Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

AU NOM DU PèRE – Le plus jeune fils de Fela, Seun Kuti, reprend l’énorme héritage du père mythique. Acte de bravoure ou utopie bravache ?

« Many Things »

Distribué par Bang! Sortie: 30/05.Tout est là. Les longs morceaux incantatoires, les appels à la résistance politique et au panafricanisme, les ch£urs en sucrerie, les guitares détricotées, les cuivres coupe-gorge. Du vrai Fela, sauf que c’est le fiston Seun qui £uvre. Son père a inventé une rhétorique à la fois musicale et idéologique, à la hauteur de son pays névrotique, le Nigéria ( voir encadré). Et quiconque s’en empare, a intérêt à avoir la même trempe acide… Fela Anikulapo Kuti (1938-1997), à l’instar de James Brown, Marvin Gaye, Sly Stone et Miles Davis, est une icône essentielle de la great black music du 20e siècle. Au-delà du personnage invraisemblable, sa musique imprégnée de jazz et noyée de groove naturel consume toujours les corps dans des effluves de magie yoruba. Seun Kuti est né en 1982 dans cette marmite de Lagos où Fela avait bâti sa République avant qu’elle ne soit détruite par les militaires qui défenestrèrent la mère du chanteur-activiste.

Alors ce Many Things de Seun Kuti emprunte-t-il un costume trop grand pour lui? La voix, mâle, intéressante, racle les consonnes et épouse le modèle offensif du pater sur des thèmes franchement familiers: la brutalité policière ( Think Africa) , l’Afrique résistante ( Don’t Give That Shit To Me), malade ( Mosquito Song) et pillée sans vergogne ( Na oil).

LE SON DU PèRE

Seun se permet néanmoins quelques accents plus légers dérivés du ragga ou des accords afro-cubains mais le son du père domine le disque. Pas étonnant dans la mesure où Seun a récupéré son groupe, Egypt 80. L’ensemble est moins formaté que les albums du grand frère Femi, moins occidental, plus rauque. Plus nègre. Dans une démesure high-life nettement plus proche de la tradition orale de l’Afrique ancestrale que du marché pop. L’album est ultra dansant mais manque sans doute d’un titre emblématique pour faire la différence avec le père. Le producteur Martin Meissonnier, discret depuis quelques années, avait organisé la toute première tournée européenne de Fela, celle passée par l’hallucinant concert de Forest National en 1981. Il avait frôlé l’infarctus en tentant de gérer le bordel afro de Kuti senior. S’il a accep- té de produire Many Things et ne se cesse de louanger Seun, c’est qu’il y a senti la semence d’une nouvelle grandeur. Faisons confiance à son optimisme.

PHILIPPE CORNET

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