Super 8 éditions: coup de pop dans la littérature

© Super 8 Éditions
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’équipe élargie de Sonatine lance une nouvelle maison d’éditions spécialisée dans la littérature pop. Un doigt de polar, une louche de fantastique, unzeste d’humour acide, secouez le tout!

Dans un marché sous pression, l’espoir reste permis. Un jeune éditeur comme Sonatine tire son épingle du jeu sans pour autant céder aux sirènes de la littérature guimauve à la Lévy-Musso. Sa recette? Un contrôle des naissances (pas plus de 20 titres par an), un tri sélectif (priorité aux nouveaux auteurs), et surtout une approche pop et érudite du thriller. De quoi dépoussiérer le genre et caresser dans le sens du poil un public nourri, si pas pétri, de culture américaine.

Fabrice Colin
Fabrice Colin© Patrick Imbert

Pourquoi ne pas reproduire la formule magique sur d’autres territoires littéraires? C’est la question qui taraude depuis trois ans l’équipe de Sonatine, pilotée par François Verdoux et Anne-France Hubau-Nicolas, rejointe pour l’occasion par le romancier touche-à-tout Fabrice Colin, qui connaît bien la boutique puisqu’il y a publié un polar lynchien en 2012, Blue Jay Way. Plutôt que de rajouter un tiroir à la commode et risquer du même coup de brouiller l’image forte de Sonatine, ces défricheurs des écritures modernes ont préféré bâtir une structure indépendante sur le terrain d’à côté, mais sous l’ombrelle commune d’Editis, nouveau propriétaire des lieux. Son nom: Super 8. Allusion à la fois à la caméra vintage de nos parents, devenu un objet tendance, et au film de science-fiction de J.J. Abrams sorti en 2011. « Le polar reste un ingrédient important dans les textes que nous publions, mais mâtiné de fantastique, de surnaturel et d’humour ravageur », explique Fabrice Colin. La référence au créateur de Lost n’est pas qu’une coquetterie, les séries télé ayant largement contribué à inoculer le virus du divertissement décomplexé « ni stupidement élitiste, ni stupidement mainstream ». « Depuis dix, quinze ans, des X-Files et Walking Dead ont fait entrer les mondes parallèles et les vampires dans les moeurs. »

Confusion des genres

Super 8 éditions: coup de pop dans la littérature
© Super 8 Éditions

Faut-il en déduire que cette littérature n’avait pas sa place dans les rayons jusqu’ici? « Si, admet le directeur éditorial, mais elle était un peu perdue dans la masse. » Et de donner l’exemple de Carter contre le diable de Glen David Gold, l’un des deux premiers titres de Super 8, déjà paru en 2002 chez Michel Lafon mais passé complètement inaperçu à l’époque dans l’éventail de cet éditeur de best-sellers. Plus qu’à un genre en particulier, c’est donc à un état d’esprit, que l’on pourrait qualifier de geek et classe, que le nouvel incubateur entend être fidèle. De même que la philosophie a désormais son courant pop incarné dans l’Hexagone par le penseur Pacôme Thiellement (dont le manifeste Pop Yoga est édité chez… Sonatine), la littérature se rassemble ici sous un étendard enrichi à l’uranium audiovisuel. S’il lorgne du côté de la SF pure et dure, il ne s’y superpose pas. « Je connais bien ce milieu pour avoir écrit de la science-fiction, poursuit Colin. Il fédère une petite communauté très active mais qui ne se réinvente pas. Elle reste enfermée dans les clichés trolls. Aux séances de dédicaces, je voyais chaque fois débarquer des mecs avec des oreilles d’elfes. D’où une désaffection du lectorat. »

La ligne de mire est ici bien plus large, qui englobe la génération biberonnée aux jeux vidéo, à la saga Harry Potter et aux effets spéciaux du Seigneur des anneaux. « On s’inscrit dans cette mouvance décomplexée et transgenre, ancrée dans différents univers hier incompatibles et aujourd’hui connectés en réseau », résume l’écrivain.

Deux titres ouvrent le bal et donnent le ton d’un catalogue qui prône « la confusion des genres, les fables déjantées, les aventures ludiques et la participation active du lecteur ». Quelque part entre Burton à la sauce Hunter Thompson et Friends propulsé dans l’univers de Philip K. Dick. Dans le coin droit, L’Obsession de James Renner (lire critique en encadré), dans le coin gauche, comme évoqué, Carter contre le diable. Soit un thriller glissant vers le surnaturel et un conte noir sur la manipulation, un inédit et une réédition. Les six autres titres déjà planifiés pour 2014 navigueront dans les mêmes eaux troubles. Tous sont à des degrés divers en cours d’adaptation pour le grand écran, ce qui en dit long sur l’ADN cinématographique de ces romans.

Plus on brasse de genres, plus le risque de daube est important. Ferrer le bon poisson sera donc d’autant plus crucial. « On ne se contente pas des foires où les enchères grimpent très vite, confie le directeur, on va voir les bouquinistes à Londres et on fouine sur le Net. Les commentaires laissés par les internautes sur des sites comme Amazon nous mettent parfois sur des pistes. Comme les conseils des libraires et des auteurs. On démarre avec des Anglo-Saxons mais on espère que des écrivains français vont se convertir rapidement à cette littérature pop. La série télé Les Revenants pourrait les y inciter. »

Fort du succès de Sonatine et du bouillonnement culturel actuel, l’optimisme est donc de mise. Super 8 pourrait séduire le lecteur qui cherche de nouvelles sensations, voire rabattre vers l’écrit ces jeunes accros aux écrans et désireux de prolonger l’expérience d’une série télé ou d’un jeu vidéo. Encore faudra-t-il qu’ils soient capables de se concentrer plus de cinq minutes d’affilée… Les pouvoirs surnaturels et les intrigues labyrinthiques ne seront pas de trop pour capter leur attention!

L’Obsession

Super 8 éditions: coup de pop dans la littérature

Depuis quatre ans, depuis que sa femme s’est suicidée, David Ness vit reclus avec son fils à Akron, Ohio. Gavé d’antidépresseurs, il s’est mis en retrait du monde, jusqu’à ce que son éditeur vienne agiter sous son nez l’énigme de « L’homme de Primrose Lane », assassiné chez lui et dont personne ne connaît la véritable identité. De quoi raviver un peu la flamme de ce journaliste d’investigation obstiné qui a réussi à coincer un tueur en série pédophile. Au rythme des hallucinations dues à un sevrage hardcore, Ness se lance dans une enquête qui va dangereusement se rapprocher de son entourage. Superposant les strates narratives, multipliant les allers-retours dans le passé, ce thriller labyrinthique dégage des vapeurs poisseuses qui ne sont pas sans rappeler l’atmosphère désespérée de la série télé True Detective. Le virage surnaturel en plus, qui devrait ravir les fans de Stephen King. Un roman aux confins de la folie inspiré de faits réels qui remplit, ni plus ni moins, le cahier des charges pop de la nouvelle maison d’édition Super 8. Nuits blanches en mauvaise compagnie garanties!

  • DE JAMES RENNER, ÉDITIONS SUPER 8, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR CAROLINE NICOLAS, 576 PAGES.

INFOS: WWW.SUPER8-EDITIONS.FR

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