer sur le statut de son actrice principale et sa capacité éprouvée à naviguer habilement sur les sujets sensibles. Et pourtant, tout a dérapé.
Huit ans après l’explosion du mouvement MeToo qui a secoué l’industrie du cinéma et la société tout entière, Julia Roberts et Luca Guadagnino collaborent dans un thriller qui montre surtout à quel point il est devenu difficile de réfléchir encore de manière nuancée. Après la chasse est devenu la cible de l’indignation qu’il tente d’interroger.
Lors de la conférence de presse à Venise, des journalistes ont tout de suite demandé à Julia Roberts si elle ne contribuait pas ainsi à saper la lutte féministe. Et le pire restait à venir… Une avalanche de critiques négatives et des résultats catastrophiques au box-office américain: trois millions de dollars de recettes, bien loin de son budget de production de 70 millions. Chez nous, le long métrage doit même se contenter d’une humble sortie sur la plateforme Prime Video.
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Choisir son camp
Julia Roberts incarne ici Alma Imhoff, professeure de philosophie à la prestigieuse université de Yale. Elle y enseigne le panoptique de Michel Foucault, un concept décrivant un modèle de pouvoir et de contrôle, avant de se retrouver elle-même plongée dans un bourbier moral. Maggie (Ayo Edebiri, vue dans The Bear), l’une de ses doctorantes, accuse Hank (Andrew Garfield), collègue et meilleur ami d’Alma, de comportement déplacé. Tous deux supplient Alma de prendre parti. Elle refuse, en partie par opportunisme, par instinct de survie et en raison d’un sombre secret, mais aussi par doute légitime. Même si Maggie a été surprise en flagrant délit de plagiat, cela ne signifie pas qu’elle mente sur les faits.
Une part de la controverse, ou du malaise, suscité par le film tient à la pression sociale qui pousse chacun, spectateurs et critiques, à choisir son camp. Cette pression est évidemment compréhensible. Il est établi que le nombre de victimes qui mentent à propos d’une agression sexuelle est infinitésimal comparé au nombre réel de crimes sexuels. Mais, avec Après la chasse, prendre parti ne peut mener qu’à la déception. Les vraies circonstances des faits ne sont pas révélées. Il faut composer avec cette incertitude, et cela peut susciter de la colère.
Luca Guadagnino tente de mettre en lumière un autre aspect que l’abus sexuel. Il se concentre sur la manière dont chacun, à l’ère post-MeToo, gère une accusation susceptible d’avoir de lourdes conséquences. L’université de Yale n’ose pas douter et suspend immédiatement le professeur. Les étudiants hurlent au scandale. Un mélange de conflit générationnel, de guerre de perceptions et de lutte culturelle éclate.
Dans Après la chasse, prendre parti mène à la déception.
Maggie, la victime présumée, est une femme noire qui partage sa vie avec une partenaire non-binaire et maîtrise la rhétorique des privilèges. L’accusé, homme cis blanc occupant un poste académique, devient «l’ennemi à abattre». Hank rétorque qu’il a grimpé seul l’échelle sociale –il est issu d’un milieu défavorisé– alors que Maggie est la fille d’un couple richissime dont les dons plantureux financent l’université. Genre, couleur de peau, classe sociale, sexualité, privilèges, conflits générationnels: devant le tribunal de l’opinion publique, tous les arguments sont bons, même ceux qui n’ont rien à voir avec l’affaire.
La bande-annonce et l’affiche mettent en avant une phrase qu’Alma murmure à Maggie dans le feu de l’action: «C’est normal de ne pas toujours te sentir à l’aise.» Autrement dit: «Apprends, ma pauvre petite, que les choses ne se passent pas toujours comme on le voudrait.»

Pavé dans la mare
Ces mots ont pu donner l’impression d’un film réactionnaire, qui voudrait remettre les jeunes à leur place. Un chroniqueur du New York Times a titré: «Le nouveau film de Julia Roberts déborde de rancœur antiwoke.» Une lecture qui ne tient pas quand on voit comment le film dépeint la génération plus âgée: elle vole, ment, manipule, boit trop et pratique une hypocrisie satisfaite d’elle-même, noyée dans l’ironie et le sarcasme, afin de masquer ses faiblesses. Même lorsqu’elle enseigne l’éthique ou la philosophie. L’intérêt personnel domine, et le monde académique ressemble à un panier de crabes.
Luca Guadagnino a sans doute sous-estimé les réactions que susciteraient certaines provocations assumées. Notamment les références explicites à des artistes jugés «problématiques». Dans un bar, quelqu’un s’étonne que l’on passe encore The Smiths malgré les opinions politiques controversées de Morrissey. Le graphisme des génériques et les mots «It Happened at Yale» renvoient aux films du décrié Woody Allen. «Mes collaborateurs et moi ne pouvions nous empêcher de penser à Crimes et délits, Une autre femme, voire Hannah et ses sœurs, s’est défendu le réalisateur italien à Venise. La structure du récit semblait profondément liée au fabuleux corpus d’Allen entre 1985 et 1991. Cela nous a semblé être un clin d’œil intéressant à un artiste aux prises avec certains problèmes.»
Luca Guadagnino a d’ailleurs précisé qu’Après la chasse devait avant tout être vu comme un sujet de débat. Un pavé dans la mare, qui pose beaucoup de questions sans réponses simples, en espérant que cela fasse réfléchir ou interroge la propre position du spectateur.
Le film questionne la manière d’aborder l’ambiguïté dans une époque qui exige des positions absolues, mais se retrouve lui-même broyé par celles-ci. Une jeune femme noire queer qui accuse un professeur blanc de comportement déplacé ne peut, selon certains, avoir des motivations douteuses. La cancel culture n’existerait pas: en avoir peur serait réactionnaire. Le rejet du film semble confirmer sa thèse: aujourd’hui, le doute et la nuance deviennent presque suspects. Les réactions en disent peut-être davantage sur ceux qui réagissent que sur le film lui-même.
Impossible cependant d’ignorer qu’Après la chasse trouve difficilement son public. Entre l’intention de Guadagnino et la réception de son œuvre, il y a un gouffre aussi large que celui qui sépare les générations dans le film. Le timing n’aide pas non plus. Beaucoup estiment qu’il déterre de vieilles affaires.
Avec Après la chasse, Julia Roberts et Luca Guadagnino ne cherchaient pas à choisir un camp, encore moins à reculer sur MeToo ou à le remettre en question. Ils montrent à quel point il est devenu précaire, chaotique et violent de gérer les accusations et le pouvoir. Il ne s’agit pas d’un pamphlet antiwoke, plutôt d’un film qui reflète le malaise de notre époque et les frictions entre générations. Et cela passe mal. ●
MeToo en dix films
Scandale (2019) raconte comment les employées de Fox News se sont rebellées contre Roger Ailes, le patron extrêmement sexiste de la chaîne conservatrice. Pour leurs rôles respectifs, Charlize Theron et Margot Robbie ont décroché une nomination aux Oscars, pas Nicole Kidman.
L’Assistante (2019) n’est pas un règlement de comptes triomphal contre une figure «à la Harvey Weinstein», plutôt un portrait glaçant du climat oppressant qui rendait possibles les comportements sexistes en entreprise.
Slalom (2021) met en scène une jeune skieuse sous l’emprise physique et émotionnelle de son entraîneur, interprété par le Belge Jérémie Renier. Un film terriblement crédible.
Le Dernier Duel (2021) est une fresque sombre et glaciale signée Ridley Scott. Adam Driver et Matt Damon y campent des chevaliers misogynes. Une sorte de MeToo médiéval.
She Said (2022) propose une reconstitution méthodique du travail de Jodi Kantor et Megan Wohey, deux journalistes du New York Times, qui aboutira en 2017à la chute du producteur Harvey Weinstein.
Promising Young Woman (2022), récompensé par l’Oscar du meilleur scénario original, se présente comme une satire féministe d’une société américaine bon teint, où les relations entre hommes et femmes sont encore déterminées par des schémas de violence et de domination.
How to Have Sex (2023) est à la fois un film poétique et intense sur trois adolescentes londoniennes en vacances sur une île grecque et un cri pour une meilleure éducation sexuelle.
Blink Twice (2024), premier long métrage, sombre et comique, de Zoë Kravitz. Sur l’île privée d’un milliardaire de la tech, les femmes doivent sourire pour ne pas laisser deviner qu’elles voient clair dans les abus commis. Un film d’horreur.
Babygirl (2024) est un thriller érotique où Nicole Kidman, PDG d’une entreprise, expérimente des jeux sexuels avec un stagiaire beaucoup plus jeune qu’elle. La réalisatrice néerlandaise Halina Reijn chamboule toutes les certitudes du spectateur sur MeToo.
Sorry Baby (2025) raconte avec humour et délicatesse les conséquences bouleversantes de violences sexuelles dans le milieu académique.