Comment je suis devenu super-héros, sur Netflix: recette d’un blockbuster à la française
Pour son premier long métrage, le réalisateur Douglas Attal ose le blockbuster à la française et se fend d’un singulier film de super-héros tourné dans Paris. À voir sur Netflix.
Bien sûr, il y avait déjà eu, récemment, le cas Vincent n’a pas d’écailles de Thomas Salvador (2014), réjouissante comédie fantastique construite autour d’un personnage dont la force et les réflexes décuplent au contact de l’eau. Mais cette petite merveille d’inventivité artisanale continuait de s’inscrire dans une tendance auteuriste du cinéma français. Le dossier Comment je suis devenu super-héros est tout autre. On parle bien ici d’un blockbuster, d’une véritable super-production à l’échelle hexagonale, avec les stars et les moyens du cru. Aux commandes, le réalisateur Douglas Attal, dont c’est le tout premier long métrage, ferait figure de parfait inconnu s’il n’était le rejeton d’Alain Attal, célèbre producteur qu’on retrouve derrière les films de Guillaume Canet, de Nicole Garcia ou encore du Grand Bain de Gilles Lellouche. Père et fils ont travaillé main dans la main pour donner vie à ce projet assez unique en son genre: un film de super-héros tourné dans Paris, avec un ton, un ADN et un ancrage ouvertement français.
Situant son action à l’époque contemporaine, le film imagine un monde où les super-héros sont tout à fait banalisés et intégrés dans la société. Il suit le quotidien de deux policiers (Pio Marmaï et Vimala Pons) qui enquêtent, à l’aide d’anciens justiciers (Leïla Bekhti et Benoît Poelvoorde, notamment), sur le trafic d’une substance à même de donner des super-pouvoirs à ceux qui n’en ont pas, rendant la situation relativement ingérable dans la capitale. Rencontré au cours du dernier Festival du Cinéma Américain de Deauville, où le film faisait la clôture, Douglas Attal retrace pour nous la genèse du projet: « Je suis un grand fan de comic books depuis l’enfance mais je n’imaginais pas un seul instant réaliser un jour un film de super-héros. Parce que dans ma tête, c’était vraiment un genre qui appartenait aux Américains, et je ne voyais pas trop l’angle possible pour le traiter en France. Et puis je suis tombé sur un article du magazine Comic Box, une revue française qui a hélas disparu depuis, à propos d’un roman: Comment je suis devenu super-héros de Gérald Bronner, un sociologue et écrivain originaire de Nancy. Et ça m’a intrigué. Donc j’ai lu le bouquin et j’ai eu un vrai coup de foudre. Et là, pour le coup, j’ai vraiment vu un angle d’attaque possible pour aborder le genre super-héroïque en France. Avec beaucoup d’intimisme, un portrait fouillé de personnages et cette idée assez géniale de justiciers totalement intégrés à la société… »
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Un cinéma de personnages
Très vite, dans son travail d’adaptation, Douglas Attal comprend qu’il ne peut pas se contenter de faire un film de super-héros en singeant le modèle hollywoodien. « C’était ma préoccupation principale. Je voulais que le film possède une vraie patte française, dans le ton, dans l’humour… L’une des clés, je pense, ça a été notamment d’aborder cette adaptation par l’angle du polar réaliste. On s’est un peu inspirés de films comme L. 627 de Bertrand Tavernier, par exemple, ou Polisse de Maïwenn. J’avais aussi les dernières saisons de la série Engrenages en tête, pour ces rapports à la fois très simples et très profonds qui existent entre les personnages, pour ce souci des émotions, de l’intériorité des uns et des autres… Avec cette idée de lancer l’histoire en l’ancrant absolument dans un quotidien, dans la vie de tous les jours d’un flic qui arrive au bureau. L’aspect super-héroïque n’arrivant ensuite que progressivement, de manière même un peu inattendue. C’était très important pour moi, ça. »
Et, en effet, on se retrouve parachutés dans l’intrigue et le décor de Comment je suis devenu super-héros sans aucune forme de didactisme, sans pesanteur explicative, les spécificités de l’univers du film se manifestant petit à petit pour en révéler patiemment la cohérence et les contours. « Les Anglo-Saxons, on y revient (sourire), appellent ça une « non-expository exposition ». C’est-à-dire une exposition qui n’expose pas, en somme. C’est vraiment l’idée d’être pleinement avec les personnages et de découvrir peu à peu, à travers ce qu’ils vivent, le monde au sein duquel ils évoluent. Je tenais vraiment à privilégier le regard et le ressenti de mes personnages. Et donc, oui, au début du film, on suit simplement le protagoniste joué par Pio Marmaï: il se lève le matin, marche dans la rue et puis on voit derrière lui un mec qui, pour passer, écarte à distance une poubelle qui est sur son chemin… Pio se retourne et le regarde à peine, parce que c’est comme ça tous les jours. Il est juste habitué à voir des super-héros n’importe où et n’importe quand. »
On l’aura compris, Douglas Attal prend plaisir à jouer avec les codes dans ce film, qu’il truffe de petits détails amusants susceptibles d’en étoffer la dimension fantastique: émission de télévision de type Super-Cuistot, classement de popularité des super-héros effectué par des YouTubeurs, ce genre… Non contents de densifier subtilement l’univers super-héroïque du film, ces détails contribuent également à asseoir encore un peu plus son identité bleu-blanc-rouge. « Il ne faut pas oublier qu’il y a une vraie tradition du super-héros en France, rappelle Douglas Attal. Même si on n’a pas tellement appelé ça comme ça. Il y a une vraie tradition du justicier masqué, en tout cas. Et qui remonte à loin. Pensez à des figures comme celles de Vidocq ou Rocambole, par exemple… Le journaliste Xavier Fournier a signé un très beau livre sur la question il y a quelques années. Prenez quelqu’un comme Fantômas: c’est presque un super-vilain, au fond. C’est en tout cas un super-méchant qui n’a pas de pouvoir mais possède plein de gadgets. En cela, il évoque un méchant de James Bond mais qui pourrait aussi être un méchant de Batman. »
Le genre humain
Pio Marmaï, Benoît Poelvoorde, Vimala Pons, Leïla Bekhti, Swann Arlaud… La réussite de Comment je suis devenu super-héros tient aussi beaucoup à la ribambelle de chouettes comédiens venus d’horizons très différents que le film accroche à son casting. « Oui, j’ai eu la chance d’être entouré par un casting solide et très hétéroclite. Ils sont tous venus en jouant vraiment le jeu. À aucun moment je n’ai senti qu’ils considéraient le genre avec distance ou avec dédain. Pourtant, ce n’est pas forcément leur truc à la base. Leïla et Benoît, par exemple, ne regardent pas de films de super-héros, ils n’y connaissent rien et je pense que ça ne les intéresse pas, mais je crois qu’ils ont vu que je voulais amener quelque chose d’un peu différent, de tendre et d’humain aussi, dans leurs personnages, qui faisait qu’ils avaient vraiment quelque chose à jouer. C’est mon premier film, même si j’avais fait des courts métrages auparavant, et donc j’ai un peu appris en faisant les choses, mais je me suis découvert un goût pour le travail avec les acteurs. J’ai un peu réécrit les personnages avec chacun d’entre eux. Particulièrement avec Swann, qui joue le super-vilain. De nos discussions est né ce côté à la fois inquiétant et enfantin de son personnage, qui fait qu’il voit les gens un peu comme des jouets qu’il peut manipuler à sa guise. »
Comment je suis devenu super-héros aurait dû sortir dans les cinémas belges à la fin de l’année dernière. Mais la fermeture prolongée des salles due au contexte sanitaire en a décidé autrement. C’est finalement sur Netflix qu’atterrit directement ce divertissement efficace et malin, ambitieux mais pas prise de tête. Douglas Attal, lui, pense déjà à la suite de sa carrière. « J’ai conçu l’épilogue de Comment je suis devenu super-héros davantage dans l’esprit d’une fin ouverte que comme la possibilité de faire une suite ou de lancer une franchise. Mais après, pourquoi pas? Ce serait plutôt un spin-off alors, et en format série. On pourrait très bien imaginer, par exemple, que l’un des ados que côtoie le personnage de Callista joué par Leïla Bekhti découvre son propre super-pouvoir dans cet univers-là. Dans l’idée d’une sorte de passage de témoin. En ce moment, j’ai d’autres projets sur le feu en tout cas. Et ce sont tous des projets de films ou de séries de genre. C’est ce que j’ai toujours voulu faire. Mon premier choc en salle, quand j’étais jeune ado, c’était Sixième Sens de M. Night Shyamalan, dont j’adore toujours le travail. J’aime beaucoup ces réalisateurs qui traitent le genre avec une grande humanité et qui n’oublient jamais le drame, la dramaturgie, même quand on parle de super-pouvoirs, de monstres ou de fantômes… Guillermo del Toro est très fort aussi pour ça. »
Comment je suis devenu super-héros. De Douglas Attal. Avec Pio Marmaï, Vimala Pons, Benoît Poelvoorde. 1h37. Disponible sur Netflix à partir du 09/07. ***(*)
Jouer des scènes d’action avec des flingues, est-ce que c’est quelque chose qui vous faisait un peu fantasmer?
Oui, parce que l’action pure est très peu présente dans le cinéma français, c’est quelque chose qui est davantage réservé à la sous-classe télévisuelle à la Julie Lescaut. On a tellement été abreuvés de références américaines que c’est un peu comme si ça sonnait faux, tout ça, en France. Et du coup, le spectaculaire, les codes de l’action semblent ne pas pouvoir nous appartenir. Il y a une espèce de convention communément admise dans le cinéma français qui fait qu’on parle énormément mais qu’on bouge très peu. Donc moi, oui, quand on m’a donné les flingues sur le plateau, j’étais surexcité. Il y a eu un vrai plaisir enfantin à jouer dans ce film.
À l’écran, vous formez un tandem particulièrement attachant avec Vimala Pons…
On se connaît depuis longtemps, avec Vimala. Il y a vraiment un rapport humain d’amour et de curiosité du travail de l’autre entre nous. Ça nous a beaucoup aidés sur ce film, qui est quand même un projet assez hors norme pour nous deux et où on avait parfois un peu l’impression d’avancer dans le noir.
Quelque chose de très naturel se dégage des dialogues et des situations. Aviez-vous la possibilité d’improviser ou de proposer des choses sur le tournage?
Quand je joue chez Pierre Salvadori, comme dans En liberté! récemment par exemple, j’ai beaucoup d’espace et de latitude de jeu. Par rapport à ça, Comment je suis devenu super-héros, on ne va pas se mentir, c’est vraiment très cadré. On est quand même dans une grosse machine à douze briques, avec un casting qui a un bon potentiel de dérapage en plus, et donc Douglas Attal nous a beaucoup canalisés au niveau de l’énergie à donner. Mais malgré ça, il a tout de même gardé quelques-unes de nos propositions parmi les plus farfelues dans le montage final.
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