Stephen Desberg: rêves américains

Avec Sherman, le scénariste d’Empire USA, IR$ ou Le Scorpion, continue de vouloir mettre du fond dans des BD grand public. Et trempe cette saga-là dans ses racines US.

Sherman, tome 4: Le piège. Bayreuth, de Griffo et Desberg, Éditions du Lombard. ***

Empire USA, de Desberg et Griffo, Juszezak, Daniel Koller, Alain Mounier, Henry Reculé. 6 tomes, éditions Dargaud.

Nostalgiques, s’abstenir: le Stephen Desberg des années 80 et de Dupuis, porté par Tillieux, Will ou Maltaite, n’a plus la tête au divertissement juste familial. Après plus de 130 albums, Desberg se concentre désormais sur l’ado-adulte et le récit réaliste, avec des thrillers se référant clairement aux séries US. Sa triple actu en dit long: une double fournée d’Empire USA, saison 2 -saga en 6 tomes, tous réalisés par des dessinateurs différents- et le 4e tome de sa série Sherman, qui en comptera 6, tous dessinés par Griffo. Les 2 témoignent en tout cas de la grande mission que s’est donnée Desberg: « Rester dans les codes du grand public, mais y amener des thématiques plus riches. »

La forme d’abord: avec Empire ou Sherman, on quitte définitivement le principe des séries sans fin, au rythme d’un album par an…

Nous sommes nombreux à chercher. La manière de traiter les personnages a vraiment changé, on ne se promène plus pendant des planches dans la campagne de Champignac avant d’entrer dans l’action: on ne perd plus de temps à ça, alors que toute l’empathie des lecteurs naissaient de ces moments-là. Avec les nouveaux médias, la télé, le web, le lecteur ne veut plus attendre un an. Empire USA ou Sherman sont des tentatives de réponses à cet état de fait. Pour Empire, j’ai fait le choix d’une double série d’albums, avec une dizaine de personnages importants, mais avec des dessinateurs différents pour assurer des sorties rapides. Avec Sherman, j’ai choisi un seul dessinateur, mais on l’a laissé avancer pour tenir un rythme de sortie très rapide: 6 albums en un an et demi.

Plus que jamais, dans les 2 cas, vous êtes définitivement passé du « simple » divertissement au discours politique.

Je veux rester dans les codes du grand public, mais y amener plus de fond, plus de complexité. Certains lecteurs passent à côté soit de l’un, soit de l’autre, mais effectivement, j’ai voyagé, rencontré des gens brillants, des choses me touchent. La question de la droite catholique aux Etats-Unis, qui était le noyau de la première saison d’Empire, c’est important. La montée des nouveaux oligarques russes, au coeur de la 2e, c’est intéressant aussi.

On en vient à Sherman. C’est toute l’histoire américaine que vous revisitez ici. On apprend dans cet album que la richesse de votre « héros » s’est bâtie à la fin des années 30 sur des capitaux nazis…

C’est d’abord un récit que j’ai nourri de souvenirs personnels. Mon père était américain, juif, il a grandi dans un ghetto de Cleveland. Mon père a fait le choix de rompre avec cette vie-là en épousant ma mère après la guerre, mais j’ai eu de nombreuses discussions avec lui, ma tante, sur cette époque, plein de détails. Mon grand-père a traversé la crise de 29. Mais dans la famille de Sherman, on peut surtout retrouver le père Kennedy, le grand-père Bush, tous ces hommes d’état et d’affaires qui ont fait face à des questions morales. Cette idée de morale est au centre de la série: qu’aurait-on fait? A posteriori, c’est simple de se positionner, les horreurs nazies sont connues, les choses sont claires. Mais avant? Avant que tout ne bascule? Dans la vie de tous les jours, on est obligé de se positionner: on recule, on accepte, on affronte? Arrive alors la question des compromissions, de la corruption. C’est ce mécanisme qui m’intéresse.

Olivier Van Vaerenbergh

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