Critique | Gaming

Space Hole 2020, un jeu psychédélique à en perdre la boule

4,5 / 5
Space Hole 2020, riche en ambiances psychédéliques. © National
4,5 / 5

Titre - Space Hole 2020

Édité par - Sam Atlas

Développé par - Sam Atlas

Âge - 16+

Disponible sur - via Steam sur PC via tinyurl.com/sctt24us

Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Entre art digital et jeu indé, Space Hole 2020 dynamite les codes visuels et ludiques du gaming. Décryptage croisé entre Samuel Atlas, son créateur, et François Zajéga, artiste numérique bruxellois.

La perte totale de repères n’est pas monnaie courante dans le gaming. C’est cependant ce que propose Space Hole 2020. Pensé comme “une exploration de l’échelle du temps cosmique”, ce jeu repousse toutes les limites, visuelles comme ludiques, altérant en permanence ses textures, ses perspectives et ses lois physiques pour égarer le gamer. Nominé dans la catégorie Nuovo Award du dernier Independant Games Festival de San Francisco, ce trip fou est le résultat d’un confinement trop long pour Samuel Atlas, son créateur américain. Mais il scelle aussi une rencontre rare: celle de l’art numérique et du jeu vidéo indé.

Je suis passé au jeu vidéo car j’avais envie de rendre l’art numérique accessible, se souvient Samuel Atlas, artiste à plein temps qui a quitté son job d’ingénieur logiciel chez Amazon pour embrasser sa passion . Après avoir réalisé G et City , deux installations artistiques qui ont rencontré un certain succès, je me suis rendu compte que mon public se limitait à un cercle d’initiés. Pour brasser plus large, j’ai donc commencé à travailler sur des projections vidéo de concerts et de spectacles de danse. Mais le Covid est passé par là et tout a été annulé. Space Hole 2020 est le fruit de la transformation de ce travail inutilisé en expérience ludique. J’y ai appliqué toutes les textures de mes spectacles live avortés.

© National

Jusqu’ici tout va bien

Évoquant un Super Monkey Ball sous drogues dures, Space Hole 2020 demande de déplacer une sphère au fil d’une dizaine de mondes dont on croit chercher la sortie. La balle file à travers des environnements 3D tapissés de textures psychédéliques dont on ne revient pas indemne. Space Hole 2020 ne s’adresse pas à tous les joueurs. Loin s’en faut. La radicalité de sa démarche visuelle le propulse d’ailleurs à des années-lumière des jeux indés de consommation courante. Moment de choix? Growth, un des dix niveaux du jeu, incruste en arrière-plan de son environnement 3D la boucle vidéo d’une rue nocturne, grasse de pluie et de passants à Seattle. “Space Hole 2020 est aussi le reflet de mon subconscient en temps de pandémie. J’étais fatigué de rester isolé chez moi. Je rêvais d’exploration, de retrouver les événements de la scène indé à Seattle. Ces espaces de socialisation étaient essentiels à ma vie, poursuit Samuel Atlas.

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Musique classique, post-punk, piano esseulé, post-rock… L’éclectisme de la B.O. de Space Hole 2020 habille remarquablement ses tableaux en trompe-l’œil. L’impression de saisir la forme naissante d’une rampe ou d’une plate-forme, le sentiment de comprendre le gameplay: autant de faux espoirs pour le gamer. Une démarche qui radicalise les précédents Space Hole 2018 et 2016 de Samuel Atlas. “Si les objectifs d’un jeu vidéo sont trop évidents, ça retire tout le fun. Ce confinement m’a d’ailleurs directement renvoyé vers ma petite enfance, lorsque je ne pouvais pas avoir le contrôle sur les choses qui m’entouraient, confie Sam Atlas. Space Hole 2020 m’a offert un espace d’expression qui n’était pas dégradé par la pandémie.

Détournements

Space Hole 2020 est un oiseau rare, à la frontière des arts numériques et du jeu vidéo. Mais il n’est pas le seul. Chez nous, François Zajéga, artiste-programmeur basé à Bruxelles, explore aussi cette voie. Ce dernier a ainsi détourné quatre moteurs de jeux vidéo à des fins de création artistique. Développé sous Unity en 2015, son Tanuki s’allumait comme un miroir légèrement déformé projetant les mouvements d’une danseuse par l’entremise d’une caméra Kinect 2 de Microsoft. Il a plus récemment détourné le moteur de jeu open source Godot pour créer les hologrammes de TheMaiden from the Sea de Futari Shizuka, un opéra sur lequel il a travaillé pendant trois semaines en Corée.

Le monde de l’art digital emploie des logiciels de création graphique souvent lourds à utiliser. Les moteurs de jeu arrivent au même résultat beaucoup plus facilement et avec plus de finesse, précise François Zajéga . Ma démarche était marginale il y a quelques années, mais les choses évoluent. La section photo de l’École cantonale d’art de Lausanne m’a par exemple contacté pour que j’aide leurs étudiants à utiliser Unity.

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En général, dès que le jeu vidéo indépendant sort du photoréalisme 3D ou du pixel art, il mime des courants visuels balisés. De l’action painting de Pollock sur Ape Out au noir et blanc de Kurosawa sur Trek to Yomi ( voir Focus Vif du 20 mai dernier), ces (belles) influences semblent éclipser la naissance d’un langage visuel propre. Certes, des exceptions existent. L’ensemble du travail de Ian MacLarty (à aller voir d’urgence sur itch.io) et la riche ludographie du collectif français Klondike en témoignent. Mais le dialogue entre art numérique et jeu indé reste d’une affligeante pauvreté.

Le jeu vidéo n’a tout simplement pas la cote car l’art contemporain est d’un snobisme exaspérant. Présenter son travail sous forme d’un jeu vidéo ne fonctionne pas non plus au niveau de la rareté car, de par sa nature, le gaming est vendu à grande échelle et pas cher, poursuit François Zajéga. Jeux vidéo indé et art digital ne se côtoient donc pas fréquemment. Au-delà d’Isabelle Arvers, artiste et commissaire d’exposition très impliquée dans cette thématique, il n’y pas de scène. Mais les choses bougent. Les formations d’art numérique françaises accueillent ainsi 15 à 20% d’étudiants qui veulent faire du jeu vidéo en évitant les grandes écoles formatées comme Rubika.” Gageons que l’un d’entre eux nous prépare un nouveau voyage. Loin, très loin de la zone de confort du gaming.

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