1985: « Cette affaire des tueries du Brabant, c’est un peu notre Viêtnam »
Les tueries du Brabant ont lardé la Belgique de cicatrices. La série 1985 dresse le bilan des crimes et des désillusions, des chocs et des omissions, brisant enfin l’insupportable silence. Dès ce dimanche 22 janvier sur La Une.
Beaucoup se souviennent des flashs info racontant les fusillades dans des supermarchés, les courses-poursuites avec la police, les riot guns. Au mitan des années 80, les tueurs du Brabant ont, en échange de butins dérisoires, semé sur leur passage des corps gisant dans des mares de sang. Entreprise de braquage, de nettoyage ou de déstabilisation de l’État, les “tueries” ont plongé dans la paranoïa une société belge peu préparée à des années de plomb. Il reste une chape sur nos mémoires, des enquêtes aux résultats confus, un feuilleton qui n’arrête pas de rebondir sans fournir d’explication finale. 1985 évoque la violence et le chaos de l’époque à travers le regard de jeunes adultes emportés dans la tourmente: une étudiante, Vicky, et de deux amis incorporés dans la gendarmerie, Marc et Franky. Ils sont incarnés par un trio très convaincant (Mona Mina Leon, Tijmen Govaerts et Aimé Claeys). Wouter Bouvijn, réalisateur, et Willem Wallyn, scénariste, révèlent comment ils ont choisi de raconter une affaire qui n’a lâché ni ses réponses ni son emprise.
Pourquoi s’attaquer à ce serpent de mer des tueurs du Brabant?
Willem Wallyn: En tant qu’étudiant puis juriste, j’ai vécu de très près les événements. Pendant mes études, j’habitais en face de la caserne de la gendarmerie, au boulevard Général Jacques. Cette affaire des tueries, c’est un peu notre Viêtnam. Or, nos fictions n’en parlent jamais. L’atmosphère de cette époque très polarisée (gauche et droite, Est et Ouest…) était propice à ce type d’affaires. On ne voulait pas se lancer dans une explication sur qui a fait quoi, plutôt raconter comment trois jeunes, étrangers aux milieux où se perdent les origines de cette histoire, y ont été irrémédiablement projetés.
Quel type de regard vouliez-vous transmettre sur les tueries et leurs origines?
W.W.: C’était très important que Wouter, qui n’était pas né en 1985, superpose sa vision, sa poésie et sa sensibilité à la perception et au souvenir de ceux qui ont vécu l’époque. Pour éviter de faire une fiction documentaire, on a pris tous les personnages au sérieux, façonné la psychologie des trois jeunes, imaginé leur évolution, mais aussi celle du major Vernaillen, victime d’une violente attaque à son domicile, pivot du récit, ainsi que du gendarme Madani Bouhouche (interprétés respectivement par Peter Van den Begin et Roda Fawaz, NDLR). Raconter cette histoire sur cinq années, à travers cinq paires d’yeux est une question de dosage, d’alternance entre le factuel et l’émotionnel, d’un juste milieu où chaque spectateur puisse suivre cette histoire et en comprendre les racines.
Wouter Bouvijn: Ce qui m’intéressait c’était de suivre le parcours émotionnel des protagonistes, les révélations qui les frappent et les choix qu’ils doivent opérer. Quand j’ai lu le scénario, je savais vaguement qu’il était question de Delhaize, d’Alost, des mots déjà entendus. Mais j’ai été surpris de découvrir toute l’étendue de l’affaire. Marc, Franky et Vicky débarquent à Bruxelles de la campagne flamande, tout comme moi je l’avais fait. C’était une piste plus intéressante à explorer.
Une manière, aussi, pour le spectateur, de rentrer dans l’histoire avec un regard neuf?
W.W.: Absolument. Wouter m’a aidé à regarder cette histoire à travers les yeux des personnages que j’avais créés, afin de permettre à n’importe qui de la comprendre.
W. B.: On a dû aussi faire des choix. S’il avait fallu expliquer en profondeur tous les faits, on n’aurait jamais terminé la série. Il y a beaucoup d’éléments qui demeurent inexpliqués ou inexplicables.
D’où l’importance des séquences archivées en fin d’épisodes, pour rappeler les faits et le récit qui en a été fait à l’époque?
W.W.: Oui, et même moi, j’ai été choqué de redécouvrir certains éléments. Beaucoup de choses ont été étouffées. Il aura fallu le travail des journalistes pour que cambriolage de l’arsenal de la gendarmerie, une étape clé de l’affaire, arrive aux oreilles du public. La gendarmerie n’a jamais communiqué sur le sujet. On se rend compte à quel point l’époque était différente en termes de gestion de l’information et du rôle crucial des journalistes.
Reconstituer le contexte policier, judiciaire et politique était périlleux?
W.W.: Grâce à mon passé d’avocat, j’étais très à l’aise avec la matière. Les rapports de la commission parlementaire sur les tueries expriment très clairement les faits et sont à la disposition de tout le monde. J’avais une vision plutôt anti-gendarmes, mais nous avons consulté des anciens. Ils nous ont beaucoup aidé, sont avides de raconter leur histoire, de faire en sorte qu’elle soit matériellement bien rendue. Il m’est arrivé d’avoir des petits différends avec eux, mais de bonne guerre. Parce que l’image qui se dégage du corps de gendarmerie n’est pas terrible. J’ai beaucoup parlé avec le major Vernaillen, aussi, mais uniquement sur sa fonction, sa place particulière dans la hiérarchie.
Pour rendre la violence, la menace qui pèse en permanence, quelles limites avez-vous posées?
W.B.: La violence n’est pas très présente, sauf dans le regard des personnages. On voulait ouvrir la série sur une attaque, mais ça ne marchait pas. Finalement on en voit deux à l’écran. Elles sont plutôt évoquées en se focalisant sur le lieu, les sons. Les témoins à l’époque ont tous parlé des sons effroyables des armes à feu.
W.W.: On voulait montrer le choc de la violence, mais plus encore se concentrer sur sa perception, sa répercussion sur la société. Elle devient de plus en plus étouffante à mesure que les personnages la sentent, découvrent qu’ils vont devoir faire des choix. C’est aussi important de respecter la proximité temporelle de ces événements: les victimes et les lieux en portent encore aujourd’hui le poids.
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