Shailene Woodley: « Aucune d’entre nous n’avait mesuré à quel point Big Little Lies pourrait résonner auprès du public »
Star de la franchise Divergent, l’actrice américaine Shailene Woodley reprend du service dans la très attendue deuxième saison de la série Big Little Lies. Portrait d’une jeune fille en feu, dans ses rôles à l’écran comme dans ses combats militants.
Dans le premier épisode de l’ultime saison de la série Girls il y a deux ans, Lena Dunham y allait de cette réplique depuis évidemment devenue culte: « Shailene Woodley aime aller se poser dans un endroit privé, écarter les jambes et laisser rentrer le soleil. Et c’est ce qui la rend si éclatante. Donc quand elle rayonne à la première de Divergent, ce n’est pas du maquillage. C’est le soleil dans son vagin. » Aussi farfelue qu’elle puisse paraître, cette tirade ne vient pas de nulle part. Dans une interview accordée à un blog beauté US hyper tendance, Woodley avait en effet un jour appelé toutes les femmes à donner de la vitamine D à leur entrecuisse en lui offrant un peu de lumière naturelle. Grande militante écologiste devant l’Éternel, la comédienne américaine, tout juste 27 ans au compteur, ne rate à vrai dire jamais une occasion de souligner son rapport privilégié et profond au Grand Tout. Et ce, qu’elle intègre des pratiques traditionnelles indiennes à son quotidien, ramasse des herbes sauvages, récolte elle-même de l’eau de source, confectionne son propre dentifrice avec de l’argile, utilise de la betterave rôtie en guise de rouge à lèvres, de la spiruline comme fard à paupières ou de l’huile d’argousier pour ses qualités démaquillantes. On en passe et des meilleures…
Chantre glamourisée d’une existence « au naturel », la Californienne nantie, mannequin dès l’âge de quatre ans, actrice à huit, est évidemment bien plus qu’une simple conseillère bien-être directement branchée sur les ondes énergétiques et autres miroitements d’âme de notre mère la Terre. Arrêtée et condamnée notamment pour s’être opposée à la concrétisation d’un projet de pipeline en territoire sioux dans l’État du Dakota, la star de White Bird in a Blizzard et The Fault in Our Stars multiplie les rôles qui font sens et les positions engagées. Activiste acharnée et citoyenne éclairée, elle croit beaucoup en l’idée de sororité, cette solidarité spécifique entre femmes qui est justement le coeur battant de la série Big Little Lies, dont la deuxième saison débute cette semaine sur Be TV (lire également notre encadré). Invitée d’honneur du dernier festival de Deauville, elle y a accepté de répondre aux questions de Focus en toute simplicité et dans la plus grande décontraction. Morceaux choisis.
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Il y a deux ans, la première saison de Big Little Lies semblait tomber à point nommé, ses thématiques venant en un sens annoncer quelques-unes des grandes préoccupations sociétales de ces derniers mois, comme la question des abus et des violences faites aux femmes notamment…
Oui, et c’est assez incroyable mais, au moment du tournage, je pense qu’aucune d’entre nous n’avait véritablement mesuré à quel point la série pourrait résonner auprès de son public. J’étais à l’étranger quand les premiers épisodes de Big Little Lies ont atterri sur HBO et je dois dire que toute la hype qui en entourait la diffusion m’était complètement passée à côté. Un jour, de retour au pays, je me retrouve dans un salon de coiffure pendant plusieurs heures, à me faire teindre les cheveux en prévision du film Adrift. J’étais là, dans un coin, et j’écoutais parler les gens qui entraient et sortaient derrière moi. L’avant-dernier épisode de la série venait d’être dévoilé et tout le monde, littéralement, ne parlait que de ça. J’étais sciée. C’était quelques mois à peine avant l’affaire Weinstein, et je pense simplement que les gens avaient faim d’une fiction de qualité s’intéressant à la psychologie de personnages féminins forts. Je ne parle pas de femmes d’action, de super-héroïnes ou que sais-je encore… Mais d’une espèce de retour de balancier dans les préoccupations noyautant une industrie qui a trop longtemps orienté ses contenus autour de l’idée même de masculinité. Si vous faites fi de leur mode de vie privilégié et de cette espèce de bulle d’insularité au sein de laquelle elles évoluent, je crois qu’il y a quelque chose dans la trajectoire de ces femmes qui peut trouver un écho émotionnel important chez tout un chacun. Parce qu’elles traversent des épreuves et des drames très quotidiens, encore assez peu explorés au cinéma comme à la télévision.
Adaptée du best-seller de Liane Moriarty et à l’origine conçue comme une simple mini-série, Big Little Lies n’était pas forcément censée connaître une deuxième saison. Le succès public et critique, ainsi que le triomphe du show aux Emmy Awards en 2017, en ont évidemment décidé autrement. Comment cette suite a-t-elle été envisagée?
Cette deuxième saison s’inscrit tout à fait dans la continuité de la précédente. Bon, il se trouve que dans le cas précis du personnage que j’interprète, on part sur une histoire totalement différente. Mais, d’une manière générale, il s’agit vraiment de creuser plus profondément encore que dans la première saison sous la surface parfois très lisse des apparences. C’est l’idée de ne pas se détourner des choses les plus inavouables que l’on peut vivre, bien souvent sans le dire.
La série se construit également autour de l’idée d’un esprit de communauté solidaire. C’est quelque chose qui semble faire écho à vos propres engagements au quotidien…
Oui. On me demande souvent comment je trouve un équilibre entre le métier d’actrice et mon engagement militant: pour moi, ce sont simplement deux extensions de qui je suis. J’ai tourné la première saison de Big Little Lies alors que je travaillais activement pour soutenir la campagne à l’investiture démocrate de Bernie Sanders. Durant le tournage de la seconde, je développais plusieurs projets en lien avec l’environnement. Être une citoyenne engagée relève pour moi d’une nécessité vitale. À dire vrai, je ne suis pas très fan du terme « activisme », parce que je pense que nous devrions tous faire quelque chose au service de la communauté. Que ce soit poser des actes pour le climat ou simplement faire à manger pour des voisins qui manquent de temps.
Pensez-vous que le fait d’avoir commencé votre carrière en tant qu’enfant actrice vous a en quelque sorte prémunie d’une certaine corruption inhérente au milieu hollywoodien à l’âge adulte?
Complètement. Jusqu’à mes 18 ans, j’ai enchaîné les rôles, essentiellement à la télévision, mais je n’étais pas très exposée médiatiquement. Tout ça restait modeste et les choses ne se sont accélérées que très progressivement pour moi. Je me souviens qu’à l’âge de huit ans, environ, j’ai écrit dans mon journal intime que le jour où je me retrouverais en couverture d’un magazine j’arrêterais tout (sourire). L’idée même de devenir célèbre ne m’attirait pas. J’ai été éduquée dans l’optique de mener ma vie de la manière la plus normale qui soit. Je n’ai pas grandi dans une grande ville et mes parents travaillaient très simplement dans l’enseignement. Je suis allée au lycée public jusqu’à ma majorité. C’est à ce moment-là que j’ai joué la fille de George Clooney dans The Descendants d’Alexander Payne, et c’est la première fois que je me retrouvais face à des journalistes à enchaîner les interviews, que l’on me disait comment m’habiller, quoi dire, quoi faire, etc. J’ai trouvé ça très oppressant, et il m’a fallu du temps pour me sentir à ma place dans ce genre de contexte. Si j’avais connu le succès avant mes 18 ans, je pense que je ne serais tout simplement pas là pour en parler aujourd’hui. Je n’aurais pas eu les nerfs assez solides pour continuer à faire ce métier.
Les plateformes de streaming mais aussi les grands studios de cinéma aujourd’hui évoquent bien souvent davantage d’énormes robinets à contenus qu’autre chose. En quoi vous semble-t-il important de continuer à faire ce métier?
Dans un monde où les opinions sont plus polarisées que jamais, j’ai le sentiment qu’un certain cinéma est peut-être l’un des derniers temples où nous pouvons encore nous autoriser à seulement ressentir, sans pointer nos différences du doigt ou débattre de ce que nous pensons être bien ou mal. C’est l’idée d’entrer en communion avec quelque chose mais aussi peut-être la possibilité d’une espèce de thérapie à travers la fiction.
À l’heure de coucher ces lignes, il ne nous a été donné de découvrir en primeur que trois des sept épisodes qui composent cette deuxième saison. Trop court, donc, pour émettre un jugement critique définitif. Mais bien assez pour en saisir les enjeux multiples. Entièrement réalisé par Andrea Arnold, la cinéaste surdouée de Fish Tank et American Honey, qui succède à Jean-Marc Vallée (Dallas Buyers Club, Wild) dans l’exercice, ce nouveau bloc narratif s’inscrit dans la lignée directe du précédent. « Maquillée » en accident, l’affaire qui noyautait la première saison n’est pas tout à fait close, les Madeline, Celeste, Jane, Bonnie et autre Renata, liées par le sceau infamant du secret, se débattant avec leurs fantômes tandis qu’une nouvelle venue, interprétée par Meryl Streep, vient fourrer son nez avec insistance dans cet inextricable sac de noeuds de la côte Ouest friquée. Entre difficile travail de reconstruction et surgissement irrépressible du passé, solidarité féminine et sentiment de culpabilité, les cinq héroïnes fragilisées de Big Little Lies font face à leurs responsabilités, mais continuent surtout à buter sur les préjugés genrés d’un petit théâtre sociétal n’ayant encore que très modérément intégré les leçons de l’ère post-#MeToo. Jusqu’au point de rupture d’une tragédie appelée à se répéter? Affaire à suivre…
- Une série HBO créée par David E. Kelley. Avec Reese Witherspoon, Nicole Kidman, Shailene Woodley.
- À partir du dimanche 9 juin, 03:00, sur Be TV.
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