Sortie de spleen

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Passé l’orage, comment accepter l’idée de pouvoir être éventuellement heureux? Tentatives de réponse de Perfume Genius, avec un quatrième album miraculeux.

Perfume Genius

 » No Shape  »

Distribué par Matador. En concert le 09/06, à l’AB, Bruxelles, et le 18/08, au Pukkelpop, Hasselt.

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De prime abord, rien n’a changé. Le paysage est on ne peut plus familier. No Shape démarre avec la voix de Mike Hadreas, fragile, au bord de la fêlure, accompagnée seulement d’un piano famélique. Au bout de quelques instants, toutefois, le morceau, intitulé Otherside, explose, comme un verre se brisant par terre, scintillant de toutes parts, lessivé par des choeurs triomphants. à sa suite, Slip Away joue pareillement de l’emphase, ballade au drame euphorisant. Perfume Genius est de retour. Et tout en continuant de creuser ses états d’âme, il a décidé de leur donner de nouveaux atours.

La musique de Mike Hadreas n’a jamais manqué de tragédies. Au début des années 2010, elles apparaissaient dans leur plus simple appareil. Presque lo-fi, les albums Learning (2010) et Put Your Back N 2 It (2012) étaient aussi beaux que plombés, nourris au désespoir. Celui d’une trajectoire personnelle chaotique, marquée notamment par la difficulté, ado, de vivre son homosexualité au grand jour, mais aussi par des élans suicidaires et des récits familiaux traumatisants. Pendant plusieurs années, Hadreas s’est également enfoncé dans l’alcool et les drogues, avant de finalement réussir à s’en sortir. C’est à ce moment-là qu’il rencontra celui qui est toujours son compagnon actuel, le musicien Alan Wyffels, et qu’il commença à mettre en musique ses tourments intimes. D’abord en les livrant avec le moins d’artifice possible, avant de petit à petit les travailler davantage.

Déjà en 2014, avec l’album Too Bright, produit par Adrian Utley (Portishead), Perfume Genius quittait ce qui aurait pu devenir, paradoxalement, une zone de confort. Rencontré à Bruxelles le mois dernier, Hadreas confirmait: « Avec ce troisième disque, j’ai découvert que je pouvais me permettre plus de choses, et tenter des expériences pour lesquelles je ne me sentais pas forcément équipé au départ.« Avec No Shape, sa pop de chambre affiche ainsi de nouvelles ambitions. « Un morceau comme Slip Away, par exemple, m’a montré que j’étais capable de davantage structurer les choses, de me tenir à un schéma couplet-refrain, sans que je ne me sente pris au piège. Au contraire, j’y ai trouvé une nouvelle inspiration. »

à l’image de Queen, single emblématique de l’album précédent, Too Bright était fier et défiant (« No family is safe/When I sashay »). Trois ans plus tard, le nouveau No Shape rue moins dans les brancards et célèbre davantage une certaine forme de sérénité. « Sur l’album précédent, c’était comme si j’apostrophais les gens. Ici, je chante davantage pour eux. » Où il est donc question de quelque chose qui ressemblerait peut-être bien au bonheur. Un état si surprenant, voire inquiétant (Choir), qu’il est parfois difficile à accepter. « Comment être heureux quand vous n’êtes pas forcément équipé pour?, se demande Mike Hadreas. Ce disque, c’est ça: une tentative cathartique de toucher au bonheur, ou en tout cas de l’accepter » (rires). Le disque se termine ainsi avec Alan, dédié à son amoureux.« You need me/Rest easy/I’m here », rassure Hadreas, avant de s’étonner: « How weird… »

Laurent Hoebrechts

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