Families Like Ours, la série très plausible de Thomas Vinterberg où les Danois sont des réfugiés climatiques

Dans Families Like Ours, les Danois se retrouvent en mauvaise posture.
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Et si le changement climatique rendait le Danemark invivable, forçant six millions de personnes à évacuer le pays? Le réalisateur oscarisé Thomas Vinterberg explore cette question de manière implacable dans sa première série, Families Like Ours.


Les Pays-Bas ont fait faillite en investissant toute leur richesse dans une lutte désespérée contre la montée du niveau de la mer. Le Danemark pense être plus malin en évacuant le pays à temps et en investissant tout l’argent dans la relocalisation ordonnée de ses quelque 6 millions d’habitants. Mais comment organiser cela? Où aller? Qui acceptera d’accueillir les Danois? Et faut-il suivre dans l’exil son père remarié, son amoureux ou sa mère sans ressources? Thomas Vinterberg développe ce scénario catastrophe dans sa première série, Families Like Ours, à la fois percutante et bouleversante. «Tout est totalement fictif, mais nous avons rendu le scénario aussi plausible que possible. Nous avons longuement discuté avec des ministères, des scientifcovid papier toques, etc., et nous avons même consulté les cartes, sourit Vinterberg peu avant la première mondiale de sa série au Festival du film de Venise. Les Pays-Bas sont situés 8 mètres sous le niveau de la mer. Il est donc plausible que l’océan engloutisse ce pays parmi les premiers. Je suis convaincu que le Danemark ne resterait pas les bras croisés en attendant la Grande Vague. Nous prendrions une décision politique réfléchie et débattrions de la meilleure façon de sauver tout le monde. C’est dans notre nature.»

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Papier toilette et sacs de sable


Le réalisateur danois de chefs-d’œuvre comme Festen et La Chasse, oscarisé pour Drunk, a eu cette idée il y a sept ans, alors qu’il travaillait sur Kursk, la reconstitution du naufrage d’un sous-marin russe, avec Matthias Schoenaerts et Léa Seydoux. «C’était une production franco-belge. Rien à redire sur la Belgique, mais à Paris, après six mois dans le café du quartier où je résidais, on me traitait toujours comme un touriste. Un dimanche, j’ai tout à coup été submergé par la nostalgie du Danemark. C’est alors que j’ai commencé à réfléchir à des histoires de familles forcées de se séparer.»
Un premier jet de l’histoire a été rejeté, trop absurde. «Mais ensuite, la vie nous a rattrapés. La pandémie a éclaté et soudain, j’ai dû supprimer des scènes parce qu’elles ressemblaient trop à la réalité, comme ces gens qui se ruaient pour acheter tout le papier toilette.»
La réalité n’a cessé de rattraper la série. «Récemment, la moitié du Danemark s’est retrouvée sous eau. Il y avait plus de champs inondés dans la réalité que dans ma série. J’ai même reçu des indications sur l’endroit où récupérer des sacs de sable pour ma maison d’été, qui se trouve à un jet de pierre de l’océan. L’eau n’est pas en train d’arriver, elle est déjà là. Les prix de l’immobilier dans les zones proches de l’eau baissent et les coûts d’assurance explosent. C’est assez effrayant.»

Tout est totalement fictif, mais nous avons rendu le scénario aussi plausible que possible.

Nous ne pouvons pas faire mieux


Thomas Vinterberg précise immédiatement qu’il n’a pas d’agenda politique et qu’il ne se considère pas comme un prophète de malheur. «Mon but n’est pas de faire la morale ou de transmettre un message politique, mais j’espère que cette série contribuera au débat sociétal. Elle ne parle pas d’abandonner notre pays et notre mode de vie, mais bien de la façon dont nous pouvons nous réinventer. Heureusement, nous avons cette capacité.»
Le réalisateur croit peu à la possibilité d’éviter la catastrophe climatique en changeant rapidement et radicalement nos comportements. «J’ai peur que même si nous voulons changer, nous n’en soyons pas capables. Tout le monde continue à prendre l’avion, à acheter toujours plus de vêtements et d’objets. Même les jeunes ne changent pas. Ils le veulent, encore plus que ma génération, mais ils ne passent pas à l’action. Ils prennent l’avion, ils consomment encore davantage. Attention, ce n’est pas un reproche! Nous faisons ce que nous pouvons.»
Thomas Vinterberg cite un professeur de psychologie qui lui a assuré que l’être humain fait toujours de son mieux. «L’homme fait ce qu’il peut. C’est une certitude. Malheureusement, à l’heure actuelle, ce n’est pas suffisant, mais nous ne pouvons tout simplement pas faire mieux. Je ne suis pas forcément terrifié, je suis surtout curieux de voir comment nous allons gérer ce changement, comment nous allons nous réinventer.»

Mon ex ou mon beau-père?

Cet exercice de pensée a rapidement amené Thomas Vinterberg à se questionner sur ce qu’un réfugié perd, sur les choix difficiles. «En pleine crise, qu’est-ce qui compte vraiment? Qui mérite une place dans votre bateau de sauvetage? Pour moi, la réponse était ma famille. Pour mes enfants et ma femme, je suis prêt à tout. Mais que faire si je dois choisir entre mon ex-femme et mon beau-père? Ce genre de questions faisait battre mon cœur plus vite. Elles ont été le moteur de la série.»


Families Like Ours n’est pas une commande d’un service de streaming ou d’une chaîne de télé. « e suis novice en matière de séries télé. Je ne connais rien aux cliffhangers et ce genre de choses. J’avais simplement trop de matière pour un seul film, rit le Danois. Mais les séries, c’est un tout autre jeu. Devoir tout structurer en épisodes de 50 minutes exactement, je trouvais ça contraignant. Le tournage était physiquement épuisant, mais il dure tellement longtemps et doit aller si vite que l’on finit par entrer dans un état de concentration où tout commence à aller de soi. C’est très excitant. Un film, c’est 30 jours de panique non-stop. Une série, c’est avancer sans regarder en arrière.»

Cette série l’a-t-elle aidé à surmonter cette nostalgie ressentie un dimanche dans un café parisien? «D’une certaine manière, oui. Le fait de dire adieu à quelque chose ou d’en être séparé nous permet de mieux l’apprécier. Families Like Ours est une déclaration d’amour à ma famille et à mon pays. Nous, les Danois, nous sommes profondément attachés à nos poèmes, nos chansons, notre langue, notre culture. C’est en nous en privant, dans une expérience comme Families Like Ours, que j’en ai pris pleinement conscience.»

SÉRIE/DRAME

Families Like Ours

de Thomas Vinterberg. BE 1 à partir du 17/3 à 20.30. Avec Amaryllis April August, Albert Rudbeck Lindhardt, Nikolaj Lie Kaas. 7 épisodes de 52 mn.

La cote de Focus: 4/5

Sécuriser le littoral coûterait beaucoup trop cher. Face à l’inexorable montée des eaux, le gouvernement danois fait le choix de la prudence: déplacer sa population avant que la flotte la submerge et que l’Europe lui ferme ses portes. Avec Families Likes Ours, Thomas Vinterberg (Drunk, Festen) signe une série catastrophe qui ne joue pas la carte du spectaculaire mais questionne les instincts humains et les dilemmes moraux en organisant l’évacuation d’un pays et en soumettant une nation occidentale à la condition de migrants. Vinterberg aborde le déracinement et le sentiment de culpabilité, les perspectives de disparition d’une langue et d’une identité. Chronique familiale, drame choral dans un futur proche bouleversé, cette fable greffée sur une réflexion politique n’est pas sans rappeler la remarquable série britannique Years and Years. Pertinent et perturbant.

J.B.

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