“Nous les êtres humains, on est des tisseurs de sens. On fabrique du sens. On en a besoin. Et il y en a de disponible du sens dans la vie.” ©  EDGAR BERG

Bertrand Belin: « On avait pas mal de trucs avec des synthés dans les années 80. Mais à l’époque, je ne comprenais pas »

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Bertrand Belin chante notre rapport aux aléas de la vie sur un disque synthétique et hypnotique. Let’s dance? Rencontre.

Les bureaux de Pias. Bertrand Belin grille une clope. Le cheveu plaqué en arrière. Toujours tiré à quatre épingles. On est au lendemain du deuxième tour des élections françaises. “L’inquiétude a laissé place à l’indifférence, avoue-t-il. Parce que c’est moche quand même. Moi qui n’avais pas l’intention de voir arriver Marine Le Pen à la présidence de la République, j’ai été soulagé qu’elle ne soit pas la grande gagnante d’hier. Mais disons que ça n’a pas non plus fait place à une joie prolongée.

Sur son nouvel album, Tambour Vision, Belin a glissé un morceau, National, qui fait un drôle d’écho au climat de notre époque. “Fête nationale. Journal national. Défense nationale. Intérêt national. Effort national…” B.B. joue avec le terme pour mieux l’interroger. “Je ne me suis pas questionné pendant des heures. J’ai appliqué un petit dispositif en forme de liste. C’est simplement des mots. Et parmi ces mots, tu en as qui fâchent et d’autres moins. Le mot nation peut être le support ou l’emblème de quelque chose qui se présente comme exaltant, comme quand la France gagne la Coupe du monde de football. Mais il peut se retourner et devenir un outil de galvanisation des foules pour des raisons vilaines de protectionnisme et de rejet. Ce morceau, c’est tout ça. Après, quand tu as un conservatoire d’art dramatique national, une bibliothèque nationale, tu ne te fâches pas tout rouge dans la rue. Ce n’est pas le mot en lui-même le problème. La plupart des sociétés sur cette planète vivent selon des organisations qui ressemblent un peu à ça. Avec un territoire, des frontières, des règles, des mythologies, des récits. C’est à force d’entendre ce mot tout le temps, partout. Je ne fais pas une analyse politique. C’est une parole d’enfant. Un enfant qui entend des mots qu’il ne comprend pas. Qui se met à chantonner dans sa chambre en jouant avec ses petits objets. C’est quelque chose d’inoffensif.

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D’inoffensif mais interpellant. “Je suis né en 1970. Tout ça existait depuis longtemps. Je n’ai rien demandé. J’ai une carte d’identité nationale. C’est marqué dessus. L’espèce humaine s’est organisée comme ça. Il y avait d’autres façons de fonctionner j’imagine. Mais je ne fais pas des recherches politiques. Je fais des formes artistiques. C’est un peu comme un ready-made. Au lieu de prendre une toilette comme Duchamp, de la mettre dans un musée et de décider que maintenant le statut de cet objet a changé, moi, je fais pareil avec un mot.

Les mains dans le capot

On n’arrive jamais radicalement à être quelqu’un d’autre. Mais Belin tient à ne pas se parodier. Ça passe par un tas d’idées. L’appropriation de nouveaux instruments. La recherche d’autres environnements sonores. Dans la richesse du vocabulaire. Trouver d’autres trouées, d’autres façons de dire. Quitte à dire toujours un peu les mêmes choses. Voir si on fera mieux cette fois. Les claviers sont montés en puissance dans les disques du mec de Quiberon. “J’ai été initié à ces instruments par mes collaborateurs Thibault Frisoni et Tatiana Mladenovitch. Ils se sont intéressés avant moi à ce qu’on pouvait trouver dans ces bébêtes-là. J’ai découvert des instruments qui, quand on met un peu les mains sous le capot, peuvent produire des choses très intéressantes. On peut créer des situations de plaisir qui sont liées uniquement au timbre. À la façon dont le son jaillit. Ce sont des instruments très vivants. Bien plus vivants qu’il n’y paraît. Du moins qu’il me paraissait.

Né en 1970 avec un grand frère fasciné par le rock’n’roll des fifties et des sixties, Bertrand Belin est un enfant de la guitare. “On avait pas mal de trucs avec des synthétiseurs en France dans les années 80. Mais à l’époque, je ne comprenais pas. Je ne faisais pas spécialement la différence entre Jacno et le type qui jouait avec Balavoine ou Rose Laurens.” Le crooner français n’est pas tombé dans les claviers. Il a juste un peu desserré les sécurités. “Je ne suis pas fasciné par des tas de groupes à synthé. Air était vraiment remarquable et j’aime beaucoup Nicolas Godin en solo. Mais Malik Djoudi a signé des productions qui ont rendu évidente la possibilité de faire du songwriting avec des synthétiseurs et pas forcément de la pop à destination des assureurs pour la publicité.”

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Belin évoque The Ballad of Lucy Jordan de Marianne Faithfull. Il parle de la batterie et du beat qui pour lui font le son d’un disque. “J’ai insisté dans mes précédents albums pour garder des boîtes à rythmes parce que je préférais. Ça, c’est un vrai goût. Les synthés, c’est surtout Thibault. Ils ont peut-être la capacité d’ouvrir des espaces de l’imaginaire de façon plus rapide que les instruments acoustiques qui sont ancrés dans notre mémoire reptilienne. Le synthé ouvre des espaces de perception en ayant l’air de provenir de l’avenir. Même si on sait maintenant qu’il n’en vient pas. Ça fait 50 ans que ça dure… Peut-être aussi qu’avec les synthés, on se trouve plus près des arts graphiques et de la peinture qu’avec les instruments acoustiques, plus proches pour moi de l’architecture et des volumes.

Bashung versus Bowie. Belin meets Alan Vega. Tambour Vision, à l’occasion cuivré, reflète l’idée d’être ici-bas soumis aux aléas d’une existence plus surprenante que nous. “Je suis effroyablement émerveillé de me trouver dans le monde et je m’interroge. Borges disait qu’il ne faut pas s’étonner que les bébés crient quand ils sortent du ventre de leur maman. Parce que se préparer à l’expérience de la vie, c’est hors de portée. On ne peut qu’être horrifié. Quand on fume un pétard ou on prend une drogue et découvre de nouveaux mondes, ça peut faire très peur parfois, te filer des hallucinations. Mais le monde dans lequel on est plongé est beaucoup plus fort que n’importe quel psychotrope. Il y a des baleines, des éléphants, des girafes, des arbres, la lune, le soleil, des grille-pains et la vitesse du cosmos. C’est plus une source d’apaisement que d’anxiété. Moi, je suis anxieux quand je prends la vie au sérieux.

Bertrand Belin, Tambour vision, distribué par PIAS. ****

Le 18/11 au Grand Mix (Tourcoing) et le 07/12 à la Madeleine.

© National

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