Stéphan Gladieu: La Corée du Nord en portraits

© Stephan Gladieu courtesy School Gallery/Olivier Castaing.
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Les portraits hiératiques de Stephan Gladieu ouvrent les portes d’un pays aussi impénétrable que fascinant: la Corée du Nord. Sander n’est pas loin.

Corée du Nord ***

Il y a dix ans, Stephan Gladieu (1969, Bagneux) se met en tête d’aller en Corée du Nord. Celui qui a commencé sa carrière comme reporter de guerre -il a vécu entre autres en Afghanistan pour y documenter les conditions de vie de la population durant la guerre civile- est fasciné par ce “pays sans ressources naturelles dont on ne sait rien”, exception faite des extravagances de ses dirigeants. Après de multiples tentatives, il parvient à ses fins. Entre 2016 et 2019, le photojournaliste fait cinq voyages sur place, soit une opportunité inouïe d’observer une société dont nous ne comprenons pas les codes. À chaque déplacement, le programme de son emploi du temps est fixé à la minute près, “jusqu’à la pause pipi”. Aucune improvisation, pas de place pour la spontanéité. Impossible de travailler dans ces conditions? Au contraire, cette contrainte, le photographe français a vite fait de la retourner comme un gant. Pour ce faire, il fixe son appareil, le fige en prédéterminant le cadre en attirant les sujets sur cette “scène”. Qu’il opère en lieu clos ou dans l’espace public, le processus est semblable, faisant en cela écho à l’imagerie consacrée de la propagande. Cette attitude met les Nord- Coréens en confiance qui se plaisent à jouer devant son objectif la pièce de théâtre à laquelle ressemble, de toute façon, leur existence. La trame ne varie pas: un portrait de plain-pied, symétrique et aux proportions similaires, pris à une distance respectueuse.

En miroir

On pense à August Sander, le portraitiste maniaque de l’Allemagne de la république de Weimar, mais aussi à Martin Parr, pour le traitement chromatique exemplaire. Le tout signe des images en miroir devant le magnétisme desquelles le spectateur est en droit de se demander qui regarde qui. Gladieu ne répond pas, lui qui cherche ce précieux moment où les regards s’entrecroisent. Il commente son programme artistique gagné à la typologie: “Faire face aux autres, sans m’imposer à eux, tenter de les raconter avec humanité en apparaissant le moins possible, c’est sans doute pour cela que j’aime autant, aujourd’hui, le portrait qui saisit le sujet dans la frontalité la plus crue, comme un cadre anthropologique de référence.

Le tout dénué d’ironie ou d’une quelconque tentative de dénonciation. Le constat vaut même pour ce couple avec enfant unique photographié au zoo central de Pyongyang. Extrêmement rigide, l’homme, drapé dans le vinalon, cette étoffe emblématique au croisement du calcaire et de l’anthracite, est l’archétype de la fierté nationale nord- coréenne. Le duo de pingouins en plâtre à l’arrière-plan? Il rappelle que toute existence, de quel côté du mur on se trouve, procède d’une mise en scène. Trois ans après la sortie d’un ouvrage sur le sujet, Stephan Gladieu expose cette “image d’une nation” au Musée de la photographie.

De Stephan Gladieu, Musée de la Photographie, à Mont-sur-Marchienne. Jusqu’au 21/05.

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