Au nom du père: « La religion est un des sujets les plus importants à aborder »

"C'est la chute telle que l'a écrite Camus. Celle d'un patriarche mais aussi du patriarcat, de la domination masculine." © Tine Harden
Nicolas Bogaerts Journaliste

La nouvelle série d’Adam Price, Au nom du père, est comme la face opposée d’une médaille gravée d’abord avec Borgen: une vision féministe de la politique d’un côté, la chute du patriarcat de l’autre.

Le patriarcat est en plein débandade, désemparé par la concurrence des femmes et la crise spirituelle contemporaine, rongé par sa propre auto-destruction. Adam Price, aborde cette chute vertigineuse dans le déroutant Au Nom du Père, dont il présentera la première saison au festival Are You Séries? (voir aussi ci-dessous), sous l’angle de la religiosité et de sa place (dé)structurante au sein de la société. Rencontre.

À travers Au nom du père, vous questionnez la foi dans ses aspects spirituels, personnels mais aussi en tant que source de pouvoir. Ce dernier est au centre de vos préoccupations?

La religion est un des sujets les plus puissants mais aussi, pour moi, un des plus importants à aborder. Il y a une dimension à la fois historique et politique. Nous sommes influencés par des politiques qui, quoi qu’on en dise, plongent leurs racines dans la religion. Ça donne des cas de figure incroyablement intéressants mais aussi parfois inquiétants, surtout si on regarde les trois religions principales. Il y a quatre milliards de croyants sur Terre, on parle d’une très large partie de la population qui pose des choix conscients basés sur les préceptes religieux. Pour les non-croyants, c’est juste impensable. Mais qu’on y croie ou pas, il faut reconnaître que ça exerce un pouvoir sur nos vies et même au-delà.

L’histoire de Johannes Krogh est le récit d’un effondrement, celui d’un père issu d’un lignage de pasteurs. Destructeur, castrateur avec ses fils, sa chute commence lorsqu’il perd la course à l’épiscopat face à… une femme.

C’est la chute telle que l’a écrite Camus. Celle d’un patriarche mais aussi du patriarcat, de la domination masculine. C’est une série à propos des structures de pouvoir au sein de la famille. Johannes appartient a une dynastie de pasteurs qui remonte à des générations, et au sein de laquelle le rôle des femmes était de suivre les hommes. Ce fardeau est extrêmement puissant. Mais si vous enlevez la couche de religion et que vous regardez les problèmes de cette famille, ils ressemblent à ceux de toutes les autres: les tensions dans les fratries sur le mode « est-ce que papa t’aime plus que moi? Et maman? ». Et puis la question du modèle est omniprésent: en tant qu’enfant, on le rejette? on l’embrasse? On peut tout à fait regarder la série sous l’angle familial: la relation parents/enfants, le pouvoir qui la structure et la façon dont on peut détruire les enfants lorsqu’on les étouffe d’amour ou d’attentes.

Adam Price
Adam Price© Agnete Schlichtkrull

Elisabeth, la femme de Johannes va, elle, progressivement s’extraire de l’emprise du père de famille. La relation adultère qu’elle entreprend avec une autre femme, Liv, est une manière de le mettre à l’écart.

Elisabeth en est à un moment de sa vie où elle a besoin d’être vue. Or, son mari ne la voit plus, il est trop absorbé par ses démons. Et les enfants, eux, ont grandi. Elle a vécu sa vie à travers celles et ceux qui avaient besoin d’elle. À présent qu’elle est seule avec son mari, elle sent qu’elle n’en peut plus, qu’elle a franchi un point de non-retour. Et là, une personne la voit. Il se trouve que par une belle coïncidence, c’est une femme. C’est avant tout l’amour d’un être humain envers un autre être humain. Elle dit d’ailleurs à son mari: « C’était juste de l’amour, peu importe si c’était envers un homme ou une femme. » Mais Johannes est une figure si dominante, un tel monstre, qu’il est impossible de vivre à ses côtés en dehors d’un rapport de soumission. Elle devra s’en libérer.

Johannes pète littéralement les plombs, c’en est assez effrayant. Et ça a évidemment un impact sur ses deux fils…

C’est comme s’il y avait un héritage de l’échec… Ils questionnent d’ailleurs énormément les chemins qu’ils empruntent tout au long de la première saison et ce n’est pas une partie de plaisir non plus.

Dans Borgen, vous questionniez les domaines à la fois publics et privés de la vie de Birgitte Nyborg. Quelle était votre première intention: montrer une femme qui doit choisir entre l’appropriation, l’adaptation des codes masculins du pouvoir et la création de ses propres standards?

Avant toute chose, je ne voulais pas la corrompre d’un point de vue politique. Elle reste une bonne personne, même si elle est mise en difficulté dans ses choix, y compris moraux. Elle en est consciente, elle abandonne des personnes qui l’aiment et la belle vie qu’elle aurait pu avoir avec eux: mari, enfants, vie sexuelle, alimentation saine. Ces deux séries racontent l’histoire de personnes dévorées par la passion pour leur travail, c’est quelque chose qui les écarte de ceux et de ce qu’ils aimaient. Borgen a été structuré comme un récit féministe. C’est aussi l’histoire d’une mère qui doit ouvrir les yeux sur la maladie de sa fille… À un certain moment, elle peut la perdre et doit décider de prendre congé de son poste de Premier ministre pour deux semaines, le temps de s’occuper d’elle. Il y a une vingtaine d’années, un Premier ministre norvégien, Kjell Magne Bondevik, avait choisi de mettre sa fonction entre parenthèses pour soigner sa dépression et il l’avait assumé publiquement. On voit dans Borgen comment, dans le cas d’une femme, l’opposition se montre insensible et passe à l’offensive. Si Borgen parle de la responsabilité d’une mère envers ses filles, Au nom du Père raconte celle du père envers ses fils.

La question de la responsabilité est aussi une constante dans votre écriture?

J’ai grandi entouré de parents qui étaient extrêmement professionnels et passionnés. Tous deux artistes. J’ai vraiment vu et vécu l’impact sur l’amour de parents qui laissaient de côté leurs responsabilités parentales au profit de leur passion. Je n’ai aucun grief, j’ai juste vécu en compagnie de personnes qui vivaient en accord avec leurs passions. Et en pleine conscience, une mère qui préférait jouer dans une belle pièce que de devenir la mère qu’elle voulait être. Ces choix définissent qui nous sommes, en tant que personne, et, dans la fiction, les personnages. Est-ce là le type de personne qu’ils souhaitent devenir pour autant? Johannes n’est que la somme de ses choix. Il est à la fois toxique pour ses fils et tout son entourage, dominant et charismatique.

Are You Series?

Hippocrate
Hippocrate© DR

Saison après saison, Are You Series? écrit l’histoire d’un festival qui se fait une place parmi les rendez-vous européens. Hébergé encore et toujours par Bozar, la sixème édition qui se tient 10 au 16 décembre prévoit une programmation de séries, rencontres et ateliers qui témoignent également de la professionnalisation pas à pas du secteur au plat pays.

Thomas Lilti présentera la première d’Hippocrate, série Canal+ centrée sur le mal-être des hôpitaux en France (avec Louise Bourguoin). Invité de marque, Adam Price, créateur de Borgen (2010), donnera une master class en marge de la diffusion de son nouveau et sombre bijou, Au nom du père. La jeunesse et les nouvelles formes de narration seront au rendez-vous, défendues par l’éclatante Marion Seclin, venue animer un panel axé sur l’auto-narration (et son impact sur les séries YouTube). Côté projections, Over Water, La Trève 2 (en ouverture) et De Dag représenteront la Belgique. My Brilliant Friend (adaptée du roman d’Elena Ferrante), State of Happiness (récompensé à CanneSeries) et Il Miracolo (adaptation primée à Séries Mania du livre de Niccolò Ammaniti) prouvent quant à eux l’ancrage international, européen de l’événement. Le Series Lab lancé par le Creative Europe media desk de Hambourg s’arrime à Bruxelles le temps du festival. Cet atelier de développement propose également de mettre en contact 20 producteurs et scénaristes européens, en plein projet projet de série TV, histoire de faire naître des convergences et des coproductions. Les showrunners de demain trouveront donc de quoi alimenter leurs filons et leurs réseaux.

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